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Jean-Louis QUERMONNE, Directeur de 1958 à 1969

 

Message de la Directrice de Sciences PO Grenoble

[18 janvier 2021]

C’est avec une immense émotion et tristesse que je fais part du décès de Jean Louis Quermonne (1927-2021), professeur émérite de science politique, directeur de Sciences Po Grenoble de 1958 à 1969, directeur du laboratoire de recherche CERAT de 1964 à 1970, premier président de l’Université Grenoble II de 1970 à 1975 ainsi que président de l’Association française de science politique (AFSP) de 1994-2000. Il rejoint l’IEP de Paris en 1977 où il enseigne jusqu’en 1989, date à laquelle il retourne à l’IEP de Grenoble où il devient Professeur émérite en 1996. Il enseigne aussi régulièrement au Collège d’Europe de Bruges et est membre fondateur, avec Jacques Delors en 1996, de l’Institut Jacques Delors, think tank dont il est resté administrateur jusqu’à sa mort.

Successeur du premier directeur de Sciences Po Grenoble, André Mathiot, Jean-Louis Quermonne a construit les bases de l’Institut d’études politiques de Grenoble que nous connaissons aujourd’hui. C’est sous sa direction que l’Institut déménage sur le campus et que le bâtiment initial, qui vient d’être rénové et élargi, a été construit.

Spécialiste des institutions administratives et gouvernementales françaises, Jean-Louis Quermonne a par la suite investi le champ des institutions européennes qu’il ancra solidement dans le paysage académique de la science politique française. Il est notamment à l’origine de plusieurs ouvrages classiques, réédités régulièrement, dont Le Gouvernement de la France sous la Vème République (Paris, Dalloz, Coll. « Etudes politiques, économiques et sociales » n° 79, 1ère édition 1980) ; Les Régimes politiques occidentaux (Paris, Le Seuil, Coll. Points politique », 1986), L’alternance politique (Paris, PUF, Coll. « Que sais-je ? » n° 2459, 1ère édition 1988), et Le Système politique de l’Union européenne (Paris, Montchrestien, Coll. « Clefs », 1ère édition 1993).

La perte de Jean-Louis Quermonne est immense pour la communauté de Sciences Po Grenoble, et pour la science politique française. Elle est aussi très douloureuse pour moi personnellement : Jean-Louis Quermonne m’a soutenu durant mes premières années d’études en France, affichant une bienveillance et un intérêt permanents pour lesquels je lui suis éternellement reconnaissante.
Jean-Louis Quermonne fut un pédagogue hors pair, d’une disponibilité permanente, profondément passionné par la progression des étudiantes et étudiants. Sciences Po Grenoble ainsi que l’ensemble des étudiantes et étudiants qui ont suivi ses cours, ses séminaires, ou qu’il a dirigé.e.s en tant que directeur de l’IEP de Grenoble, de thèse ou de mémoire, sont aujourd’hui orphelins d’un grand universitaire.

Mes pensées accompagnent sa famille et ses proches.

Sabine Saurugger
Directrice

 


 

Le décès de Jean-Louis Quermonne nous remplit d’une immense tristesse. Il fut successivement le premier président de l’Université Grenoble II, premier vice-président de la Conférence des président d’université, Président de l’Association française de science politique, membre fondateur du think tank Notre Europe (Institut Jacques Delors). Auparavant il fut le directeur de Sciences Po Grenoble (1958-1969), qui à l’origine devait former les cadres supérieurs de la fonction publique – une mission qui lui revient encore aujourd’hui – mais qu’il a profondément transformé et modernisé, en faisant le terrain d’expérimentation de ses qualités de réformateur.

Il eut d’emblée une claire perception des forces vives sur lesquels il pouvait prendre appui, tant à Grenoble qu’au niveau national, pour passer outre des structures sclérosées et bridées par la centralisation. Avec une énergie infatigable il va mener un projet qui correspond à ses convictions de ce que doit devenir l’enseignement supérieur, semant les germes qu’il appartiendra à ses successeurs de faire fructifier.

Bon connaisseur du fonctionnement de l’État, il connaît le potentiel de modernisation des « administrations de mission » que sont le Commissariat général au Plan et la DATAR (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire). Conscient qu’un établissement d’enseignement supérieur ne peut se développer sans intégrer la recherche, il crée, avec le soutien du CNRS, de la DATAR et de la Fondation nationale des sciences politiques un nouveau centre de recherche, le CERAT (Centre d’études et de recherches sur l’aménagement du territoire).

Il lui faut trouver aussi le moyen de disposer d’un personnel propre pour la recherche et la documentation : reprenant une terminologie alors à la mode, les deux IEP de Grenoble et Bordeaux sont reconnus comme « IEP d’équilibre », ce qui leur permet de recevoir des postes et des crédits passant par la FNSP. Reconnaissons l’ingéniosité avec laquelle, dans un monde bureaucratique fortement normé, il trouve des solutions en dehors des schémas établis, avec l’appui d’administration qui se veulent elles-mêmes novatrices et créatrices de nouveaux schémas d’action.

Même solution de fortune pour permettre à des étudiants de Sciences Po Grenoble de préparer un doctorat, alors que c’est la Faculté de droit qui prépare au doctorat de science politique. Jean-Louis Quermonne obtient l’accord du secrétaire général de la FNSP pour rattacher ses thésards à la solution qu’a mise en place Sciences Po Paris : il a créé par convention avec la Faculté des lettres un doctorat ès-lettres, mention science politique.

Signalons aussi le souci constant de Jean-Louis Quermonne de faire reconnaître l’autonomie de Sciences Po Grenoble, tant au plan administratif que matériel. Lors de la création du nouveau campus, il lui fallut beaucoup d’énergie, avec le soutien du doyen Weil de la faculté des sciences, pour obtenir la construction d’un bâtiment autonome pour Sciences Po Grenoble. Le libre choix de l’architecte, Monsieur Pouradier-Duteil, lui permit d’édifier la première tranche autour d’un patio où pouvaient se détendre les étudiantes et étudiants à la sortie de leurs cours ou de leurs conférences de méthode.

Quand Jean-Louis Quermonne revient comme professeur à Sciences Po Grenoble, en 1989, il s’inscrit pleinement dans le mouvement d’internationalisation développé par l’établissement au cours des années 80. Partisan, sans dogmatisme, d’une fédéralisation de l’Union européenne, il consacre ses recherches et ses réflexions sur le perfectionnement de ses institutions dont il a acquis une connaissance approfondie auprès de son ami Jacques Delors, à travers le centre d’étude « Notre Europe », devenu aujourd’hui l’Institut Jacques Delors. Par ses cours, ses séminaires de troisième cycle, ses directions de thèse, il apporte une dimension nouvelle qui manquait à Sciences Po Grenoble et amplifie les échanges avec les universités européennes. Sciences Po Grenoble a pu en profiter jusqu’à aujourd’hui, avec des programmes d’échange, des parcours internationalisés et une ouverture au monde sans faille.

Enfin, Jean-Louis Quermonne fut un homme de consensus et d’écoute. Il était attentif et accessible, tout en exigeant de chacun qu’il donne le meilleur de lui-même. Il a été un pédagogue remarquable, d’une disponibilité permanente, profondément passionné par la progression des étudiantes et étudiants. Jusqu’il y a peu de temps encore il lisait des manuscrits que nous lui soumettions, les commentait avec sa bienveillance et son sens d’humour légendaire.

Sciences Po Grenoble a perdu un directeur hors pair. Nous lui sommes profondément reconnaissants pour ce qu’il nous a permis de réaliser à la tête de cet établissement qu’il avait façonné.

Jean LECA, directeur de Sciences Po Grenoble de 1969 à 1971
Yves SCHEMEIL, directeur de Sciences Po Grenoble de 1981 à 1988
François D’ARCY, directeur de Sciences Po Grenoble de 1988 à 1995
Henri OBERDORFF, directeur de Sciences Po Grenoble de 1995 à 2002
Pierre BRECHON, directeur de Sciences Po Grenoble de 2002 à 2005
Olivier IHL, directeur de Sciences Po Grenoble de 2005 à 2012
Jean-Charles FROMENT, directeur de Sciences Po Grenoble de 2012 à 2020
Sabine SAURUGGER, directrice de Sciences Po Grenoble depuis 2020

 


 

Interview paru pour les 70 ans de l'IEP (Septembre 2018)

Sciences Po Grenoble a tenu une place de choix dans ma vie universitaire, mais je ne l’ai découvert qu’en arrivant à Grenoble le 2 janvier 1956 pour occuper un poste de professeur à la faculté de droit. Je connaissais son existence par le décret du 4 mai 1956. Il avait été créé à l’initiative du doyen de la faculté de droit Jean-Marcel Jeanneney avec le soutien de son ami Michel Debré. Et s’il était de petite taille – moins d’une centaine d’étudiants – il avait cette particularité d’accueillir chaque année en stage des élèves de l’Ecole nationale d’administration en quête de formation juridique.

J’avais connu auparavant d’autres I.E.P. D’abord celui de Paris dont j’avais été diplômé en 1950 dans la section service public. Puis celui d’Alger où j’avais donné un cours sur le Commissariat au Plan et la Communauté européenne du charbon et de l’acier qui venait d’être créée. Il me restait alors à découvrir celui de Grenoble.

A mon arrivée, je fus accueilli par son directeur, la professeur André Mathiot qui me confia un cours sur le droit d’outre-mer. Mais je ne m’investis pas davantage restant dans la perspective d’un poste de juge à la Cour suprême qui venait d’être créé au Maroc et où mes amis Louis Fougère et Maurice Flory me suggéraient de poser ma candidature. Je me contentai donc d’assurer mon service à la faculté de droit. Mais dès 1958, plus vite que prévu, le poste de directeur de l’I.E.P. de Grenoble se trouva vacant du fait de la nomination d’André Mathiot à Paris. A l’évidence, ce poste aurait du revenir à Georges Lavau, qui était à l’époque à Grenoble, avec Maurice Duverger à Bordeaux, l’un des pionniers de la science politique. Mais très vite surgit une cabale contre lui, menée par une partie du Conseil de perfectionnement, sous prétexte que Georges Lavau avait été auparavant candidat au titre de la « Jeune République » à une élection législative. Et malgré les efforts menés par le doyen Colliard en faveur de Lavau, rien n’y fit pour obtenir sa nomination. C’est alors que les autorités universitaires vinrent me demander – avec le soutien de Georges Lavau lui-même – de prendre la direction de l’I.E.P. Certains me présentèrent même cette mission sous les traits d’un sacerdoce ! Et comme par ailleurs le poste de juge à la Cour suprême du Maroc avait été déjà pourvu par un ancien préfet, je ne puis faire autre chose que d’accepter. A l’époque, l’Institut d’Etudes Politiques ne disposait en propre que d’un petit nombre de locaux : un bureau de directeur, situé rue Général Marchand, un secrétariat occupé par Melle Ailloud et une salle de documentation, amorce d’une future bibliothèque. Les enseignements étaient dispersés dans les amphithéâtres et les salles de travaux dirigés de la faculté de droit, place de Verdun. Les cours de base étaient donnés par des professeurs de cette faculté et de la faculté des Lettres, auxquels venaient s’ajouter – phénomène plus original – une série de cours sur des sujets d’actualité, dispensés par des universitaires et des hauts fonctionnaires venus de Genève, de Lyon et de Sciences Po Paris.

En l’absence de T.G.V., ils arrivaient souvent par le train de nuit. Mais ils disposaient dans les locaux de la rue Général Marchand d’une chambre confortable et d’une salle de bain. Citons parmi ces personnalités Jean Halpérin, Edgard Pisani, Pierre George, le colonel Rondot et Louis Fougère. Certains d’entre eux assuraient le même cours à Sciences Po Paris, notamment Jean Touchard et Jean Meyriat. Ce qui donnait à Sciences Po Grenoble un petit air parisien qui n’était pas pour déplaire aux étudiants… Le directeur les retenait parfois à diner chez lui, accueillis par son épouse qui devait satisfaire leur appétit. Ainsi se nouèrent des relations d’amitié qui contribuèrent à renforcer les liens entre la Fondation nationale des sciences politiques et l’I.E.P. de Grenoble. Ces liens se développèrent en particulier en matière de recherche. Aussi, avec le concours de Pierre Bolle et de Charles Roig, je fus amené à orienter cette recherche vers l’étude de l’administration, de la régionalisation et de l’aménagement du territoire. Ce qui donna naissance à un centre de recherche reconnu à la fois par le C.N.R.S., la DATAR et la Fondation nationale des sciences politiques. En témoigna le colloque sur la planification comme processus de décision organisé en liaison avec la F.N.S.P. et tenu dans des locaux prêtés par le doyen Weil de la faculté des Sciences. Ce colloque réunit les principales personnalités du Commissariat au plan, de la DATAR et de la Fondation nationale des sciences politiques.

Dans le prolongement de ce colloque, le centre de recherche sur l’aménagement du territoire conclut avec la DATAR un accord pour publier chaque année un Annuaire de l’aménagement du territoire, qui fut, pendant plusieurs années, l’outil de travail rendant compte, de manière critique, la force et les faiblesses d’une politique publique qui ne fut pas étrangère au déroulement des « trente glorieuses » de la Ve République. Dans le même esprit, l’I.E.P. n’ayant pas compétence pour délivrer un doctorat de troisième cycle, celui-ci passa une convention avec la Fondation nationale de sciences politiques pour qu’elle puisse délivrer à des étudiants grenoblois le titre en question dans les mêmes conditions que des étudiants parisiens. Parallèlement, d’importants efforts furent entrepris en liaison avec l’Ecole nationale d’administration pour préparer des étudiants et de jeunes fonctionnaires aux concours administratifs, y compris l’E.N.A. C’est ainsi que Sciences Po dut accueillir plusieurs dizaines de stagiaires, ce qui nécessita pour assurer leur encadrement le recours à de nouveaux locaux ainsi que la création de nouveaux postes d’enseignants. Une annexe fut installée place de l’Etoile sous la direction successive de mes collègues Jacques Robert et Gustave Peiser. Parmi les stagiaires, l’un d’eux, Bernard Martin, fut recruté comme secrétaire général de l’I.E.P.

Un incident risqua un jour d’altérer les relations entre Sciences Po Grenoble et Sciences Po Paris. En effet, je reçus un coup de téléphone de Jacques Chapsal, directeur de l’I.E.P. de Paris ne faisant part d’une décision prise par la DATAR tendant à transférer la première année d’études de Sciences Po Paris à Grenoble ! Or je n’en avais pas été prévenu, telle est la raison pour laquelle je n’avais pas pu m’y opposer. Nous convînmes alors, Chapsal ayant reconnu ma bonne foi, d’organiser une concertation à trois : Sciences Po Paris, Sciences Po Grenoble et la DATAR pour examiner les mesures de décentralisation raisonnables qui pourraient être mises en œuvre. Il en résulta d’une part l’érection des I.E.P. de Bordeaux et de Grenoble en « IEP d’équilibre », d’autre part le transfert de la 1ère année de Sciences Po Paris à Nanterre, cette mesure ayant été supprimée après mai 1968 !

Si bien que de bonnes relations purent se rétablir entre la DATAR et la Fondation nationale des sciences politiques lors de la célébration du trentième anniversaire de la création de l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble. Celle-ci eut lieu sur le campus de Saint Martin d’Hères en même temps que l’inauguration de la première tranche du nouveau bâtiment de l’I.E.P. de Grenoble. Furent présents notamment le délégué à l’aménagement du territoire… et l’administrateur de la Fondation nationale des sciences politiques, Jacques Chapsal, qui prononça une conférence sur le système de partis sous la Ve République.

Notons, en effet, que ce bâtiment témoignait de l’autonomie prise par l’I.E.P. à l’égard de ses deux facultés de tutelle : Droit et science économique et Lettres et sciences humaines. Rappelons que les plans initiaux du campus avaient prévu que l’I.E.P. occuperait seulement un étage d’un vaste bâtiment qui accueillerait également l’Institut économique et juridique de l’énergie, l’Institut d’études sociales et l’Institut d’études commerciales. Il m’avait fallu beaucoup d’énergie, avec le soutien du doyen Weil de la faculté des sciences, pour obtenir la construction d’un bâtiment autonome pour l’I.E.P. Finalement, j’avais eu le libre choix de l’architecte, Monsieur Pouradier-Duteil, ce qui permit d’édifier la première tranche autour d’un patio où pourraient se détendre les étudiants à la sortie de leurs cours ou de leurs conférences de méthode.

J’avais d’ailleurs associé les étudiants à l’aménagement des nouveaux locaux. Et j’avais obtenu du conseil de perfectionnement que deux d’entre eux siègent en son sein, avec voix consultative, ce qui préfigurait Mai 68. En outre, une deuxième tranche de travaux était en vue. Et j’avais plus de facilité à obtenir un financement, exerçant des responsabilités au Ministère de l’éducation nationale. J’avais, en effet, été promu conseiller technique à la direction des enseignements supérieurs qu’occupait Pierre Aigrain, ami d’Hubert Dubedout. J’avais été chargé de dessiner les premiers Instituts universitaires de technologie (I.U.T.) calqués sur le modèle des I.E.P. et cette responsabilité m’amenait à faire la navette entre Grenoble et Paris. Cette tâche ajoutée à celle de directeur de Sciences Po Grenoble était lourde à porter tant pour ma famille que pour moi. En échange de quoi j’avais obtenu aisément le financement de la deuxième tranche de l’Institut. L’atmosphère était d’ailleurs au changement. Des colloques s’étaient tenus notamment à Caen à l’initiative d’une association présidée par André Lichnerowicz qui préconisaient la création d’universités à l’américaine. J’avais d’ailleurs été envoyé aux Etats-Unis pour observer leur développement. Et j’avais écrit avec mon collègue et ami Marcel Merle, directeur de l’IEP de Bordeaux, pour la Revue de l’enseignement supérieur un article intitulé : « Instituts d’études politiques ou Facultés des sciences sociales ? ».

L’on sentait qu’un vent du changement était prêt de souffler. Mais au lieu de venir du côté des professeurs des universités et de leurs syndicats, c’est sous l’impulsion des étudiants qu’il surgit pour donner naissance à « Mai 1968 ». C’est dans ce climat que survinrent ces « évènements ». L’I.E.P. les traversa aussi bien que possible. Mieux en tout cas que la faculté de droit et surtout la faculté de Lettres. Mais je dus abandonner, au moins provisoirement, mes responsabilités parisiennes ayant la charge du maintien de l’ordre à l’I.E.P. de Grenoble. En fait, ma double appartenance à l’I.E.P. et, comme professeur, à la faculté de droit me conduisit à participer aux tribulations des deux établissements. L’I.E.P. traversa sans trop de difficultés cette période difficile. Le seul incident provint des rapports difficiles qui s’établirent entre un ancien élève de l’E.N.A., dénommé Cospèrec qui s’était mis à la disposition du préfet de l’Isère et un historien, Pierre Broué, resté fidèle à Trosky. En revanche, l’agitation fut plus forte à la faculté de droit où l’assemblée des enseignants prit la place du conseil des professeurs. Et l’atmosphère fut plus agitée encore à la faculté des lettres où l’émergence des sciences humaines mit en difficulté les tenants des études littéraires traditionnelles.

Ma position à l’I.E.P. à mi-chemin de la faculté de droit et de la faculté des lettres me plaça naturellement au centre du débat. Et l’idée surgit de rapprocher les disciplines juridiques et économiques et les sciences humaines. Si bien que les démarches de Louis Weil et de Michel Soutif en faveur du maintien d’une université de Grenoble unifiée auprès du ministère n’ayant pu réussir, je m’engageai en faveur de la création d’une université des sciences sociales. Je fus alors élu président de son assemblée constituante, puis président de cette université, qui prit plus tard, à l’initiative de Bernard Pouyet le nom de Pierre Mendès-France. Ne pouvant cumuler cette fonction avec la direction de l’I.E.P., je donnai par conséquent ma démission de celle-ci. Et jean Leca, que je connaissais depuis longtemps puisqu’il avait été mon étudiant puis mon assistant à Alger, fut élu à ma place. S’ouvrit alors une longue parenthèse qui m’éloigna de l’I.E.P. et même de Grenoble. C’est ainsi que je devins successivement premier vice-président de la conférence des présidents d’université, puis conseiller technique du directeur des enseignants supérieur. Avant de retrouver un poste de professeur, cette fois à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. C’est en cette qualité que je me consacrai à l’étude de l’intégration européenne aux côtés de Jacques Delors, tout en enseignant à Sciences Po Paris et au collège de Bruges.

Mais lorsque vint le moment d’envisager ma retraite, je dus choisir entre la continuation de mon enseignement à Sciences Po Paris et mon retour à Sciences Po Grenoble. C’est cette solution que je choisis à l’invitation de son directeur François d’Arcy qui me confia la mission de mettre en place un système d’études européennes. Ce que je fis en collaboration notamment avec Maurice Croisat et Jacques Poisson. Je partageai alors mon bureau avec un nouvel arrivant : Olivier Ihl. François d’Arcy eut la délicatesse d’organiser une cérémonie à l’occasion de ma retraite qui réunit notamment les anciens directeurs de l’IEP de Grenoble ainsi que le fondateur de celui-ci en la personne de Jean-Marcel Jeanneney. D’aucuns diront peut-être qu’une carrière comme la mienne aurait du s’achever à Paris. Certes, je ne garde pas mauvais souvenir des enseignements dont j’étais chargé à Sciences Po, rue Saint Guillaume. J’avais succédé au doyen Vedel pour donner le cours de 1ère année d’institutions et vie politique. J’assurais également la direction d’un séminaire de doctorat sur les institutions européennes. J’étais devenu, à la suite du doyen Vedel et de Jean Leca, président de l’association française de science politique… J’étais enfin membre du Conseil du mouvement européen animé par Jacques Delors. C’est sans doute l’atmosphère même de Paris qui ne répondait pas à mes goûts et mes attentes, car j’avais conservé mon domicile principal dans la banlieue de Grenoble. Et il était plus facile d’achever ma carrière universitaire au lieu de mon domicile que de poursuivre ma navette entre Paris et Grenoble.

Voilà les raisons qui me firent revenir à Grenoble à l’invitation amicale du directeur de l’I.E.P. de l’époque : François d’Arcy. C’est là aussi que pour célébrer ma retraite un autre directeur, Henri Oberdorff, eut la délicatesse de faire coïncider mon départ à la retraite avec un colloque intitulé : « De la cinquième République à l’Europe »1. Il réunit, outre mes collègues de Sciences Po, la plupart des directeurs d’I.E.P. sous la présidence de Jean-Marcel Jeanneney qui avait été le fondateur de celui de Grenoble.

 


 

La mise en place d'un concours d'entrée

[Article paru dans notre magazine n°16 de Janvier 1998]

J.L QUERMONE, Directeur de 1958 à 1969 s'entretient avec André JULLIEN, SC PO 64.

ANDRE JULLIEN — Pendant un peu plus d'une dizaine d'années à la tête de l'I.E.P. de Grenoble, vous avez formé un nombre impressionnant de jeunes, qui sont aujourd'hui actifs dans pratiquement tous les secteurs de la vie française. Vous leur avez apporté une formation intellectuelle, professionnelle, citoyenne. Estimez-vous, par exemple, que le cadre formé à SC PO a une " tête bien faite " si on le compare à d'autres diplômés que vous avez rencontrés dans votre vie professionnelle ?

J.L. QUERMONNE — C'est vrai, en onze ans, j'ai formé de nombreux étudiants et vous me demandez ce que fut et ce qui est aujourd'hui leur rôle dans la cité. Si l'on remonte à la naissance et à l'organisation des I.E.P., on constate qu'ils furent créés pour former les cadres de la fonction publique, c'est le sens aujourd'hui des sections " service public " des I.E.P.

Les I.E.P. et l'E.N.A. ont accompli leur mission en essayant de donner aux fonctionnaires et aux futurs fonctionnaires une ouverture basée sur la pluridisciplinarité (Droit, Histoire, Géographie, Sociologie...) avec le risque de ne pas fournir à la nation des spécialistes. Ce risque a été limité pendant les premières années par la possibilité de mener des études parallèles (droit en particulier). Aujourd'hui, ceci nest plus possible, le cursus I.E.P. est un cursus à plein temps.

Au plan professionnel, il faut souligner l'originalité de l'I.E.P. : on y accède jeune, les études sont relativement courtes, ce qui conduit nombre de diplômés a essaimer ailleurs que dans l'administration, par exemple vers les banques ou les établissements publics, d'où le développement des Sections " Economiques et Financières ".

Les I.E.P. ne veulent en aucune manière concurrencer les Ecoles de Commerce mais souhaitent une ouverture moins étatique en particulier vers la communication et les affaires sociales.

On peut également ajouter à ces secteurs, l'attrait de " l'International ". Ce fut une longue démarche ; mon prédécesseur André MATHIOT avait ouvert la voie en attirant l'attention des étudiants par des cours sur l'Islam (Général RONDOT), l'Afrique du Nord (Fougères), les Nations Unies ou l'Economie Européenne.

Aujourd'hui, l'option " international " existe (pas à Grenoble pour l'instant) mais l'esprit est présent dans les I.E.P. ; Grenoble est en pointe pour les bourses ERASMUS et les séjours l'étranger. La dimension citoyenne, elle, est le produit de la pluridisciplinarité ; le souci des enseignants de Sciences PO de puiser leur enseignement aux sources les plus diverses donne à cet enseignement un label, un sérieux que beaucoup nous envient.

AJ — Il semble qu'aujourd'hui les jeunes Sciences PO s'impliquent peu dans la vie politique. Ceci est dû en particulier au poids des anciens, certes, mais on dit même que beaucoup d'étudiants ou de jeunes diplômés ne votent pas. Qu'en pensez-vous ?

J.L. QUERMONNE — C'est vrai que le climat actuel encourage peu les étudiants à s'engager. Autrefois, la puissance des idéologies forçait les adhésions, aujourd'hui avec la disparition des idéologies, l'attitude de tous ces jeunes est plus distante, nous devons y veiller.

AJ — L'IEP peut-il et doit-il jouer un rôle dans la formation des citoyens ?

J.L. QUERMONNE — Certes, les I.E.P. ont une mission en particulier vis à vis des enseignants ; il existe un projet de formation civique, l'I.E.P. Paris a organisé une université d'été avec les enseignants du second degré ; les I.E.P. n'ont, bien sûr, pas le monopole de cette formation, mais l'idée de coopérer avec les I.U.F.M. fait son chemin.

AJ — La formation intellectuelle joue un rôle essentiel dans le devenir de chacun mais, aujourd'hui, comme hier d'ailleurs, il faut entrer dans le monde du travail avec les meilleurs atouts. Les diplômés de Sciences PO sont-ils bien armés ?

J.L QUERMONNE — Le fait qu'aujourd'hui les études à l'I.E.P. constituent un plein temps incite les étudiants à poursuivre vers un DEA ou un DESS ; de plus, la situation de l'emploi oriente les diplômés dans cette voie afin qu'ainsi, ils soient en mesure de présenter à la société plus de diplômes, plus de qualification et estiment que le marché de l'emploi leur sera plus ouvert. Cela n'est pas toujours évident.

Les I.E.P. réfléchissent à la transformation de la scolarité, avec 2 motivations : l'une au plan académique, l'autre au plan international. En effet, il serait souhaitable de replacer le diplôme à un niveau correspondant mieux à sa qualité (Bac +5). Il en est d'ailleurs ainsi pour les formations de ce type en Europe et aux U.S.A. Or, la mobilité impose aujourd'hui de se situer sur le marché international. L'idéal serait de faire en sorte que le cursus Sciences PO comporte des périodes d'activités universitaires entrecoupées de stages de longue durée, de séjours à l'étranger. En fait, situer le diplômé dans un contexte d'études longues mais avec un contact réel et permanent avec la vie professionnelle tout au long du cursus.

Ce projet n'est actuellement que dans une phase de réflexion. Il faut cependant souligner que deux I.E.P. sont mieux armés que d'autres : il s'agit de Bordeaux et de Grenoble, retenus dès les années 60 comme I.E.P. "d'équilibre", équilibre avec Paris au moment où la DATAR envisageait de décentraliser vers Grenoble les préparations 1° année de l'I.E.P. Paris.

Grenoble avait suggéré d'assurer un équilibre entre Paris et les I.E.P. Bordeaux et Grenoble. Depuis, il existe des relations privilégiées et un dialogue permanent entre ces différents partenaires.

Ce sont eux qui sont à l'origine en 68 de la rédaction du statut des I.E.R. Depuis lors, ce sont des établissements publics rattachés à des universités, ce qui leur assure une autonomie de gestion, facteur essentiel de développement, tout en maintenant une coopération technique dans le cadre de la Fondation ; ceci à permis entre autres la création puis le développement d'un Centre de Documentation de qualité exceptionnelle.

En tant que Directeur des Enseignements Supérieurs, j'ai pu apporter une contribution à la qualité de l'enseignement des I.E.P. en mettant en place un concours d'entrée.

J.L. Quermonne — Aujourd'hui, Sciences Po, en terme de communication, est un concept bien identifié, un label. " Sciences Po " n'est pas une appellation, c'est un " mot de passe " ; certes, ILE.P. Paris a longtemps cherché à se le réserver, mais sous la pression des I.E.P. de Province, tous ont plus ou moins adopté cette appellation, y compris les deux derniers, Rennes et Lille. Tous les I.E.P. forment aujourd'hui une grande famille.

AJ — Quel a été pendant ces 11 années votre plus grand regret ?

J.L QUERMONNE — Ne pas avoir réussi à faire entrer au premier concours à l'E.N.A. (Etudiants) la même proportion de diplômés qu'aux concours fonctionnaires. L'I.E.P.G. a formé un nombre respectable d'énarques fonctionnaires, mais un nombre d'étudiants modeste : tous les Directeurs d'I.E.P. s'efforcent de modifier ce rapport. Il faudra éviter de " parisianiser " la fonction publique, même si ces " parisianisés " sont à l'origine des provinciaux.

AJ — Ces " parisianisés " que l'on qualifie volontiers de technocrates.

J.L QUERMONNE — Il est vrai que l'objection technocrate est souvent évoquée ; il est vrai aussi que le regard objectif porté sur la politique comporte une grande part d'appréciation critique

AJ — Votre plus grande satisfaction à la tête de l'I.E.P.G ?

J.L QUERMONNE — Avoir instauré une très grande mobilité entre Paris et Grenoble. De nombreux parisiens sont venus s'installer à Grenoble complètement ou à durée déterminée.

Des grenoblois ont fait une partie de leur carrière à Paris : G. Lavaud, J. Lecas et moi-même. Qui dit mobilité dit symbiose ; les I.E.P. sont en réseau ce qui fait leur force. Il y a une spécificité I.E.P. dans la communauté universitaire, un peu ce que l'on remarque à l'I.N.P.G., mais bien sûr l'I.E.P. reste dans l'Université Pierre Mendès-France et joue le jeu.

 

Parcours
1949-1952 Avocat à la cour d'appel de Caen
1952-1957 Professeur agrégé, faculté de droit de l'université d'Alger
1957-1977 Professeur agrégé à la faculté de droit de l'université de Grenoble
1958-1969 Directeur de l'IEP de Grenoble ? Jean-Louis Quermonne quitte la direction ?
1977-1989 Professeur des universités à l'IEP de Paris
1989-1996 Professeur des universités à l'IEP de Grenoble
1969-1974 Président de l'université des sciences sociales de Grenoble
1971-1973 Premier vice-président de la Conférence des présidents d'université
1974-1975 Chargé de mission auprès de Jean-Pierre Soisson, secrétaire d'État aux Universités
1975-1976 ? Directeur des Enseignements supérieurs et de la Recherche, ministère chargé des Universités ?
1981-1985 Membre du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie
1985-1989 Membre du Comité national d'évaluation des universités
1974-1985 Vice-président de la Fondation nationale des sciences politiques
1989 Directeur d'études et de recherche
1995-2000 Président de l'Association française de science politique

 

L'interview "Votre rêve de l'Europe" avec Jean-Louis Quermonne, docteur en droit, professeur émérite des Universités en sciences politiques à Grenoble, réalisée en janvier 2010, à Grenoble.

 

 

 

Photos prises en 1996

De gauche à droite : Yves Schemeil, François d'Arcy, Henri Oberdorff, Jean-Louis Quermonne, Jean Leca

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De la Cinquième République à l'Europe
Hommage à Jean-Louis Quermonne

De la Cinquième République à l'Europe : c'est le récit d'une confrontation entre deux projets politiques forts et la résultante d'une interaction sans cesse croissante. Face à face ou intégration ? A plus d'un titre, la construction européenne vient déstabiliser l'équilibre du système politique français. L'enjeu européen se constitue en révélateur de clivages inédits qui évoquent des univers culturels bien plus que des positions partisanes clairement identifiées. Par contraste, la construction de l'Europe met ainsi en lumière ce qui fait la particularité de la Cinquième République.
L'interaction de la Cinquième République et de l'Europe fait naître encore plus d'interrogations sur l'avenir du service public et de la fonction publique à la française. La réforme de l'État, qui se développe dans tous les pays d'Europe, paraît entériner une logique libérale qui se trouve plus ou moins relayée par les autorités de Bruxelles. Le pouvoir d'État est battu en brèche. La France peut-elle alors conserver sa spécificité politique ? La résistance des institutions et des élites, au niveau national comme au niveau local, qui peut être mise sur le compte aussi bien de l'archaïsme que d'une possibilité étonnante d'absorption et d'adaptation, rend l'intégration européenne encore plus délicate. La mise en œuvre des politiques de l'Union et la réorganisation du travail gouvernemental impliquent un long travail d'apprentissage. L'Europe est avant tout celle des réseaux et des groupes de pression. Une nouvelle pratique du pouvoir se met en place qui appelle à davantage de compromis et permet d'imaginer de nouvelles légitimités.

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18/01/2021

 
 

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