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Ariane Lavrilleux

 

Ariane Lavrilleux (IEPG – EDJG 2010) après sa garde à vue : “Plus nous sommes attaqués, plus nous nous mobilisons pour continuer d’enquêter”

Sa récente garde à vue à Marseille a remis au centre du débat la protection des sources journalistiques. Ariane Lavrilleux est diplômée de Sciences-Po Grenoble, dont elle a fréquenté les bancs de 2005 à 2010. Dans une enquête parue en 2021 sur le site disclose.ngo et dans l’émission Complément d’enquête, elle a mis en lumière, avec d’autres journalistes, l’utilisation par l’Égypte d’informations fournies par l’armée française afin d’assassiner des civils. Le mardi 19 septembre, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a perquisitionné son domicile marseillais pour remonter jusqu’à sa source, puis l’a placée en garde à vue. L’objectif de cette composante des services de renseignement était d’identifier la source qui lui a fourni les documents classés secret-défense sur lesquels se basent les articles de Disclose et le numéro de Complément d’enquête.

Pour l’Association des Diplômés de Sciences-Po Grenoble, Ariane Lavrilleux a accepté de donner son point de vue sur la menace que fait peser sa mise en garde à vue sur la protection des sources et sur le bon fonctionnement d’une démocratie.

Peu de temps après votre garde à vue, comment allez-vous ?
Ça va comme après être sortie de 40 heures de garde à vue… Disons que je tiens. Je tiens grâce à la mobilisation qui s’est manifestée pour ma libération, mais surtout pour rappeler et défendre l’importance de la protection des sources, gravement atteinte voici deux semaines par la perquisition de mon domicile et par ma garde à vue, ce qui est assez inédit pour une journaliste. Donc je suis assez fatiguée, mais je tiens parce que cela a déclenché une énorme mobilisation de la profession, qui est appelée à s’amplifier.

Vous attendiez-vous à cette mobilisation ?
Non, pas spécialement. J’étais concentrée à sortir entière de cette garde à vue, ce qui n’était pas gagné compte tenu de mon état physique. Les collectifs de journalistes avaient appelé à manifester devant l’hôtel de police de Marseille, donc je les entendais crier “Libérez Ariane !” quand j’étais interrogée. Mais je n’avais pas du tout idée qu’il y avait eu des manifestations ailleurs en France et que cela avait pris beaucoup plus d’ampleur.

Vous avez été interrogée par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), qui fait partie des services de renseignement. Comment résiste-t-on aux méthodes de manipulation de ces policiers particulièrement expérimentés ? Étiez-vous préparée ?
Je savais que je pouvais opposer le droit au silence, comme tout gardé à vue. Mon avocate me l’avait dit et me l’a redit le matin, lorsque l’on s’est vu une demi-heure avant que les auditions ne continuent. Elle me l’a martelé et je me suis accrochée à cela toute la journée.
Les policiers de la DGSI essayent de vous déstabiliser. Outre l’audition, ils vous parlent également au moment de vous raccompagner en cellule, durant les transferts. Ils vous font attendre exprès pour pouvoir poser des questions, apparemment anodines, mais qui sont là pour vous faire chuter. Ils n’ont cessé d’insister en me demandant pourquoi je m’opposais à la manifestation de la vérité. Ils m’ont affirmé que je risquais cinq ans de prison… En plus de cette pression, une autre s’exerce, plus insidieuse. Ils n’hésitent pas à vous flatter, à vous dire que vous êtes passionnée par votre métier et qu’eux font juste le leur… C’était le classique good cop / bad cop (“gentil flic / méchant flic”).

Existe-t-il une possibilité que vous soyez mise en examen très prochainement ?
Oui, c’est tout à fait envisageable. De toute façon, les faits de compromission du secret de la défense nationale sont caractérisés depuis 2021 et la publication des articles. Donc ils peuvent très bien me mettre en examen, et ils auraient très bien pu le faire sans perquisitionner chez moi. Ils auraient également très bien pu mettre en examen tous les co-auteurs de l’article. Alors oui, on s’attend à une mise en examen dans les prochaines semaines. Ce serait un nouveau cap franchi.

Le but de la perquisition était donc de trouver vos sources ?
Oui. Étant donné que le délit était déjà caractérisé, la seule chose qui intéresse la DGSI et les enquêteurs, c’est de trouver les sources de Disclose et de Complément d’enquête, les deux médias qui ont travaillé sur cette investigation.

Qu’est-ce qu’une telle arrestation dit de la situation des journalistes en France ?
C’est très grave. Cela arrive après une suite d’attaques, d’intimidations de journalistes : des convocations, des auditions, des gardes à vue… La semaine de ma perquisition, trois journalistes de Libération ont été inquiétés par la police pour des enquêtes sur des violences policières. Cela montre que mon cas n’est pas du tout isolé. Ce nouveau cap franchi dans les atteintes à la liberté de la presse a été rendu possible par la banalisation des attaques contre les journalistes depuis plusieurs années, et particulièrement depuis le premier mandat d’Emmanuel Macron.

Le Règlement européen sur la liberté des médias, sur lequel le Parlement européen s’est prononcé le 3 octobre dernier, va entrer dans la phase suivante de négociation communautaire. Lors des discussions antérieures, la France faisait partie des États ayant défendu la possibilité, pour un gouvernement, d’espionner les journalistes au nom de la sécurité nationale. Qu’est-ce que cela traduit ?
L’État français a joué un grand rôle pour que cette possibilité d’espionnage soit intégrée dans ce texte, et que l’on puisse utiliser des logiciels espions contre des journalistes, au nom de la sécurité nationale. Cette notion n’est évidemment pas définie. Elle est très floue, ce qui permet de l’invoquer à tort et à travers. On l’a vu dans mon cas, où elle sert à tenter de cacher la complicité de la France dans des crimes perpétrés par l’État égyptien. Cette disposition permettrait de généraliser ce qui m’est arrivé. Aujourd’hui, tout le monde s’indigne parce que c’est très grave, mais si ce texte passe, ce sera possible de traquer toutes les sources des journalistes, et pas seulement parce que l’on aura dévoilé des dossiers classés secret-défense. La notion de sûreté nationale est encore plus vague que celle de “confidentiel-défense”. Ce texte devrait s’appeler “règlement contre la liberté des médias”. S’il passe, c’est une catastrophe pour tous les journalistes d’Europe.

Les États-généraux de l'information se sont ouverts cette semaine. Qu’est-ce que vous en attendez ?
J’en attends énormément. C’est une idée du Président de la République, qui à plusieurs reprises s’est exprimé publiquement pour défendre la liberté de la presse. Quand il s’est rendu en Égypte, en janvier 2019, j’étais présente à la conférence de presse au cours de laquelle il avait interpellé directement le Président égyptien en lui rappelant que ce n’était pas une bonne idée d'emprisonner des journalistes. Compte tenu de ces paroles assez fortes, tenues publiquement, j’attends de ces États-généraux, qui restent relativement indépendants de la présidence, que la question de la protection des sources soit centrale : le point numéro un. Et qu’il en ressorte des propositions très concrètes pour changer la loi Dati de 2010, qui comporte énormément de failles ayant permis mon arrestation. Il faut changer cette loi et réfléchir à la constitutionnalisation de la protection des sources, ainsi qu’à toute une série de mesures qui permettraient de la renforcer. Elle est aujourd’hui en grave danger.

Ces intimidations de la DGSI pourraient-elles changer vos manières de travailler à l’avenir ?
Non, au contraire ! Plus nous sommes attaqués, plus nous nous renforçons et nous mobilisons pour continuer d’enquêter. Disclose ne compte que trois salariés. De mon côté, je suis indépendante. Le travail produit par Disclose demande énormément de ressources et de moyens. La structure ne survit que grâce à des dons, et ce n’est pas évident : nous ne sommes pas Le Monde ni France Télévisions, on doit se débrouiller avec les moyens du bord. Mais d’un point de vue éditorial, notre détermination est plus forte que jamais. Depuis que je suis sortie de garde à vue, on nous contacte pour nous dire : “Vous devriez enquêter là-dessus”. Ces attaques ont montré à un grand nombre de personnes, qui ont envie de sortir du silence, qu’ils peuvent se tourner vers nous. Il se trouvera toujours des journalistes qui n’ont pas froid aux yeux. En prendre conscience fait du bien à beaucoup de gens.

Propos recueillis par Camille Stineau et Victor Bolzer (étudiants en M2 Sciences Po Grenoble – Ecole de journalisme de Grenoble).

 

Vous pouvez décrouvrir ici le portrait d'Ariane Lavrilleux réalisé en mars 2018.

 

04/10/2023

 
 

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