Ariane LAVRILLEUX (2010 PO) - Journaliste
Peux-tu te présenter rapidement ?
J'ai 30 ans et suis journaliste indépendante au Moyen-Orient et basée en Egypte. Je suis la correspondante de plusieurs radios francophones telles que BBC Afrique, Europe 1 et RTS (Suisse)
Pourquoi Sciences PO ? Pourquoi ta section ou ton master ? Pourquoi avoir fait une formation complémentaire après Sciences Po ?
Quand je sortais du bac je voulais être journaliste
et mon petit copain de l'époque m'avait dit qu'il y avait une voie
dite royale pour ça : Science-Po, pour ensuite avoir une chance
d'intégrer une des écoles de journalisme "reconnues".
à l'époque je n'avais pas réalisé, que 5 ans
d'étude c'est déjà long et cher... alors 5+3 c'était
trop! après mon master Journalisme donc, j'ai choisi l'ESJ en alternance
car je ne voulais pas repartir pour 2-3 ans de cours et avais déjà
une petite expérience en radio via des stages et engagements associatifs...
et surtout l'alternance c'est gratuit, et on gagne même un peu d'argent,
car techniquement c'est du travail ! Pourquoi avoir choisi de poursuivre
après mon master journalisme ? parce que je sentais bien qu'il
me manquait qqch pour faire mon trou en radio : j'étais à
Nantes, pigiste à France Bleu, ramassant les miettes des 5 autres
pigistes quand j'avais la chance que l'un d'entre eux soit malade. J'étais
donc principalement au chômage.
Je crois avoir choisi la section Politique, mais je ne suis pas sûre...
comme quoi, à l'époque en tout cas, je ne crois pas que
le choix soit déterminant.
Quel a été ton parcours depuis Sciences Po Grenoble
?
J'ai été pigiste-chomeuse à Radio France qui rafolait de pigistes mal payés pendant 6 mois puis j'ai intégré l'ESJ Montpellier-Lille en alternance avec Europe 1 (en 2011). En 2013, j'ai été embauchée en cdi à l'issue de mon alternance en tant que reporter. J'étais la première à Europe 1 à etre embauchée après une alternance et de manière générale en radio ce n'est pas très courant. En 2016, j'ai pris une année de congé sans solde pour aller en Egypte apprendre l'arabe et piger pour différents médias presse écrite et radio. Je suis revenue à la rédaction d'Europe 1 à mon poste de reporter puis j'ai finalement décidé en janvier 2017 de m'installer définitivement en Egypte en tant que journaliste freelance. Je travaille depuis pour BBC Afrique, Europe 1, Le Point, RTS, La Libre Belgique et d'autres titres occasionnellement.
Quels sont les choix que tu as faits, et pourquoi ?
J'ai fait le choix de l'indépendance plutôt
que de la sécurité du CDI dans une grande rédaction
parisienne pour être ma propre rédactrice en chef et choisir
ma propre ligne éditoriale. Je m'intéresse en particulier
au changements sociétaux en Egypte et au Moyen-Orient, à
la jeunesse, aux femmes puissantes qui peuvent nous inspirer et brisent
les petites cases dans lesquelles notre regard d'occidentaux les enferment
souvent.
L'indépendance me permet également de publier ces histoires
dans différents formats : vidéo, radio, print + en anglais
et en français et de leur donner ainsi une plus grande visibilité.
Avec la liberté cependant vient l'insécurité et/ou
l'instabilité, particulièrement dans un pays qui nourrit
une méfiance particulière à l'égard des journalistes
étrangers. Le métier de correspondant permet néanmoins
d'appréhender bien mieux la réalité d'un pays (et
donc son niveau d'insécurité, et les limites à ne
pas franchir) que lorsque l'on est envoyé spécial 10 ou
15 jours.
Etre correspondante pourtant n'a jamais été un rêve
de jeune journaliste, c'est une ambition qui s'est construite petit à
petit au fur et à mesure de mon expérience dans une rédaction
jeune et dynamique comme Europe 1. C'est d'ailleurs l'expérience
dans une rédaction qui m'a permis de me projeter avec moins de
crainte dans le grand bain du pigisme, car en ayant suffisamment baigné
dans une rédaction j'appréhende mieux les attentes des rédacteurs-trices
en chef... pour pouvoir aujourd'hui leurs vendre efficacement des sujets
!
En quoi consiste ton travail ?
Continuellement apprendre (de) l'arabe. Suivre l'actualité du Moyen-Orient et de l'Afrique. Proposer des sujets, les faire. Et assurer toute la partie administrative + de fixing liées à ces reportage. Puis relancer les rédac qui oublie de te payer :)
Pourquoi avoir choisi ce secteur d’activité, cette fonction ?
Parce qu'à 18 ans j'étais en colère contre le traitement médiatique de beaucoup d'infos. Je trouvais que les infos n'étaient pas claires et pas assez détaillés, les mots utilisés compliqués (l'expression "par contumace" m'énervait beaucoup à l'époque) dans les journaux ou à la TV. Je trouvais que ça manquait de making of, je voulais que le/la journaliste m'explique pourquoi il écrivait telle affirmation (type "les français n'aiment pas la réforme"), bref j'avais soif de rigueur et de reportages "positifs" dans les journaux. Je voulais aussi être rédactrice en chef parce que je voyais qu'il y avait très peu de femmes rédactrices en chef, j'avais envie de diriger une radio ou un journal régional pour avoir une prise sur un territoire et mener des investigations.
Intérêt de ta fonction, du secteur ?
Pas le salaire c'est sûr, et c'est d'ailleurs un
problème pour les jeunes défavorisés : comment entrer
dans un métier ultra-précarisé si tu dois payer un
loyer exorbitant pour décrocher un stage qui ne te mènera
pas à un contrat ?!
L'intérêt est intellectuel : croire qu'on peut aider et s'aider
nous-même à comprendre un peu mieux les nuances du monde
dans lequel nous vivons.
Selon toi, que t’a apporté Sciences Po Grenoble ? / Quels souvenirs gardent-tu de Sciences Po Grenoble ?
Je garde des souvenirs des amphi sur l'Histoire de la
révolution sous le prisme du genre (Mathilde Dubesset), passionnant
qui m'a ouvert les yeux tout en me faisant découvrir la fermeture
d'esprit dont font preuve des étudiants de Sciences Po censés
avoir choisi cette formation pour son ouverture.
Sciences Po est indissociable pour moi de la période des grèves
contre le CPE en 2005, qui fut une expérimentation grandeur nature
des concepts qu'on recopiait consciencieusement sur nos cahiers - parce
qu'à l'époque très peu d'étudiants avaient
des ordi en amphi.
Je fus également élue au conseil d'administration dans une
liste élue sur un slogan de 'transparence' ... une expérience
qui fut un bon apprentissage des rapports de force et des limites de la
démocratie représentative. Globalement, Sciences Po fut
une formation importante qui donne des clés pour toujours chercher
la petite faille/la petite bête dans des raisonnements et faits
communément admis. Le master journalisme permettait aussi de se
familiariser avec les outils et méthodes journalistiques tout en
gardant un regard critique sur sa pratique, c'était assez salutaire
comme démarche et important je crois pour la suite.
Quels conseils donnerais-tu à des étudiants ou des jeunes diplômés de l’IEP ?
N'ayez pas peur de l'avenir. Je me souviens des crises de panique que provoquaient les sélections pour les master comme si le reste de notre vie se jouait dans une salle de classe. Après leur master, beaucoup en refont un autre, ou finalement sont embauchés dans un autre secteur... Sortez de l'IEP, prenez des cours de langue à l'extérieur, participer dans des associations hors de l'IEP, hors du campus. Sciences Po est pluridisciplinaire ça ne veut pas dire qu'il faut tout en attendre. Contactez des anciens. n'ayez pas peur de vous planter. Jouez collectif : échangez-vous les bons plans et contacts on vous le rendra toujours. Regardez les bourses pour poursuivre des bourses à l'étranger, elles sont bien plus nombreuses que ce que l'on croit.
Comment vois-tu la suite de ta vie professionnelle ? / Où te vois-tu dans 5 ans ? Dans 10 ans ?
Ahahah a priori toujours journaliste freelance tournée vers le Moyen-Orient ou rédactrice en chef d'un média très proche de ses lecteurs/auditeurs (comme une radio locale) et/ou intensément basé sur une communauté de lecteurs avec qui inter-agir (type bondy blog).
Que penses-tu de l'importance des stages durant les études, l'excellente connaissance des langues et la nécessité du réseau ?
J'ai eu 3/20 au concours d'entrée à l'épreuve
d'anglais... J'ai finalement appris l'anglais en M1 grâce à
Erasmus en Angleterre. Je n'ai pas beaucoup dédié d'efforts
aux langues pendant ma scolarité et le paye aujourd'hui par une
oreille peu encline à apprendre des langues... Donc j'encourage
vivement les étudiants à le faire... d'autant qu'il y a
plein de programmes aujourd'hui en ligne.
Les stages ont été essentiel non pas pour avoir du travail
- faut pas rêver non plus! - mais pour commencer à tisser
un réseau essentiel pour faire carrière dans le journalisme.
C'est grâce à mes micro-stages à France Inter en master
que j'ai pu nouer des contacts indispensables pour la suite de ma carrière
: grâce à une rédactrice en chef rencontrée
en stage j'ai pu ainsi partir légalement en Egypte en 2016. Ce
métier est éreintant et fait de pics et de chutes : avoir
des contacts avec des journalistes expérimentés que l'on
peut appeler pour demander conseil est aussi indispensable pour garder
l'estomac accroché dans ces montagnes russes.
Ariane LAVRILLEUX
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