Jean-Christophe MOUTON, 1981 EF – Avocat fiscaliste
Etudiant, je n’avais de plan de carrière arrêté, de projet mûri. J’étais plutôt attiré par le service public et ses valeurs, mais souhaitais rester ouvert au monde de l’entreprise et à son dynamisme. Je n’ai jamais aimé les chapelles et, de la même manière, l’opposition traditionnelle entre droits public et privé me semblait particulièrement artificielle et stérile. Aussi, c’est en bonne « logique » qu’après avoir opté pour la filière Eco-FI à l’IEP et obtenu une maîtrise en droit des affaires, j’ai passé le concours d’inspecteur des impôts.
L’Etat, c’est moi
A l’école des impôts, j’ai véritablement pris goût à la comptabilité et au droit qui devenait enfin concret, stimulant et gratifiant. Une passion y est née, à retardement.
J’étais attiré par les vérifications, mais exclusivement dans un contexte où le rapport de forces serait au départ favorable au contribuable et la technicité fiscale pointue.
J’ai donc rejoint la direction nationale des vérifications de situation fiscale (DNVSF) qui contrôle les personnalités (le mot « people » me hérisse, pas vous ?) et les schémas de fraude complexes des personnes physiques. On y apprend une extrême vigilance aux fautes de procédure, à résister au choc de la confrontation inhérent à toute défense très « engagée », au sens rugbystique du terme. A rester lucide et sans parti pris. La formation de l’IEP et le principe de modération m’ont aidé à affronter ces situations conflictuelles.
J’ai ensuite accroché mon imperméable d’inspecteur Pinon dans les locaux de la Direction des Vérifications Nationale et Internationales (DVNI) dédiée au contrôle des grandes entreprises. Souvent seul face aux avocats les plus réputés et aux directions fiscales, il faut rapidement aller à l’essentiel, ne pas s’enliser dans le piège des débats sur des points mineurs (de minimis non curat…) tout en se plongeant dans les arcanes de l’intégration fiscale, des fusions, des instruments financiers, des prix de transfert et de la TVA intracommunautaire. L’esprit de synthèse développé à l’IEP est un précieux viatique en pareille occurrence.
Un des attraits du contrôle est qu’il vous permet de vous jauger objectivement. Tant que l’interlocuteur est le responsable ou le directeur comptable, vous êtes un aimable garçon qui pêche l’ablette, invité à revenir quand il veut. Puis votre contradicteur devient le directeur financier et commencent alors à être évoqués les sujets sérieux, mais attendus. Survient le jour où le Directeur Général souhaitera vous rencontrer, alerté d’un projet de rehaussement abracadabrant qui témoigne de votre totale inexpérience ? Vous avez gagné.
Promu au concours d’inspecteur principal et affecté dans l’Eure et Loir, je parcours chaque jour rêveusement au volant de ma Peugeot 205 les mornes plaines de la Beauce du côté de Chartres ou du côté d’Illiers-Combray, puis décide au bout de quelques mois de rejoindre l’entreprise et d’abandonner dans les blés mon imperméable, symbole de mon premier état.
Un état second ?
J’arrive au Crédit Foncier. Loin d’être une douillette sinécure cher lecteur, l’établissement est rapidement traversé par une violente crise financière et sociale qui embrase les salariés : grève, piquets de grève, manifestations et séquestration du gouverneur. Instruit par des travaux pratiques très voisins lorsque j’étais en deuxième d’année à l’IEP en 1979/1980 (!), je me rue vers le premier esquif. Je ne repars pas les mains vides, car j’y ai appris le métier de conseil et me suis spécialisé en fiscalité financière et immobilière.
Deux expertises qui ont aguiché la toute nouvelle direction fiscale de France Télécom (devenue Orange aujourd’hui) un des plus gros emprunteurs obligataires qui doit couvrir ses risques de taux et de change. Entreprise qui a également le dessein de céder son immense patrimoine immobilier. Responsable fiscal des divisions entreprises et R&D, je découvre toute la richesse de la fiscalité internationale dans un grand groupe, la création de holdings, de sociétés opérationnelles ou de partenariats aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Italie, en Pologne, au Brésil, en Inde ou en Chine… puis la fiscalité des flux financiers engendrés. Extraordinaire expérience également de travailler avec des collègues de formation et de culture très différentes.
En entreprise, la clientèle du fiscaliste est interne, elle est captive. Mais c’est une clientèle : il faut convaincre et persuader de la réalité des risques invoqués qui bloquent un projet, de la pertinence de la solution ou de l’optimisation alternative que vous proposez. Il faut être pédagogue, traduire le jargon des fiscalistes dans une langue intelligible par l’honnête homme, être synthétique et d’une très grande rigueur technique eu égard aux enjeux financiers. Là encore, l’enseignement de l’IEP est un outil indispensable et j’essaye toujours d’articuler mes notes et consultations avec un plan dynamique.
Mais alors, qu’est-ce que le tiers état ?
J’avais une aspiration enfouie, « la volonté de fonder un royaume privé » qu’évoque Schumpeter et de devenir avocat. Dès que les circonstances privées l’ont autorisé, j’ai rejoint comme associé le cabinet repris par une vieille connaissance. J’ai noué ma cravate autour d’un combiné téléphonique, symbole de mon deuxième état moqué par mes nouveaux confrères.
Col et nuque libérés (sauf sur ma photo), je conseille sociétés et dirigeants avec une forte proximité, venant de ma connaissance de l’intérieur de l’entreprise. Je les assiste lors des contrôles fiscaux (avec une défense engagée…) et des contentieux (Vive les vices de procédures !). La mondialisation n’est pas qu’un mot et mon expertise en fiscalité internationale me permet d’accompagner des PME voire des TPE se développant à l’étranger qui ne souhaitent pas, ou ne peuvent pas, passer par les grands réseaux. Les plans d’affaires des jeunes créateurs d’entreprise prévoient souvent maintenant une vente à l’horizon de cinq ans en vue de financer un nouveau projet. Je les aide à structurer fiscalement leur projet dans cette optique.
Je conseille également quelques groupes sur des « niches », comme le crédit d’impôt recherche.
L’arrivée dans un cabinet et les besoins des dirigeants m’ont permis d’élargir ma palette en développant une expertise en fiscalité patrimoniale.
Mon objectif est de poursuivre le développement
du conseil et de l’assistance aux entreprises du secteur des nouvelles
technologies que je connais bien après mon passage chez Orange
et de diversifier la clientèle du cabinet vers le secteur associatif.
Stratégiquement, je considère qu’un contentieux de
dix ans jusqu’au Conseil d’Etat n’est pas dans l’intérêt
du client et privilégie la médiation, la transaction et,
plus en amont encore, la représentation d’intérêts
qui est un nouveau métier de l’avocat.
La réussite dans ce dernier état suppose
d’assumer pleinement son rôle de chef d’entreprise dans
un environnement concurrentiel, approche qui ne s’ancre pas forcément
dans la tradition française du métier d’avocat.
Jean-Christophe MOUTON
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06/05/2014