Nicolas
GEAY, 1998 SP
Journaliste Sportif à Stade 2 (France 2)
Je ne fais pas un métier sérieux. Je l’ai toujours pensé. Faire Sciences Po pour suivre une course de vélo depuis une moto ! C’est vrai que vu comme ça, mon parcours est particulier…Que contrairement à de nombreux anciens qui ont de magnifiques carrières au service de l’Etat ou de grandes entreprises, moi je n’ai pas un vrai métier, ou en tout cas pas un boulot d’adulte.
8 juillet 2014 sur les coups de 17h30. Je me retrouve seul dans un studio. Les éclairages viennent de s’éteindre. Je souffle. Je suis vidé. Et rempli d’une immense fierté. « Je l’ai fait ! ». Je viens de commenter le Tour de France sur France 2. Moi. La plus grande course du monde, le troisième événement sportif de la planète en direct devant des millions de personnes. En tant que commentateur numéro un. Les sentiments s’entremêlent. Le plaisir, la responsabilité, le sentiment du devoir accompli. J’ai envie de pleurer. J’en rêvais. Je l’ai fait. Et bien, je crois…Un aboutissement ou le début de quelque chose… L’avenir le dira…
Lorsque je suis entré à Sciences Po Grenoble, je savais que je voulais devenir journaliste. Dans le sport. Mais je ne voulais pas finir aigri à parler des chiens écrasés, alors je me suis orienté en Service Public pour tenter une carrière de haut-fonctionnaire. Mais un petit tour au Ministère des Sports m’a remis dans le droit chemin en me montrant que ce n’était pas pour moi et que ma voie c’était d’être journaliste. On avait beau me dire que c’était bouché, à moi d’être bon et pugnace pour aller le plus haut possible.
J’ai ensuite fait le CUEJ, l’école de journalisme de Strasbourg. Là-bas, on m’a méprisé. « Vous ne croyez pas que votre métier, ça sera de dire un tel passe la balle à un tel ? » Non, justement. Et j’allais leur prouver. Un stage à Stade 2. Un CDD d’été dans la plus grande émission de sport en France. France 3 régions, quelques piges ici et là, puis j’intègre la rédaction de France 2. Télématin, service des sports du JT de 13h et 20h. J’apprends mon métier. Là où il faut. Puis je reviens au service des sports en 2004. Je ne le quitterai plus.
En 2005, je me spécialise dans le cyclisme. A
Stade 2. Un an plus tard, mon premier Tour de France. (L’été
prochain, j’en serai à onze !) Cette année-là,
Floyd Landis s’impose. Avant d’être contrôlé
positif à la testostérone. Trois mois plus tard, j’obtiens
une interview avec lui. Un scoop mondial. Je suis en effet le premier
journaliste à avoir un entretien avec lui. En Californie. Au sud
de Los Angeles. Après un jogging à Berverly Hills à
4 heures du matin décalage horaire oblige, l’interview…Il
nie s’être dopé. Mais mon « pouvez-vous me dire
les yeux dans les yeux que vous n’avez pas pris de testostérone
» restera dans les mémoires. Cette interview est un tournant
dans ma jeune carrière. Elle me permettra de me faire remarquer
et d’être embauché à France 2 moins de deux
ans plus tard.
Elle fait de moi, de facto, un spécialiste des affaires de dopage.
Après l’affaire Contador, mes patrons me demandent de suivre
le retour de Lance Armstrong. Grâce à lui, je fais le tour
du monde. Etats-Unis (New-York, Californie, Nouveau-Mexique, Texas…),
Australie, Italie, Espagne…Je vais surtout réaliser l’une
de mes plus belles enquêtes. Encore avec…Floyd Landis. Ancien
équipier d’Armstrong, c’est lui qui va le dénoncer.
Face à notre caméra, il nous détaille les pratiques
dopantes d’Armstrong jusqu’à ces autotransfusions de
toute l’équipe avant le départ des étapes dans
le bus ! La première fois qu’il lâche une telle bombe
face caméra.
Je continue à suivre le cyclisme, le Tour de France mais naturellement, je m’oriente vers l’investigation. Dans le domaine du sport. Et non comme « journaliste sportif ». Je n’aime pas cette étiquette. Cela ne veut rien dire. Nous avons une spécificité en parlant d’un domaine que nous devons maîtriser. Mais nous pouvons aussi enquêter comme dans les autres secteurs, la politique, l’économie, les finances…Nous utilisons tous les mêmes méthodes.
En 2014, je sors une nouvelle enquête. Sur les Springboks vainqueurs de la coupe du monde de rugby en 1995. Cette équipe soutenue par Mandela et son épopée racontée dans le film Invictus. Je raconte la face cachée de cette victoire. Les maladies neurologiques de quatre joueurs de cette génération. Maladie de Charcot, myélite transverse, tumeur au cerveau. Deux sont morts. La star de l’époque, Joyst Van der Westhuisen est gravement malade. Dans ce reportage, nous évoquons le dopage comme l’une des explications à ces maladies dans un pays où le rugby est une religion et le dopage une culture. Je suis très fier de cette enquête qui a fait beaucoup de bruit. Et là encore, j’ai fait plus que de dire « un tel passe la balle à un tel ! »A tel point que le jury du Prix Albert Londres est à deux doigts de sélectionner le reportage en final du prestigieux prix, ce qui aurait été une première pour un sujet traitant de sport.
Alors, j’ai poursuivi dans cette voie. L’an
dernier, avec une enquête sur la mort de Marco Pantani et il y a
un peu plus d’un mois, avec un documentaire sur la FIFA et le système
Blatter. Cinq mois d’enquête. 45 minutes dans Stade 2, un
record.
Les journalistes de sport ont souvent la réputation d’être
des sous-journalistes. C’est parfois le cas. Parfois, seulement.
J’ai l’intime conviction que l’on peut faire ce travail
d’une façon crédible. Et que l’on peut être
bon dans tous ses aspects. Comme je le disais, je suis aussi commentateur,
ce qui est une autre facette de ce métier. Faire vivre les événements,
faire partager notre passion tout en restant crédible et informatif.
C’est ce que je fais sur le Tour de France que je suis sur la moto
depuis 2011. Etre là où tout le monde aimerait être.
Derrière le peloton. Avec les favoris en montagne. Dans leurs roues
et entendre leur souffle, voir leur effort, leur souffrance, comme personne…
J’y ai vécu des moments incroyables. Le contre la montre
de Grenoble en 2011 derrière Cadel Evans en train d’écrire
l’histoire et de remporter le Tour de France. Le Ventoux. L’Alpe
d’Huez. Ou encore annoncer en direct à Jean-Christophe Péraud
qu’il était deuxième du Tour et le voir tomber en
larmes. Ce sont des moments forts. Comme de commenter les championnats
du monde de cyclisme sur piste ou les JO.
Alors, un métier sérieux ? Je ne sais pas. Je ne fabrique rien. Je ne vends rien. Je ne change pas la vie des gens. Je raconte juste des histoires. De différentes manières. Comme celle Chris Froome en Afrique du Sud au milieu des singes, springboks et des zèbres, de Nairo Quintana qui vit depuis son enfance à 3000 mètres sur les hauts-plateaux du Boyaca en Colombie, de Marc Herremans, triathlète handicapé qui m’a bouleversé par son combat, la préparation de Thibaut Pinot, de François Pervis…
Oui, je raconte des histoires. Et pour une fois, je raconte la mienne. Ici. Si des étudiants la lisent, je n’ai qu’un message : « Croyez en vous ! N’écoutez pas ceux qui vous découragent et battez-vous pour réaliser vos rêves et ce en quoi vous croyez… » Pour moi, le talent n’existe pas. Il n’y a que le travail et le fait de s’accrocher, l’envie de de se battre qui vous feront réussir.
Alors oui, je raconte des histoires, je pense toujours
que je n’ai pas un vrai métier. Pas un boulot d’adulte.
Mais je crois qu’en faisant ce que j’aime, je peux dire que
j’ai une belle vie.
Nicolas GEAY
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