Yves TREVILLY (Pol 1990), Président de Sélénor Conseil
L’Institut d’Études Politiques de Grenoble
J’ai intégré Sciences Po Grenoble en seconde année,
en accès direct, après avoir fait mon service national.
Mon premier véritable souvenir est une conférence de méthode
animée par Pierre Bréchon, sur l’action sociale. Tout
cela m’a un peu interrogé au début, après cette
année de césure, mais je dois dire que dans l’ensemble
cela a plutôt bien fonctionné. J’ai aimé ma
vie à Science Po Grenoble.
Je me rappelle avoir choisi de mener un projet de recherche sur le «
centre » en politique, à une époque où, c’était
en 1988, il y avait un vrai débat sur sa place dans la vie politique
française. J’ai alors décidé d’aller
à la rencontre d’un certain nombre de politiques locaux en
Isère. J’ai rencontré par exemple Michel Destot, Richard
Cazenave et surtout un député qui se nomme Georges Colombier.
Georges Colombier était à l’époque député
et vice-président du conseil général de l’Isère.
Lors d’une de nos entrevues, je lui avais confié que la politique
m’intéressait énormément Il m’a alors
proposé de venir faire un stage à Saint-Jean-de-Bournay
dans le Nord-Isère, en août 1989. J’ai donc été
tout de suite confronté à la réalité du terrain
politique. Suite à mon stage, j’ai accepté de travailler
à mi-temps pour Georges Colombier. Il m’a alors fallu gérer
ce mi-temps avec mes études. Imaginez le casse-tête administratif.
Pour cela, j’ai dû condenser tous mes cours obligatoires à
Sciences Po le lundi et le mardi pour que je puisse rejoindre la permanence
du député du mercredi au vendredi. Mon mémoire sur
« le métier de député » a cependant été
plus facile à rédiger. Par la suite, j’ai fait le
choix de me consacrer pleinement à mes activités d’assistant
parlementaire, raison pour laquelle je n’ai pas fait le DEA d’études
politiques auquel je m’étais inscrit.
Le monde du travail
L’idée que je me fais du métier du collaborateur d’élu,
c’est vraiment l’idée du joueur de football qui commence
sa carrière. Il y a plusieurs façons d’entrer dans
le monde politique. On peut chercher à se présenter à
une élection, travailler pour des élus, intégrer
la haute-administration. J’ai emprunté la porte jugée
parfois « moins noble », celle d’assistant parlementaire
en circonscription. Je dis « moins noble », mais c’est
pour moi probablement la plus formatrice. On est confronté à
la réalité du terrain et à ses enjeux. Cela demande
une vraie rigueur, un vrai travail de fond. Dans la 7e circonscription
de l’Isère, il fallait être au fait aussi bien des
problématiques agricoles et industrielles, que des questions relatives
aux villes nouvelles, aux jeunes, aux questions d’immigration, à
la disparition des services publics en zone rurale… Tout cela en
communiquant localement, donc en entretenant des relations avec la presse
locale.
J’étais alors un jeune joueur de foot, qui, à force
de travail et d’investissement devenait peu à peu un joueur
professionnel avec l’ambition d’être repéré
par un club d’envergure. En 1993, j’ai eu une proposition
de Richard Cazenave pour devenir son assistant parlementaire à
l’Assemblée Nationale. J’ai donc quitté, à
regret, l’équipe de Georges Colombier. À regret car
cela reste l’une de mes plus belles expériences professionnelles,
je pense y avoir appris énormément. Vous savez, lorsqu’il
n’y a pas de budget, eh bien il faut avoir des idées, être
créatif, innover.
En 1995, j’ai été approché par un collaborateur
d’Edouard Balladur qui souhaitait que j’intègre l’équipe
de campagne. Finalement, en avril, Edouard Balladur ne parvient pas à
se maintenir au second tour de la présidentielle, devancé
dans son camp par Jacques Chirac. Comme tout le monde le sait, s’ensuit
une période plutôt mouvementée dans les rangs de la
droite. C’est à ce moment qu’un ancien professeur de
Sciences Po Grenoble, Patrick Labaune me contacte. Député
de la Drôme, il a été élu maire de Valence
et me propose de le rejoindre en qualité de directeur de cabinet
et directeur de la communication à la mairie tout en gardant un
œil sur ses activités de parlementaire. Après quelques
années passées à ses côtés, fort de
cette double identité, élu local / élu national,
je décide de revenir sur Paris. Je mène tout d’abord
une mission de conseil pour le chef de gouvernement de Monaco, puis je
suis nommé directeur de cabinet du président du conseil
général du Val-d’Oise François Scellier, chargé
également de suivre ses activités parlementaires.
En 2004, Renaud Dutreil devient ministre de la Fonction Publique et de
la Réforme de l’Etat et me propose de le rejoindre. Je deviens
alors son chef de cabinet au 72 rue de Varenne. À l’horizon
2005, on commence à parler de remaniement. Différentes propositions
me sont faites, notamment celle d’être candidat. Si cela avait
pu être l’un de mes objectifs de carrière, alors encore
étudiant à l’IEP, j’avais au fil des ans trouvé
la voie qui me correspondait le mieux, celle de conseiller. Il faut dire
que l’abnégation qu’une carrière politique demande
a pu, je dois le reconnaître, me décourager. C’était
alors l’occasion pour moi de faire une synthèse de mon parcours.
J’avais fait le tour de tous les postes auxquels je pouvais prétendre
dans la sphère politique ; s’ouvrait alors à moi le
monde de l’entreprise qui m’avait déjà approché
par le passé. Enrichi d’un passage au sein d’un cabinet
ministériel, je me suis très vite retrouvé en contact
avec une firme multinationale, British American Tobacco. J’intègre
BAT en septembre 2005 comme responsable des relations institutionnelles,
comprenez du lobbying. En 2008 je suis nommé directeur du département
relations institutionnelles et membre du comité de direction. En
novembre 2012, je quitte l’entreprise et je crée ma propre
agence en janvier 2013, Sélénor Conseil.
Voilà pour mon parcours. Quand on prend du recul, on se rend compte qu’on est très lié à certains événements. Les parcours professionnels sont très liés à des hasards de rencontre, à des opportunités. Il me paraît essentiel de toujours garder une bonne image, d’être loyal et bosseur. Il faut aussi faire l’effort de cultiver son réseau, de l’enrichir, de l’entretenir, c’est primordial. Quand j’intègre l’équipe de Georges Colombier, je ne connais personne. Aujourd’hui j’ai un réseau dense dans le monde politique, médiatique… Maintenant j’ai le recul, les connaissances, l’expérience, le réseau qui me permettent de « taper juste » pour mes clients. En tout cas, je ne pense pas que l’on ait le temps d’avoir des regrets, même si j’en ai pas mal. Il faut savoir rebondir, il y a beaucoup de concurrence dans ce milieu. Il faut savoir se distinguer. Selon moi, on fait la différence sur une réputation, sur une façon de travailler, et bien sûr sur des résultats. La communication et le lobbying sont les deux faces d’un même ouvrage. Il faut trouver le juste milieu, et les bons axes qui font la somme des intérêts de tous, du journaliste, du politique, du client... C’est cela que je propose à mes clients aujourd’hui. Je fais à la fois du lobbying, de la communication et des relations presse.
Le b.a.-ba du lobbying
Il y a beaucoup de fantasmes au sujet du lobbying, carrefour entre le
monde politique et le secteur privé. Les propositions d’un
député se font quasiment toujours en fonction de la défense
de sa circonscription et de ses intérêts. Si un député
de Savoie multiplie les initiatives sur le domaine maritime, oui, c’est
suspect et incohérent. Je n’aime pas l’idée
très poujadiste qui consiste à dire, « tous pourris
». Il peut certes y avoir des problèmes, mais cela reste
à la marge, depuis la mise en œuvre des lois sur le financement
de la vie politique et des campagnes électorales. Le lobbysme,
c’est avant tout la défense des intérêts. À
un moment, vous êtes une entreprise, vous avez besoin de défendre
votre position, de connaître les inclinaisons du gouvernement sur
tel aspect, les projets de loi.... Ce qui est primordial, c’est
que l’administration ou le ministre ou le parlementaire puisse entendre
toutes les parties, pour pouvoir décider en toute connaissance
de cause. Après c’est à chacun d’être
le plus performant, le plus persuasif possible en fournissant les meilleurs
exemples, les meilleurs arguments et les meilleures idées prospectives.
Moi j’ai travaillé dans le lobby du tabac, on peut dire énormément
de chose, que ce n’est pas bien, que ce n’est pas moral, mais
c’est une activité légale : c’est l’État
qui vend le tabac en France, donc il me parait normal d’aller défendre
sa position à la source. Il ne s’agit pas d’influencer
le politique, mais d’offrir aux dirigeants une vue d’ensemble.
Et grâce à cela, le système doit s’équilibrer.
Lorsqu’une loi est votée tout le monde la respecte si tout
le monde a le sentiment d’avoir pu participer à la discussion
de manière équitable.
Ce qui serait scandaleux, c’est que certains secteurs d’activités
soient interdits d’emblée d’aller présenter
leurs revendications. Le politique n’est pas omniscient. On n’est
jamais dans du « tout blanc » ou du « tout noir »,
le lobbying c’est aussi savoir faire des compromis, céder
sur un aspect pour mieux mettre en avant tel autre aspect. On ne gagne
pas toujours à cent pour cent. C’est un travail de longue
haleine, qui demande de toujours rester extrêmement vigilant, d’être
proactif. La règle numéro un c’est de ne jamais être
pris de court, ne pas attendre que le sujet arrive, mais savoir anticiper
pour pouvoir travailler en amont et avoir une totale connaissance de ses
dossiers.
Quelle éthique ?
Lorsque je travaillais pour British American Tobacco, c’est surtout
à mes proches que cela posait problème. Je ne pense pas
que mes parents mettaient alors en avant le travail de leur fils. Après,
ça reste un métier, aussi controversé qu’il
soit. Personnellement, j’ai toujours eu un discours clair. Oui le
tabac est un produit dangereux, je le reconnais, et les cigarettiers le
reconnaissent. Pourtant, il est vendu légalement par l’État
en France depuis Colbert et l’État touche des taxes, il veut
même en toucher le plus possible. Alors, est-ce que c’est
à moi d’être le plus vertueux, plus vertueux que l’Etat
lui-même ? Je ne sais pas. Je n’ai pas eu de soucis particuliers
à défendre les intérêts du groupe, mais je
peux comprendre que certaines personnes puissent en avoir. Chacun se pose
ses propres limites.
Pourquoi le choix de créer sa propre entreprise
?
À un moment donné dans ma carrière, j’en ai
ressenti le besoin. C’est une nouvelle corde à mon arc. Je
pense que professionnellement, il ne faut jamais rester figé. Créer
ma société n’est pas une finalité, j’ai
besoin de m’exprimer, et d’avoir de nouveaux défis.
Il est préférable de montrer que l’on est polyvalent,
toujours dans l’idée du joueur de foot, capable de jouer
libéro, milieu mais aussi de marquer des buts, le Thiago Silva
du lobbying en somme. Je ne sais pas si je le suis, mais je me crois capable
de travailler dans des domaines différents. L’important c’est
de se lever le matin avec l’envie.
Un bon profil pour le lobbying-relation publique
?
Je crois sincèrement qu’il faut être imaginatif, souple,
avoir des idées, et puis de très bonnes connaissances du
monde politico-journalistico-administratif. Il faut également des
connaissances techniques et un peu d’expérience. Si je devais
donner un conseil aux actuels étudiants de Science Po qui pensent
au métier de lobbyiste, je leur conseillerais de bosser deux ans
auprès d’un député, que ce soit en circonscription
ou à l’Assemblée Nationale. Il faut avoir le réflexe
de pouvoir anticiper ce qui va être intéressant ou à
contrario mauvais pour votre député. Il faut vendre du «
clé en main » et savoir apporter rapidement des solutions.
Après, dans le cadre professionnel, il faut aussi veiller à
garder contact, et de bons contacts avec le plus de gens possible, car
on n’est jamais à l’abri de rien, notamment en politique.
Il faut également savoir garder les pieds sur terre, avoir une
solide colonne vertébrale, et savoir gérer les critiques,
voire les attaques.
2014, l’année de…
2014 une année très politique, avec des municipales, des
européennes, et des sénatoriales. Les élections intermédiaires
sont d’une grande importance, alors qu’on a tendance à
les sous-estimer. Souvenons-nous du précédent quinquennat.
Donc on verra ce que cette année très chargée nous
réserve… Mais 2014, c’est aussi l’année
de la coupe du monde de foot, d’un deuxième titre consécutif
pour le PSG et j’espère une Ligue des Champions ! (sourires).
Propos recueillis par Thibault OZIL, étudiant en Master
2 Communication Politique et Institutionnelle.
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25/11/2013