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« Credit Analyst »

 

Jean-Francois VILLARD (1987 EF), Credit Analyst chez Extraco Banks à Waco.

J'ai fait Sciences Po par hasard. Je n'avais pas de plan, pas de réseau, pas d'ambitions. Un de mes copains de lycée, Alain Azoug, allait à Lyon pour s'inscrire au concours d'entrée. Je suis allé avec lui et comme ça ne coûtait rien, je me suis inscrit aussi. Il s'est planté, moi j'ai passé ric rac parce que j'avais une mention bien au bac (B).

J'ai intégré Lyon et j'ai détesté tout de suite. J'étais un plouc de Roussillon, Isère, et je côtoyais les petits bourgeois de la bonne société lyonnaise et autres. Et puis parler pour ne rien dire, et faire des exercices de style n'était vraiment pas mon truc. J'ai quand même eu un très bon professeur d'économie dont je me souviens encore: Daniel Dufourt. Il avait écrit un bouquin, L'économie mondiale comme système, aux PUL. J'adorais ce type qui démontait pour nous toutes les théories économiques avec plein d'idées intéressantes.

Il y a deux autres profs dont je me souviens :
Un Lieutenant-Colonel (appelé en Algérie) qui nous faisait des cours d'histoire de la Révolution Française. Il a dit deux choses que je n'ai pas oublié : "La noblesse française a fait son devoir honorablement dans les armées de la Révolution" et "la vitesse d'un convoi est limitée à la vitesse de son véhicule le plus lent".
Un autre prof d'histoire dont j'ai oublié le nom qui nous a dit : "La guerre, on en revient toujours. Pas tous, mais toujours." Je me suis toujours demandé depuis si je serais revenu de la guerre si j'avais eu à la faire.

J'ai un autre souvenir de ma première année. Michel Debré est venu rendre visite et a fait un discours. Je m'étais mis au fond, près de la porte, m'attendant au pire. Il a regardé l'audience, toutes années confondues (1, 2 et 3) et il a dit, d'une voix très grave : "Mesdemoiselles, messieurs, vous êtes l'élite de la France". J'ai senti un frémissement dans l'amphi. On ne peut pas inventer des trucs comme ça. Il faut les voir pour les croire. Je suis sorti sans écouter le reste, et je suis allé dans un bar derrière l'IEP qui s'appelait Chez Muche. Le propriétaire avait des sandwiches épatants au saucisson aux herbes. J'y claquais tous mes sous.

Sinon, c'est à Lyon qu'en 1985 j'ai lu Elites in French Society - The Politics of Survival d' Ezra N. Suleiman (et d'autres livres sur le même sujet aussi) et que j'ai réalisé le niveau de corruption et d'incompétence des élites bureaucratiques Françaises, et l'appareil cauchemardesque de leur production : Grandes Écoles, Sciences Po, ENA. Je me suis vraiment mis à ne plus aimer la France, et à songer à un futur ailleurs.

Je me suis planté en seconde année. Mes parents avaient déménagé de Roussillon à Pont de Claix l'année précédente, j'ai donc demandé à redoubler à Grenoble. Comme j'étais en Amérique pour Juillet-Août, c'est ma chère petite mère qui s'est coltiné d'assurer ma défense devant les directeurs des IEP de Lyon (Georges Mutin, un spécialiste du Maghreb et un brave homme) et de Grenoble (J'ai oublié son nom, mais sympa). Ma mère est une femme charmante et sans prétentions, elle m'a défendu avec son cœur sur la main, et comme j'avais un bon dossier et une mention bien au bac (A celle-là, elle a vraiment été la chance de ma vie), (Georges Mutin a appuyé ma demande et l'autre a dis d'accord.

J'ai aimé Grenoble. Je vivais chez mes parents, et le corps étudiant était très différent des petits bourgeois de Lyon. J'ai passé Eco-fi et j'ai fait l'école buissonnière avec Jean-Philippe Thiélan, qui m'emmenait manger à La Table Ronde et me faisait beaucoup rire, surtout quand il se moquait de l'esprit Sciences Po et de ce qu'il appelait "la compétence statutaire." Notre objectif avoué à l'époque était de gagner plus de 10 000 francs par mois avant d'avoir 40 ans.

J'ai aussi rencontré Pierre George, un type qui bossait dans la production des boîtes de vitesse pour Peugeot et qui nous faisait rire en se décrivant comme "un graisseux de la production." Et Nicole Rebillard, qui était en ce temps-là au BDE. Elle parlait toutes les langues et elle pouvait taper à la machine, ce que je trouvais extraordinaire. Et elle avait un beau sourire qui te faisait sentir chez toi.

Nous avons tous eu notre diplôme deux ans plus tard, moi sans gloire, grâce à mon mémoire sur la stabilité des coefficients beta sur la bourse de Lyon pour lequel mon comité, n'ayant rien compris, m'a décerné un brillant 16 sur 20. C'est une histoire trop longue à raconter, mais c'est le souvenir le plus mémorable de toute ma scolarité française.

L'Amérique, c'est le hasard aussi. Quand j'avais 15 ans (1980), j'ai rencontré une jeune américaine qui m'a tapé dans l'œil. Je lui écrivais des lettres au rythme d'une tous les trois mois, à peu près. C'est comme ça que j'ai appris l'anglais. Je voulais la séduire. En Juin 1983, l'année de mon bac je lui ai envoyé LA lettre qui a changé ma vie pour toujours. Elle commençait par deux vers de Victor Hugo :

Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.

Je me suis bien gardé de lui donner le reste du poème. : ). Donc, Sciences Po m'a dégoûté de la France, et la fraîcheur d'une américaine a fait le reste.

J'ai quitté la France en décembre 1988. Mon ami Pierre George m'a demandé pourquoi je partais. Je lui ai répondu : "Pierre, je peux passer les 30 prochaines années à essayer de convaincre mes concitoyens d'apprendre l'économie et d'enfin embrasser le marché, la transparence et la concurrence, ou je peux aller voir ailleurs. La vie est trop courte. Je pars. Sinon, je regretterais de ne pas l'avoir fait pour le reste de ma vie".

J'ai eu mon MBA en Juin 1990 d'une université pas du tout prestigieuse. J'ai épousé l'américaine en août 1990. Il y avait une petite récession, j'étais étranger, je ne connaissais personne, ma femme étudiait à Georgetown University pour son doctorat de relations internationales et il fallait faire bouillir la marmite. Quand le supermarché à côté de chez moi a annoncé qu'il embauchait, je me suis mis dans la file des candidats. Mon interview s'est passée debout, en plein hiver, devant la porte de l'entrepôt, derrière le magasin. La femme ne m'a posé qu'une seule question : "Etes-vous près à raser votre barbe ? Dans l'alimentaire, c'est nécessaire." J'ai dit oui. J'ai été embauché sur le champ pour devenir caissier à mi-temps a $7,25 de l'heure à Giant Food, ce que j'ai fait pendant 1 an et quelques mois, 40 heures par semaine plus les week-end quand je pouvais. J'ai toujours aimé les supermarchés depuis.

Plus tard, j'ai été assistant-manager dans une petite chaîne de détails (7 mois), manager de bureaux et d'entrepôts et consultant (8 ans), et puis j'ai eu un coup de bol pas possible quand j'ai été embauché, sur candidature spontanée, par une boite qui achetait des crédits commerciaux en difficultés. J'ai tout appris sur le tas et ça m'a ouvert des horizons passionnants sur la banque et la petite et la grande finance, sur la valeur, la découverte des prix et les marchés aux enchères. J'ai fait ça pendant 17 ans, et puis comme le business est devenu trop compétitif et trop incertain pour mon goût, je suis passé à l'ennemi pour devenir analyste financier pour une petite banque de mon bled où je roupille la moitié du temps tellement c'est conventionnel et bien pensant. Mais je sais jouer à ce jeu là quand il faut.

Jean-Francois VILLARD
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25/03/2021