Eric Conan, 1976 SP
Après Libération, Le Monde et L’Express,
Eric Conan (SP76) est aujourd’hui journaliste à Marianne.
Un parcours atypique qui commence…aux hôpitaux de Paris.
Egalement auteur de trois livres sur le régime de Vichy, il porte
un regard acerbe sur la profession, ou plutôt ce qu’elle
en devient.
La cinquantaine élégante, Eric Conan sirote son café,
le dernier exemplaire de Marianne sous la main. « L’envie
de devenir journaliste m’est venue à la lecture des journaux
et à l’habitude de polyvalence que l’on acquiert
à Science Po. C’est le métier qui permet le plus
de satisfaire sa curiosité et où l’on se lasse le
moins. »
Ce savoyard a pourtant commencé sa carrière aux hôpitaux
de Paris, mais jamais il n’a perdu de vue son désir de
devenir journaliste. Eric Conan a passé les concours «
par sécurité ». PrepENA d’abord, où
il a été deux fois admissible. L’Ecole Nationale
de la Santé Publique (ENSP), ensuite. Pendant trois ans, Eric
Conan a été assistant de direction à l’Assistance
publique de Paris, à la direction des équipements. Il
s’est occupé, entre autre, des projets de construction
des hôpitaux Pompidou et Robert Debré, mais, il a toujours
continué d’écrire. « Dès 1976, j’ai
commencé à écrire pour la revue Esprit, alors que
j’étais encore à Science Po. » En 1981, l’occasion
qu’attendait Eric Conan pour se lancer dans le journalisme se
présente enfin. Libération redémarre après
plusieurs crises et la suspension de sa parution : le quotidien recrute
alors de nombreux journalistes. Eric Conan démissionne des hôpitaux
et intègre le service santé de Libération. «
C’était l’époque du Sida qui était
un sujet très sensible. » Il y restera pendant six ans
jusqu’à ce qu’avec d’autres journalistes, il
entre en conflit avec Serge July, alors rédacteur en chef. «
C’était l’époque où Libé était
la coqueluche de toute la presse et tout le monde voulait des journalistes
de Libé, remarque-t-il, témoin d’une époque
révolue. J’ai d’abord intégré Le Monde,
puis L’Express. »
L’Express, « décapité et tiède
»
L’Express, où il restera vingt ans, au sein du service
société. « J’ai réalisé de nombreuses
enquêtes dans différents domaines. Des vraies enquêtes
sur plusieurs semaines, voire plusieurs mois. A ce moment-là,
on nous donnait les moyens et le temps d’en faire. » Pendant
cinq ans, il travaillera particulièrement sur la mémoire
de Vichy. « J’avais un oncle résistant donc j’ai
toujours eu un intérêt pour cette période. Et puis,
c’était l’époque des procès fleuve,
l’actualité s’y prêtait. » Eric Conan
écrira même trois livres sur cette période, dont
un avec l’historien Henry Rousso (« Sans oublier les enfants
», « Vichy, un passé qui ne passe pas », «
Le procès Papon, un journal d’audience »). Et puis,
en 2006, L’Express est racheté par le groupe belge Roularta.
« L’Express a sombré. Ca n’a plus été
possible de faire des enquêtes, déplore-t-il. Le directeur,
avec qui je m’entendais bien, est parti. Je ne voyais pas l’intérêt
de rester dans un journal décapité, sans moyens et tiède,
alors j’ai fait jouer ma clause de conscience. » Cette clause
spécifique aux journalistes qui permet au salarié de quitter
le titre en cas de changement d’orientation, en percevant de confortables
indemnités. Eric Conan part alors pour Marianne, « le périodique
le plus intéressant. Marianne fait l’inverse de tous les
autres. Les autres sont des rédactions énormes qui tournent
avec des jeunes sous-payés, ce qui est scandaleux. Marianne,
c’est une toute petite équipe dans de petits locaux, avec
des gens polyvalents et bien formés, plutôt âgés
et très bien payés. » Il faut dire que l’hebdomadaire
de Jean-François Kahn se porte plus que bien. Marianne dépasse
aujourd’hui les 300 000 exemplaires. Sa diffusion a progressé
de 34 % en 2007 (chiffres OJD) : la plus forte progression des newsmagazines.
« Les journalistes sont de plus en plus mauvais »
En revenant sur sa carrière, Eric Conan reconnaît que c’est
la PrepENA qui l’a le plus aidé, « davantage que
Sciences Po lui-même. La PrepENA forme à rédiger
et à travailler très vite. On doit rédiger des
notes de synthèse en cinq heures sur des dossiers épais
comme des dictionnaires : ça forge un esprit de synthèse.
» Eric Conan fait partie des journalistes qui portent un regard
critique sur les écoles de journalisme. « Les journalistes
sont de plus en plus mauvais et c’est à cause des écoles
: ils sont formés à des recettes, déplore-t-il.
Or, ce qui fait un bon journaliste, c’est sa curiosité,
son recul et ça, ça ne s’apprend pas dans les écoles.
» Il regrette l’époque où les journalistes
avaient des parcours très différents et pouvaient se former
sur le tas. « Aujourd’hui, ce sont des gens qui sortent
tous du même moule. A Libération, nous avions des stagiaires
des écoles de journalisme tous les étés et les
stagiaires les plus intéressants étaient ceux qui ne sortaient
pas des écoles. » Toutefois, Eric Conan est conscient que
passer par une école représente un sésame aujourd’hui.
« La presse fonctionne en circuit fermé entre les écoles
et les journaux. Je pense que les écoles sont surtout une clé
pour rentrer dans la profession, mais il faut avoir un bagage avant.
D’ailleurs, quand un stagiaire arrive dans une rédaction,
les journalistes ne savent pas d’où il sort. Ce qu’ils
voient c’est sa réactivité, son culot, ses idées.
La dimension individuelle est plus importante que d’avoir fait
une école ou pas. »
Lucile GUICHET
2008 PO - Journalisme : 2008
Interview tirée du Magazine n°39 (Mai 2008)