Irène Suzanne D était la soeur aînée de la grand-mère maternelle de l’autrice. Mais Irène représente quelque chose de plus indéfinissable et de plus vaste : « Irène revient, par intermittence, feu follet sans nuit pour briller. Elle est là invisible, silencieuse à mes côtés, me soufflant discrètement par bribes qui elle fut. » Elle naît à Casablanca en 1920 de parents émigrés et installés dans le récent Protectorat. Dans un entre-deux-guerres pas si pacifié, parmi des existences déviées, dans un Maroc colonial divisé, et des maladies endémiques dangereuses et occultées. Irène meurt dans sa vingt-quatrième année, au début l’été 1944, d’une énigmatique maladie du coeur. D’elle, presque tout s’est effacé. La narratrice part à sa recherche, figure de ces jeunesses foudroyées qui n’ont laissé aucune aspérité, aucune trace. Irène a une portée romanesque qui déclenche le désir d’écrire, jusqu’à mener une enquête familiale sur la mort et le coeur d’Irène.

Irène est aussi l’autre nom pour dire la tendresse entre soeurs. Un talisman qui préserve de toute séparation. Frédérique Berthet emprunte des chemins détournés, en suivant des femmes qui deviennent à ses yeux dans le livre comme des soeurs pour Irène : des soeurs de cinéma (Pascale Ogier, Irène Jacob), ou des soeurs de destinées (telle une petite Monique Hélène R. née en 1936, la même année que Georges Perec et cachée comme lui pendant l’Occupation).

C’est un livre sur la transmission : héritage manifeste ou secret, réel ou symbolique. Sur la mémoire : les générations, les souvenirs d’enfance. Sur les preuves matérielles (noms, papiers, photos, vêtements, paysages, ruisseaux, maisons) et les traces sensorielles. Et sur leur absence.