Philippe ROBINET (PES 1986)
Après avoir travaillé une dizaine d'années en institut de sondages dans le domaine des études de marché, Philippe Robinet s'est dirigé dans les années 1990 vers le milieu de la presse avant de rejoindre l'édition de livres et créer en 2012 sa propre maison : les éditions Kéro. Preuve que l'écrit va bien !
Philippe Robinet prend également la direction
générale des éditions Calmann-Lévy (groupe
Hachette Livre) [Mai 2016]
Que vous ont apportés vos années d’études passées
à l'IEP de Grenoble ?
Des moments formidables ! À commencer par une incroyable ouverture d'esprit. Après un bac scientifique, l'IEP m'a ouvert aux sciences humaines. Le concours d'entrée de l'IEP de Grenoble permet de créer un brassage des étudiants et une réelle mixité sociale. Sans cette porte d’entrée si particulière, jamais je n’aurais eu cette chance. Ce concours d’entrée formidable mérite d'être valorisé ! L'IEP m'a également permis de côtoyer des enseignants dont la rencontre m’a durablement marqué. Deux noms : Frédéric Bon, politologue tellement inspirant, et Thora van Male, qui a fasciné des générations d’étudiants et m'a permis de partir à l'université de Berkeley vivre l'expérience d'un Frenchie aux États-Unis. Deux sigles également la BDSP et le CIDSP avec ses animateurs Bernard Bouhet et Bernard Denis. Enfin, j’étais entouré durant toute ma scolarité de formidables camarades de promotion !
Comment passe-t-on alors de Sciences Po Grenoble à l'édition ?
La question devrait plutôt être la suivante : comment passe-t-on d'Auxerre, où je suis né, et d'une famille sans attaches particulières dans le domaine de la culture, au milieu très parisien de l'édition ? Cela a été une valse à trois temps. J'ai d'abord travaillé dans le domaine des études de marché en lien avec la presse et les médias, chez BVA où j’ai dirigé le département médias. Ce qui n'est pas anodin puisque déjà j'avais rédigé mon mémoire de fin d'études sur le thème de la gratuité de la presse. Cependant, j'avais l’impression de n'être qu'un observateur et de pas avoir entre les mains le journal que j'avais envie de lire. En 1994, je lance donc avec des amis et peu de moyens un quotidien, InfoMatin. Quelques mois après nous rencontrons André Rousselet, qui avait auparavant dirigé l'agence Havas et créé Canal +, à qui nous cédons le contrôle du journal. Si l'aventure d'InfoMatin s'arrête en 1996, j’ai toujours un goût marqué pour l'écrit. C’est alors que je suis tourné vers l'édition de livres. J’ai ainsi repris le Serpent à plumes, maison d'édition qui connaissait des difficultés financières importantes à l'époque.
En revenant sur votre parcours, nous comprenons que les rencontres sont essentielles pour orienter nos choix...
En effet, le développement du Serpent à plumes n’était qu’un début ! J’ai rencontré avec Florent Massot un éditeur, Bernard Fixot. Or ce dernier avait l’idée de créer une maison d’édition qui propose des témoignages destinés au grand public. Bref, il s'agissait de mettre un livre entre les mains de personnes qui ne lisaient pas ! J'ai donc co-fondé Oh ! Editions avec eux. Nous publiions chaque année peu d'ouvrages, principalement des documents. Et cette audace éditoriale s'est vite révélée être une stratégie gagnante. Couronnée par de grands succès commerciaux et littéraires. Ce fut une réussite, à tel point qu'Éditis (2e groupe d'édition après Hachette en France) s'est intéressé à Oh ! Éditions. Nous avons donc rejoint ce groupe en 2007.
Mais qu'est-ce qui vous a poussé à créer votre propre maison d'édition, au point de vous définir vous-même comme un « serial créateur » ?
En 2012, j’étais convaincu qu'il était essentiel de réinventer la façon de travailler entre les auteurs et les éditeurs. La relation auteur/éditeur souffre en effet d’une part d’un problème de surproduction d'ouvrages par an, et d’autre part d'un contrat d'édition dont l’esprit devait être repensé, dans un souci essentiel de transparence. Or, redéfinir cette relation était difficile en restant au sein d'un grand groupe. J'ai donc eu l'intime conviction qu'il s'agissait du bon moment pour créer ma propre maison d'édition. Kéro vient d'ailleurs du grec kairos, le moment présent. Et n'oublions pas qu'on créé surtout dans les moments de crise ! C'est donc en 2012, à la fin de mon second mandat chez Oh ! Éditions que j'ai pu créer les éditions Kéro.
Comment définissez-vous votre politique éditoriale afin que vos ouvrages trouvent une place dans un milieu très concurrentiel et dominé par des grands groupes ?
Il y a deux partis pris à l'origine de la création des éditions Kéro : le premier est de limiter la production à une vingtaine de titres par an. Cela permet de mettre en oeuvre ma conception de la relation auteur/éditeurs. Nous pouvons suivre nos auteurs, être plus présents à leurs côtés, consacrer le temps nécessaire au travail éditorial et leur assurer toute la transparence indispensable quant à leurs chiffres. En bref, il s’agit de pouvoir faire pleinement mon travail d'éditeur, c'est à dire d'être l'intermédiaire entre un auteur et son public. Car je reste convaincu qu'il n'existe pas d'édition sans éditeur, même si certains, à l’instar d’Amazon, tentent de supprimer notre plus-value. Le second est de se nourrir de l'éclectisme, avec une ligne éditoriale qui va de Michel Rostain – Prix Goncourt du premier roman pour Le fils en 2011 – à Laurent Baffie. L'écart entre les deux est certes grand, mais il permet une liberté inouïe dans les projets que l'on souhaite soutenir. Il est ensuite essentiel d'expliquer aux libraires et aux journalistes notre travail et nos choix. Il faut de la pédagogie et de la persévérance. Mais j'ai eu la chance d’être rejoint dans cette aventure par des personnes de talent pour travailler ensemble dans la même direction.
Votre parcours s’articule donc autour de la transmission. C’est d’ailleurs une conviction que vous portez avec force au-delà des murs de votre maison d’édition.
La transmission est d’abord au coeur du rôle de l'éditeur. Celui-ci doit faire en sorte qu'un écrivain dans lequel il croit puisse trouver son public. En dehors des éditions Kéro, je suis aussi en charge d'un module d'enseignement sur la création d'entreprise au sein d'HEC- Entrepreneurs. Mais mes deux chevaux de batailles principaux sont avant tout l'écriture et la jeunesse. Or nous n'avons pas en France de cours d'écriture créative. Et pourtant je suis persuadé que la capacité à écrire des histoires peut s'apprendre. Surtout que notre époque est en fin de compte celle où les jeunes ont le plus lu et écrit ! Car les sms, les mails ou autres formes d’écritures numériques sont de l’écriture ! C'est donc pour cela que j'ai créé il y a 4 ans une association pour donner envie aux jeunes d'écrire et développer leur talent : Le Labo des histoires. Cet atelier d'écriture entièrement gratuit à destination des jeunes de moins de 25 ans a ainsi été labélisé « Grand chantier présidentiel » par le Président de la République. Très actif en région parisienne, nous nous développons dans toute la France avec l'objectif de toucher 50 000 jeunes d'ici 2017.
Voilà de quoi donner espoir à l'heure du numérique, des difficultés de la presse et du livre ! Quels derniers conseils donneriez-vous aux jeunes qui souhaiteraient se lancer dans l’édition ?
Je dirais tout simplement que si vous pensez qu'on vit mieux en lisant et que les mots sont une impérieuse nécessité pour vous, alors n'ayez pas peur ! Ne voyez pas là des milieux « bouchés » ou faiblement rémunérateurs, mais créez vous votre propre porte d'entrée et façonnez peu à peu votre propre poste !
Editions Kero : www.editionskero.com
Propos recueillis par Damien BERGERET (PPCS SGC 2012)
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