Olivier BOT (1983 PS)
Chef du service Monde, La Tribune de Genève
Voilà. A 56 ans, tout juste nommé rédacteur
en chef adjoint de la Tribune de Genève, j’ai droit à
la rubrique Portrait de l’Association des diplômés.
Trente-quatre ans de journalisme sont passés par là, dans
l’anonymat le plus total. Celui du journaliste localier d’abord,
dans la région où habitaient mes parents de retour du Maroc.
C’était la Nièvre. Celle de Mitterrand. J’étais
le premier diplômé au sein du Journal du Centre. Maintenant,
les jeunes journalistes le sont tous. Un bien ? Oui et non. Attention
de ne pas penser tous la même chose. Voyages présidentiels,
Tonton à Château-Chinon, Bérégovoy à
la mairie. A peine sorti diplômé de la sous-section politique,
les premiers gouvernements de gauche de la Ve République. Passionnant.
Avant, il y a eu le grand soir ! Elu au comité de grève
contre le renvoi des étudiants étrangers sur le campus de
Grenoble envahi par les gendarmes mobiles. C’était sous Giscard.
Oui, Giscard… Ca fait une paye ! La création du syndicat
Oxygène, tendance PSU, pour faire entrer un peu d’air frais
dans le syndicalisme étudiant, verrouillé à l’époque
par les trotskistes lambertistes. Ont-ils disparu des couloirs de la maison
? Et l’année suivante, la création des radios libres.
Avec trois camarades de Sciences-Po, ce fut la belle aventure. La folle
émission « Compte-à-rebours », puis la création
de CARGO, un groupe d’intervention et d’anticipation politique
et scientifique. Pour un choix démocratique de notre avenir technologique
! Rien que ça. CARGO qui organisa aussi une des soirées
les plus folles de Grenoble, derrière la gare, avec musique industrielle,
performance d’artistes et projections de films SF. Des centaines
de Grenoblois sont venus. On n’avait pas un sou pour monter tout
ça. Comment a-t-on fait ? Vive l’avant-garde !
Après la Bourgogne, direction le Midi. Libre. Béziers, d’abord.
Sans Ménard. Puis l’agence de Narbonne, où habitèrent
mon grand-père cheminot et ma grand-mère ouvrière
du textile. Sept ans après, j’ai créé avec
une consoeur un service d’enquête et de documentation dans
ce journal régional. Un prix national et sept ans plus tard, fin
de l’expérience. Je tombe malade. Pas bon, ça, dans
la presse. Direction le placard. Et pour en sortir, un bon coup de rein
en répondant à une petite annonce pour me retrouver à
la rubrique internationale de deux grands quotidiens suisses, la Tribune
de Genève et 24 heures.
Comme la vie est bizarrement faite, c’est aussi la maladie qui m’avait
conduit à Sciences-Po Grenoble en 1979. Je préparais le
concours de Paris et patatras, hôpital. Mais, deo gratias, à
Grenoble, pas de concours à l’époque et avec mon bac
C, me voilà inscrit. Comme la vie est un éternel recommencement,
je retourne à Grenoble en 2014 pour donner un cours intitulé
« Surfer en journaliste » à l’EDJG Sciences-Po
( !) après la présentation d’une enquête sur
l’islam radical dans le cours de Gilles Bastin dans des locaux que
je retrouvais transformés, vingt ans après.
A ces étudiants et aux futurs diplômés qui me liraient,
je ne conseillerai pas d’être malade pour se faire leur place
dans ce beau métier. Non. Même si moi, finalement, cela m’a
aidé à rebondir par deux fois dans ma vie. Je dirai néanmoins
qu’il faut être bien malade pour désirer exercer cette
profession aujourd’hui. Malade au point de ne pas démordre
de son objectif, d’être prêt à tous les sacrifices,
à la précarité, aux frustrations, aux longues soirées
hors de chez soi. Mais avec la passion de l’information chevillée
au cerveau, l’insatiable curiosité de parler à ceux
qui ne vivent pas et ne pensent pas comme vous. Oui, c’est une belle
vie. Même si la branche va mal. Malade, la presse, vraiment ! Mais,
bon, on s’en fiche. Allez-y les mordus. Y-a encore de la place pour
des talents. Les places sont chères, plus tout à fait au
soleil. Mais avec tellement de rencontres et de bonheur d’écrire…
Olivier BOT
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