Emeric BREHIER (1993 EPS), Consultant chez Action Europe à Bruxelles.
Je sors de l’Institut d’Études Politiques de Grenoble,
diplôme en poche, à l’été 1993, à
l’issue de trois années au cours desquelles les enseignements
n’occupaient qu’une part de notre emploi du temps. Certains
professeurs d’amphi, au-delà des Conférences de méthode,
m’avaient frappé : Oberdorff et sa passion européenne,
Lewin et son intelligence historique, Bernard et sa gourmandise culturelle.
Nombreuses étaient également les heures – en plus
de celles consacrées au football, j’étais gardien
de but de l’équipe de l’école grâce à
un libéro très efficace - où avec quelques amis –
au sein du Bureau des Élèves - nous imaginions les futures
venues de personnalités politiques pour rencontrer les étudiants
de l’Institut : que l’on soit d’accord ou pas avec elles,
et nous accordions alors beaucoup d’importance à ce que la
diversité politique soit respectée, nous essayions alors
d’intéresser le maximum d’entre eux à venir
écouter, échanger, débattre avec ces personnalités
régionales ou nationales qui acceptaient de leur consacrer quelques
temps. A l’été 1993, les amis rencontrés alors,
les Olivier, Marine, Catherine, Delphine, Cyrille, Fred, Lionel et tant
d’autres, chacun repartait qui pour une année à l’étranger,
qui pour préparer des concours administratifs, qui pour effectuer
ce qui s’appelait alors les DEA, ou les DESS.
Pour ma part je retournais sur Paris pour effectuer un DEA « Gouvernement Comparé » avec notamment comme enseignant Jean-Claude Colliard ou Pierre Avril. A son issue, je me lançais dans la rédaction d’une thèse sous la direction de ce dernier consacrée aux « revues des partis non-communistes de 1958 à 1986 » après avoir rédigé mon mémoire de fin d’études à l’IEP à la revue Faire puis celui de DEA aux revues Faire et Intervention, toutes deux revues du courant « rocardien » au sein du Parti Socialiste. Parti dont je n’étais alors pas membre. Je ne prendrai effectivement ma carte qu’en 2000. Entre temps, j’aurai milité au sein de l’organisation de jeunesse du Mouvement Européen, les Jeunes Européens, puis au sein de l’association de l’ancien eurodéputé communiste Philippe Herzog, Confrontations, dont j’avais rencontré l’épouse – une infatigable militante - lors de mon DEA, ainsi que trois compères toujours présents : Carlos, Samuel et Denis. Durant les ultimes étapes de la rédaction de ma thèse, je me mis alors à rechercher un emploi de collaborateur de cabinet dans une collectivité territoriale. La chose n’était pas simple, n’étant pas membre d’une organisation politique, même si j’étais alors classiquement un jeune sympathisant de gauche, socialisant, philosophiquement proche de ce qu’avaient été les rocardiens.
En mars 1999, j’étais reçu par le président du Groupe socialiste au Conseil Régional d’Ile-de-France et maire de Chelles, ancien parlementaire, Jean-Paul Planchou, pour un échange informel. Le 12 juillet 1999, je recevais un appel de sa directrice de Cabinet en mairie de Chelles pour me proposer un rendez-vous avec le maire une dizaine de jours plus tard. Je m’en souviens fort bien car c’était un jour important pour la ville car était alors inaugurée la nouvelle ligne E du RER. Elle allait devenir pendant près de deux décennies mon quotidien. Ce jour, le 20 juillet me semble-t-il, je mettais pour la première fois les pieds dans la commune où j’allais vivre jusque fin juin 2017 et où j’allais découvrir des femmes et des hommes me donnant l’envie, véritablement, de m’engager politiquement et d’y consacrer du temps – beaucoup de temps. Pour la première fois, je traversais le parc du Souvenir – Émile Fouchard. Lors de notre entretien qui devait durer plus de 2h, le maire me dressât un portait politique de la Ville, me présentait les équipes municipales qui l’accompagnait et son cabinet. Je faisais alors la connaissance de deux personnes qui allaient beaucoup compter et qui étaient les proches collaboratrices du Maire : Marie-Louise Marion, militante socialiste émérite, pilier de son dispositif politique (elle fut son mandataire pour chacune de ses élections), par ailleurs épouse du 1er adjoint et Corinne Quillot, récemment disparue et qui deviendra ma collaboratrice parlementaire. Elles m’accueillirent toutes deux comme ce que j’étais alors : un jeune étudiant, en train d’achever sa thèse, mais qui ne connaissait pas grand-chose à l’action municipale et politique à vrai dire. Bref, un bleu. C’est avec elles deux, et le maire, que j’ai tout appris ou presque. Je soutenais ma thèse le 15 janvier 2000.
Allait débuter alors un long compagnonnage à la fois personnel, amical et politique avec les élus, d’abord, les personnels, ensuite, et les habitants, enfin, de Chelles et des alentours. Pendant trois années je travaillais sur les enjeux liés notamment aux transports (avec un formidable élu, Bernard), aux sports (avec un élu investi, depuis disparu, Michel), mais aussi à la culture (auprès d’un militant communiste dévoué à la cause et d’un président de l’association des amis du théâtre, Jacques, lui aussi disparu, qui ne fut pas pour rien dans la suite de mon parcours). Ayant pris ma carte au Parti socialiste, je découvrais les joies de la vie interne d’une section, les conflits qui pouvaient y exister, la petite histoire se mêlant à celle que j’avais appris lors de mes études et de mes recherches ; je découvrais aussi les bonheurs et les difficultés des campagnes électorales…l’odeur de la poudre comme disaient alors les anciens, les joies du porte-à-porte, les discussions animées des distributions de tract au marché ou à proximité des gares, et les collages, la nuit tombée dans un balai incessant et innocent (alors…) des voitures des colleurs des différents partis politiques qui s’affrontaient. Après la réélection de l’équipe de Jean-Paul Planchou (victoire historique, car c’était la première fois qu’un maire de gauche était réélu dans l’histoire républicaine ; Gérard Bordu (PC) de 77 à 83 avait été battu, et Émile Fouchard (PC) élu en 1935 n’avait pu se représenter dans le contexte que l’on sait), je poursuivais mes missions auprès du Maire. Mais celui-ci, après sa défaite aux législatives de 2002 me proposait de le rejoindre à son cabinet à la présidence du Groupe socialiste du Conseil Régional d’Ile-de-France. J’y travaillais, notamment, sur les questions de transports de nouveau et y découvrais les conseillers régionaux, de la gauche régionale rassemblée, en particulier celles et ceux de Seine-et-Marne. L’expérience me conduisait à renforcer mon appropriation des réalités politiques – y compris au sein d’une majorité et d’un groupe politique – d’une Collectivité territoriale en perpétuelle construction comme l’était alors une Région. Ce fut aussi l’époque où je m’investissais plus avant dans la vie interne de la section du Parti socialiste à Chelles, où j’avais élu domicile à la fin de l’année 2000. J’en prenais la responsabilité à l’occasion du Congrès de Dijon. Ce fut mon premier Congrès, aux côtés de Yannick Bodin, Vincent Éblé, Roland Jedrezjezik, Nicole Bricq, Nicole Fagnen, Jean-Paul Planchou, Gérad et Brigitte Eude et tant d’autres camarades.
A la suite de la réélection de Jean-Paul Huchon aux régionales de 2014, j’entrais à son Cabinet en charge des moyens généraux et des Ressources Humaines, plus spécifiquement aux côtés de sa vice-présidente Michèle Sabban, par ailleurs 1ère fédérale du Val-de-Marne et proche de Lionel Jospin puis de Dominique Strauss-Kahn. Je découvrais alors la vie des organisations syndicales de la Région mais aussi les arbitrages entre les groupes politiques – et en leur sein - pour l’affectation des moyens budgétaires et immobiliers au sein de la Région. Je participais également toutes les semaines aux réunions de Cabinet auprès du Président du Conseil Régional et de ses directeurs de Cabinet successifs. J’y rencontrai non seulement la vie politique Val-de-Marnaise mais aussi des camarades alfortvillais qui allaient par la suite me donner l’opportunité de travailler dans cette ville si attachante : René Rouquet, son député-maire ; Luc Carvounas, conseiller départemental, qui allait devenir, sénateur, puis maire, puis député avant de redevenir Maire, tout en étant pendant quelques années le 1er fédéral ; Isabelle Santiago, conseillère départementale avec Luc puis députée passionnée, déjà, par les questions de l’enfance et de la petite enfance. Parallèlement, je partais à la conquête de la Fédération de Seine-et-Marne du Parti socialiste. Sa situation était en effet particulière : alors qu’en 2003, le premier secrétaire avait été aisément réélu, il avait dû démissionner de son poste quelques mois après suite à un problème de nature fiscale. Or quelques semaines auparavant, et pour la première fois depuis 1982, la gauche était parvenue à faire rebasculer le département. Elle allait s’y maintenir jusqu’aux départementales de 2015. A l’issue d’un vote au sein des élus du Conseil général, le conseiller départemental de Noisiel, Vincent Éblé, avait été désigné comme candidat à la présidence contre le 1er secrétaire fédéral. Il avait d’ailleurs en amont fait le tour des secrétaires des sections les plus importantes du département pour s’assurer de leur soutien. Je lui avais donné le mien lors du dernier meeting en faveur de la candidature de Jean-Paul Huchon au Zénith. Or, l’une des élections cantonales – dans le canton de Thorigny – avait été annulée. Il y allait donc y avoir une partielle. Perdre ce canton impliquait la perte du département. L’urgence pour la Fédération était donc de se rassembler pour aller à la bataille et non pas de se diviser pour le choix d’un Premier secrétaire. Aussi, en opposition totale avec les statuts du Parti socialiste, la majorité décidât de soutenir la candidature de Vincent Éblé au poste de 1er secrétaire. Celui-ci s’entourait alors d’une petite équipe – dont Laetitia Martig et moi-même – pour mener de front ces deux responsabilités. Une fois la cantonale partielle remportée, le temps de la préparation du Congrès du Mans pouvait débuter. A l’époque, la majorité fédérale était issue du courant « Hollande » au sein duquel différentes sensibilités cohabitaient. Dans ce département il s’agissait essentiellement des « hollandais » au sein desquels se retrouvaient beaucoup d’anciens Jospinistes et les strauss-kahniens. Beaucoup de ces derniers avaient par le passé cheminé aux côtés de Jean-Pierre Chevènement avant que son courant n’explosât à l’occasion de la première guerre du Golfe. J’appartenais pour ma part au second avec beaucoup d’autres comme Jean-Paul Planchou, Nicole Bricq, Alain Traca, Daniel Vachez, Michel Marciset, François Kalfon, Arthur-Jorge Bras ou Laetitia Martig, etc. Chez les Hollandais, on retrouvait Yannick Bodin mais aussi Nicole Fagnen ou bien Olivier Faure, parmi beaucoup d’autres. Au final, à l’issue d’une campagne interne bien maîtrisée, et en dépit des réserves de certains historiques du courant strauss-kahnien, nous parvenions à prendre les têtes de la Fédération. Au début contre les fabiusiens et les proches du Nouveau Parti socialiste de MM Montebourg et Peillon. Progressivement j’ouvrais la porte aux représentants de ce dernier courant, notamment à l’issue d’un déjeuner avec le maire de Pontault-Combault, le regretté Jacques Heuclin, au cours duquel je rencontrais l’un de ses jeunes poulains, Sébastien. Depuis lors, avec ce dernier, nous avons sans cesse cheminer ensemble. Encore aujourd’hui. Au-delà des vicissitudes propres à ce type de mandat, ce furent des années extraordinaires de rencontres avec des militantes et militants dévoués, des élus investis dans leurs territoires, de redynamisation d’un collectif, de mise en avant de son histoire, de négociations internes ou avec les partenaires parfois ardues. L’accession à ce mandat de Premier fédéral me conduisait par ailleurs à entrer directement au sein du Conseil National, puis au sein du Bureau National du Parti socialiste.
Je devenais ainsi un cadre du Parti socialiste, un apparatchik, l’un de ceux dont chacun se plait à dénoncer l’existence jusqu’à ce que l’on ait besoin de lui. De quoi s’agit-il en réalité ? Pour l’essentiel d’assurer la vie interne d’une sensibilité, avec d’autres, de la représenter au sein des instances du Parti, bien sûr au Parlement (le Conseil National) comme à son Exécutif (le Bureau National), voire parfois au sein du Secrétariat National. Mais aussi, lors des séances de négociations entre les sensibilités sur des textes d’orientations soumis aux militantes militants, ou bien lors des fameuses Commissions électorales qu’elles soient préparatoires ou conclusives. Sans même évoquer les soirs d’élections internes. Il fallait être organisé, recueillir les desiderata et attentes des uns et des autres, les faire valider – ou pas – par le patron, assumer parfois les choix à sa place, défendre les candidatures, parfois céder quelque part afin d’obtenir plus et mieux ailleurs. Bref être un poète. Bien entendu cela passait par des moments de tensions entre camarades mais la plupart du temps, les compromis étaient trouvés, les bons dossiers parvenaient à avancer, il arrivait que les alliances se fassent dans tel territoire pour se défaire pour le territoire voisin. J’y ai côtoyé et rencontré à la fois des gens ayant fait l’histoire du Parti (Fabius, DSK, Moscovici, Valls, Cambadélis, Lienemann, Touraine, Hollande, Montebourg, Royal, Aubry…) mais aussi – surtout ? - cadres ou des permanents qui donnaient beaucoup au Parti socialiste ; certains sont devenus des élus, d’autres ne l’ont jamais. Dans ces deux rôles, que ce soit à la tête de la Fédération ou dans mon rôle au sein du Parti socialiste, une grande partie du temps était ainsi consacrée à la gestion des ressources humaines. On l’oublie par trop souvent mais il s’agit d’un aspect essentiel des organisations politiques au niveau local comme national. Même chronophages, parfois épuisants, j’ai adoré ces déplacements dans les sections de la fédération, être à l’écoute des militantes et militants, débattre avec eux tant sur le fonds des politiques publiques que sur les enjeux stratégiques de leurs territoires, notamment au moment des préparations des élections départementales ou municipales. De même que préparer les listes aux régionales ou les investitures pour les élections législatives.
Pour ma part je fus candidat à deux reprises lors des législatives : en 2007 puis en 2012. L’élection législative de 2007 fut à maints égards particulière. D’abord car ce fut ma première campagne en propre. Ensuite, car le candidat naturel sur la 7ème circonscription était le maire de Chelles, Jean-Paul Planchou. Il en avait été d’ailleurs, à la surprise générale, l’élu en 1988. En 1993 il n’avait pas été qualifié pour le second à une petite dizaine de voix près et en 1997, il avait échoué sur le fil au second tour pour une grosse centaine de voix. En 2002, enfin, il avait réalisé un très bon score de 1er tour (candidat unique de la gauche d’alors) mais n’avait pas dépassé les 45% au second tour dans une circonscription taillée pour la droite (et dénoncée comme telle dans un livre noir publié par le PS à l’issue du redécoupage effectué par le couple Pasqua-Pandraud). Pourtant au début de l’année 2007, nous avions convenu que ce serait à moi de représenter le PS, estimant alors que notre enjeu majeur était de conserver la municipalité de Chelles en 2008 et qu’une défaite de sa part aux législatives le fragiliserait pour les municipales du printemps prochain. C’était, déjà, un geste de grande confiance de sa part. Cette campagne fut également particulière car elle prit place à la suite de la présidentielle de 2007 au cours de laquelle Ségolène Royal avait représenté notre organisation politique. Je ne l’avais pas soutenu lors de la primaire ; j’avais à l’inverse milité pour celle de DSK. Avec le succès que l’on sait. Nous avions été débordé dans toutes les sections Seine-et-Marnaises par une véritable dynamique interne renforcée par les arrivées de nouveaux adhérents (les fameux adhérents à 20 Euros). Y compris à Chelles. Pour autant, comme 1er fédéral, j’en étais le représentant officiel pendant la campagne. Je n’étais pas franchement convaincu de la manière de faire de notre candidate, mais force est de constater qu’elle avait insufflé une réelle dynamique de campagne. Quant à la mienne, elle fut simple : affichage et lettre de candidature dans toute la circonscription début janvier, puis relais officiel et attentif de la campagne présidentielle jusqu’au résultat des urnes. Je m’entourais d’une équipe de fidèles : Patrick, Michel, Marie-Louise (ma mandataire, poste crucial pour ne pas faire des bêtises) notamment mais aussi d’amis d’autres communes de la circonscription : Michèle, conseillère départementale de Villeparisis, qui sera ma suppléante, Guillaume, alors directeur de cabinet du Maire de Villeparisis, et futur maire de Torcy, Yannick de Vaires-sur-Marne, Jean-Luc, maire de Courtry, etc. Le soir du 1er tour, je réalisais le score national du Parti, dans des circonscriptions similaires et parvenait à entraîner le candidat de l’UMP, maire de Claye-Souilly, au second tour. Sans aucun espoir de l’emporter tant nous sachions que cette circonscription ne pouvait être remportée qu’au lendemain d’une victoire à la présidentielle qui n’avait pas eu lieu ! Au soir du second tour, le résultat était satisfaisant puisque j’obtenais, en pourcentage, le même score que Jean-Paul Planchou 5 ans auparavant, alors que j’étais jusqu’alors peu – pas du tout ? – repéré sur le territoire. De la force des étiquettes lors d’une campagne législative…Un souvenir : lors d’un marché, à Chelles, où je me présentais à un électeur, celui-ci m’avait dit « je vous aime bien Monsieur Bréhier, mais vous êtes encore tout de même un peu jeune » …J’avais 35 ans. Le maire de Chelles m’avait bien entendu, comme tous les élus socialistes de la circonscription, apporté son soutien mais au travers d’une lettre publique extrêmement personnelle qui m’avait touché.
Je n’avais donc pas été ridicule lors de ces législatives au cours desquelles la Seine-et-Marne n’envoyait aucun député de gauche à l’Assemblée Nationale. Olivier Faure, candidat sur la 8ème circonscription, avait lui aussi été battu, ainsi que Jacques Heuclin sur la 9ème. Nous pouvions dès lors donc nous concentrer à Chelles sur les municipales de 2008. Dans un contexte peu favorable au président de la République d’alors, la liste conduite par Jean-Paul Planchou (j’y figurais au 7ème rang) et rassemblant l’ensemble des formations de gauche obtenait la majorité absolue dès le 1er tour . Beaucoup mirent cette performance sur notre « formidable » bilan et « extraordinaire » projet…la réalité impose de rappeler que nos opposants de la droite étaient divisés, que nous avions renouvelé notre liste et que ces élections de 2008 furent bien mauvaises pour les forces politiques au pouvoir…nous nous en apercevrions 6 ans plus tard lorsque nous serons battus sévèrement en 2014…nous étions au pouvoir, et sanctionnés ! nous étions divisés, et sanctionnés ! la droite s’était renouvelée avec une nouvelle tête de liste, nous étions sanctionnés ! Mais n’anticipons pas plus. En 2008, la victoire était belle et il fallait répartir les postes d’adjoints et de vice-présidents au sein de la nouvelle Communauté d’agglomération. Une double position claire et novatrice avait été adoptée : le maire de la Ville centre continuerait à ne pas être le président de l’agglomération, celle-ci revenant à un militant de toujours du PS et fidèle 1er adjoint du maire, Jean-Jacques, et qui l’avait mise sur les bons rails les années précédentes ; les adjoints-au-maire ne pouvaient être dans le même temps vice-présidents de l’agglomération. Pour ma part, alors que tout le monde pensait que je deviendrais le nouvel 1er adjoint, le maire me proposait de n’être que « conseiller délégué » avec un portefeuille important (culture, nouvelles technologies et communication) sous prétexte que je devais d’abord conserver la Fédération dans un contexte politique difficile…Je pris quelques jours de réflexion avant de lui donner mon accord à une proposition qui ne correspondait pas à ce que nous avions dit durant la campagne (je convainquais même la colistière que Jean-Paul Planchou voulait nommer 1ère adjointe aux finances et à l’administration d’accepter…). Après tout, j’avais un travail, des enfants en bas âge, une Fédération à faire tourner et à conserver, des responsabilités nationales et 36 ans…Mais ces choix troublèrent indéniablement le dispositif municipal et politique alors bien huilé. Quelques temps plus tard, assez vite, le Maire me demandait toutefois de reprendre en main l’administration générale et de devenir alors, en plus de mes autres dossiers, adjoint à ses côtés.
A quoi ressemblait donc ma vie d’élu municipal ? Bien sûr, il y a les réunions qui rythment la vie institutionnelle : les conseils municipaux précédés des commissions municipales d’abord. A cet égard, l’une des novations de ce mandat fut leur ouverture à des citoyens ayant fait acte de candidature. Même si, conformément au Code des collectivités territoriales, les votes étaient réservés aux élus municipaux. En ce qui me concerne, je me suis concentré sur celle concernant la culture, en la faisant notamment travailler près d’une année entière sur l’établissement de critères objectifs pour l’attribution des subventions. Quant au Conseil municipal, même si de fait il s’agit souvent d’une validation juridique des décisions préparées et prises en amont par la municipalité, ils étaient le lieu d’expression des différences des projets selon les sensibilités politiques, et particulièrement la majorité et l’opposition. Les séances étaient souvent fastidieuses mais pour autant impératives comme lieu d’expression de la vie démocratique. En amont de ces séances, il faut faire référence aux Bureaux municipaux et aux réunions de Groupe. Les Bureaux réunissaient l’ensemble des adjoints, des conseillers délégués ainsi que les présidents de Groupe. En présence de l’administration. Ces réunions hebdomadaires étaient cruciales puisqu’elles permettaient d’aborder les politiques publiques, leurs modifications, les débats politiques au sein d’une majorité composite rassemblant socialistes, communistes et écologistes. Enfin, les réunions des groupes permettaient d’associer – jamais suffisamment bien sûr - les conseillers municipaux n’étant ni adjoints, ni conseillers délégués. Ils étaient rares que les divergences doivent être traitées par des votes. J’ai le souvenir d’une fois où l’installation de caméras de vidéoprotection avaient suscité des désaccords internes. J’avais d’ailleurs fait part de mon interrogation sur la pertinence de ce projet et demandé au Maire, qui l’avait bien sûr accepté tant il en connaissait d’avance le résultat et que celui-ci lierait l’ensemble du Groupe, un vote en Groupe qui y avait été inévitablement favorable. Dès lors, je m’estimais lié par le vote du Groupe auquel j’appartenais, et votait « pour » la délibération en Conseil municipal suscitant l’incompréhension des camarades communistes qui connaissaient mes interrogations. Mais la logique était simple : dès lors que je demandais un vote au sein du Groupe sur cette question et que ce dernier s’y déclarait favorable, il me semblait normal, et éthique, de respecter le résultat d’un vote que j’avais moi-même demandé. Cette attitude, je ne la retrouverais pas lors de mon mandat parlementaire…Mais au-delà de ces réunions institutionnelles municipales et communautaires, et internes, l’essentiel était bien le suivi des politiques publiques, de les modifier le cas échéant , d’être en lien avec les services municipaux, et d’assurer la présence lors des événements de la vie d’une Cité : manifestations publiques, réunions d’associations, cérémonies patriotiques, réunions des conseils d’écoles maternelles et élémentaires, visites de quartier…j’adorais particulièrement ces dernières.
Parallèlement la vie partisane continuait à me mobiliser. Membre du courant Socialisme et Démocratie – celui de DSK – je subissais comme les autres, son départ pour le FMI à l’été 2007, et décidais alors de suivre plus précisément Pierre Moscovici. Allait débuter ainsi un compagnonnage de près d’une décennie au cours de laquelle progressivement j’allais prendre de plus en plus de place dans son dispositif politique, notamment au sein des instances du Parti : débats préparatoires pour les conventions thématiques, participation aux différentes commissions électorales, aux travaux visant à mettre en place une primaire ouverte, gestion interne du courant…Du choix de suivre Pierre Moscovici à la rédaction d’une contribution, aux réunions faisant vivre la sensibilité, au choix stratégique de rejoindre Bertrand Delanoë plutôt que d’aller au vote, les moments d’échange se multiplièrent tout au long de ses mois notamment lors des Universités d’été de la Rochelle. C’est dans ce cadre pour le moins mouvant que je me préparais à la bataille fédérale afin d’obtenir un second mandat. Alors que sur le plan national, la motion de Ségolène Royal arrivait en tête, suivie de celle de Bertrand Delanoë puis de Martine Aubry (l’alliance de « la carpe et du lapin » entre les amis de Laurent Fabius et d’une partie des Strauss-Kahniens avec Jean Christophe Cambadélis), sur le plan fédéral celle du maire de Paris obtenait plus de 35% des suffrages, suivie à 10 points des partisans de Mme Royal (avec notamment Edouardo Rihan Cypel et Didier Turba), puis de ceux de la maire de Lille (notamment François Kalfon). Dans ce cadre, à l’occasion du congrès fédéral, j’obtenais le soutien de l’ensemble des motions et était le seul candidat en liste. Je parvenais ainsi à obtenir un nouveau mandat en rassemblant l’ensemble des sensibilités politiques du Parti. Dans le même temps, je quittais, professionnellement le cabinet du président de la région Ile-de-France et rejoignait celui du Maire d’Alfortville, en prenant sa tête, René Rouquet. J’y découvrais une culture militante et municipale bien différente de celle de Chelles et y nouait des relations amicales jamais démenties, en dépit des vicissitudes politiques avec Isabelle Santiago et Luc Carvounas, les deux conseillers départementaux d’alors. L’une allait devenir, et l’est encore, députée ; l’autre allait devenir sénateur, puis député, puis maire de la Commune. Et ce n’est pas fini. Pourquoi ce choix professionnel ? D’abord car cela constituait un nouveau défi (accompagner un processus de succession) ; mais aussi car cela me permettait de ne plus être dépendant sur le plan salarial du président du Conseil régional dont chacun savait, et souhaitait, qu’il soit candidat à sa succession en 2010 et avec lequel j’allais devoir établir la liste de la section départementale de Seine-et-Marne pour les régionales. Je faisais bien d’ailleurs car, comme d’habitude, l’établissement de la liste fut loin d’être de tout repos, notamment dans le cadre de mes relations avec la Direction nationale du PS. A cette époque, il y eut aussi l’affaire du redécoupage des circonscriptions qui mobilisât la Fédération dans son ensemble et le Premier fédéral au premier chef. Même si, in fine, le gouvernement réussit à imposer son découpage, nous avions alors effectué un véritable travail collectif permettant de proposer une hypothèse crédible bien différente de celle du Gouvernement. A l’issue de ce redécoupage, le nombre de députés de Seine-et-Marne passait de 9 à 11, les deux circonscriptions supplémentaires regroupant l’ensemble des bastions de gauche : l’une au Nord – la 10ème circonscription -, l’autre au Sud – la 11ème circonscription. La droite entendait ainsi parvenir à conserver ses 9 députés sortants et espérait mettre le « bazar » au sein du Parti socialiste sur la 10ème où se trouvaient trois des « jeunes pousses » socialistes : Olivier Faure – qui avait été candidat en 2007 sur une partie de cette circonscription, François Kalfon – conseiller régional et élu de Noisiel, et votre serviteur, élu sur le nord. A l’issue de quelques péripéties, Olivier Faure serait notre candidat dans la 11ème, François Kalfon était réélu conseiller régional et je serai le candidat socialiste dans la 10ème qui regroupait 7 communes : Chelles, Vaires-sur-Marne, Brou-sur-Chantereine, Lognes, Noisiel, Champs-sur-Marne et Émerainville.
Mais avant d’être désigné, je devais, avec beaucoup d’autres et à une place somme toute limitée, gérer un double séisme le weekend du 14 au 16 mai. Le dimanche matin, je découvrais tout d’abord les affres new-yorkaises de celui qui jusqu’alors était notre champion. La semaine précédente, avec près de 200 personnes nous nous étions d’ailleurs réunis à Brie-Comte-Robert pour lancer DSK 77… Inutile de dire qu’à l’incrédulité succédât assez rapidement la colère. Le mal était fait. Irrémédiable sur le plan politique. Parallèlement, étant élu d’astreinte (chaque semaine, l’un d’entre nous – adjoints ou conseillers délégués – devait être joignable à toute heure de la journée ou de la nuit par les services municipaux ou de police pour gérer tout événement nécessitant des mesures spécifiques) je devais, avec les élues en charge du scolaire et de la petite enfance, gérer l’incendie criminelle d’une école maternelle dans la nuit de samedi à dimanche. Sur place, je me souviens répondre à la fois sur le téléphone d’astreinte pour répondre à la presse, notamment, et sur le mien pour gérer les remontées (déjà) fédérales de la part de responsables qui ne cachaient que peu leur malin plaisir devant l’effondrement politique qui s’annonçait de DSK. Celui-ci hors-jeu, comme beaucoup, je rejoignais les soutiens de François Hollande lors de la primaire. Celle-ci, novatrice sur le fond comme sur la forme, allait être un véritable succès d’organisation. Elle donnât lieu à une multitude de réunions préparatoires dans l’ensemble des sections de la fédération afin d’emporter l’adhésion des camarades et afin de régler l’ensemble des problématiques : détermination des bureaux de vote, mobilisation des militants et sympathisants pour les tenir, séances de formation au plus près du terrain, mise en place des circuits pour récupérer l’argent collecté à l’issue des opérations de vote, installation de comités de suivis mobilisés lors des deux tours, obtention des listes électorales en dépit du peu d’allant mis par le Préfet de l’époque. A cette mobilisation fédérale venait s’ajouter le suivi des Comités stratégiques et d’organisation au niveau national. Ce fut une belle aventure politique au sens noble du terme, au-delà même du résultat qui conduisit à la désignation de François Hollande comme candidat du Parti socialiste au lendemain d’un second tour l’opposant à la Première secrétaire Martine Aubry.
Pour ma campagne des législatives de 2012, je m’appuyais à la fois sur les équipes de la précédente (Marie Louise Marion comme mandataire, Michel, Patrice, Yannick, Hugues, etc), mais aussi des nouveaux de l’autre côté de la Marne puisqu’à Chelles, Vaires-sur-Marne et Brou-sur-Chantereine, avaient été ajoutées les communes de Lognes, Noisiel, Champs-sur-Marne et Émerainville. A Lognes, outre le soutien inconditionnel du sénateur et président du Conseil départemental Vincent Éblé, je pouvais compter sur celui de nombreux amis dont Paul Miguel et de son maire Michel Ricard, figure historique du parti qui avait conquis la ville de Lognes dès le milieu des années 80 et qui avait fortement contribuer à en changer le visage ; à Noisiel, je pouvais m’appuyer sur l’ensemble de la section, grâce notamment à celui de Daniel et Nicole Vachez qui, les premiers, m’avaient très tôt demandé de me présenter aux législatives. J’en avais été très touché, d’abord car ils étaient tous deux des militants émérites et les voir me reconnaître quelques qualités n’était somme toute pas désagréable, mais aussi car Daniel, outre son mandat de maire de la Ville avait été député de 1997 à 2002. A Champs-sur-Marne, municipalité communiste ayant des relations bien fraîches avec le Parti socialiste, je choisis de m’appuyer sur la responsable de la section Julie Gobert en en faisant ma suppléante, notamment car elle était la seconde ville en taille de la circonscription et dans la perspective des municipales de 2014. Comme 5 ans auparavant, le timing de la candidature se déroulât en deux temps : après avoir été désigné par les camarades, et validé par le Conseil National, je lançais une campagne d’affichage et distribuait ma lettre de candidature dans toute la circonscription en faisant de multiples opérations de terrain. Vint ensuite le temps d’une campagne présidentielle rondement menée qui se terminait par la première victoire d’un candidat socialiste depuis la réélection de François Mitterrand en 1988. Je me souviendrais longtemps de cette fin de matinée d’un weekend prolongé où l’un des responsables de l’équipe du candidat m’appelait pour organiser éventuellement le vendredi soir un meeting en plein air…tout en sachant qu’il ne me donnerait le « go » que dans la journée du mardi, voire du mercredi. En quelques heures, nous réunissions les énergies, trouvions les matériels, imprimions des flyers à distribuer dans les boites-aux lettres de Chelles et des villes avoisinantes, organisions les prises de parole et commencions à mobilier les sympathisants. Et ce fut une réussite puisque ce meeting en plein air nous permit de réunir près de 2000 personnes au débotté, ou presque. La dynamique était là. Elle perdura jusqu’au 2nd tour et le soir de la victoire de François Hollande, nous savions devoir l’emporter Oliver Faure et moi-même dans nos circonscriptions respectives et nous pouvions l’espérer dans la 7ème, la 8ème et la 9ème circonscription. Finalement seul le candidat de la 8ème, Edouardo Rihan Cypel parvenait à être élu. Le soir du second tour, après avoir dépassé les 40% au 1er tour (42,24% dans la circonscription et 39,91% dans la Ville de Chelles), je dépassais les 60% dans la circonscription au second (60,7%) et 56,5% dans la Ville. Le soir, nous fêtions cette belle victoire dans la salle du Centre culturel de Chelles, avec plus de 500 personnes, militants et sympathisants et ma famille qui m’avait supporté depuis le début, heureuses de voir cette circonscription de nouveau conquise par la gauche depuis 1988, au moins pour la partie nord. Je dis la gauche, car c’était bien le candidat estampillé PS, et donc la gauche, qui l’avait remporté, pas Emeric Bréhier. Je ne dérogerai jamais, encore moins aujourd’hui, de cette conviction ! Dès le lendemain de mon élection je composais mon équipe en m’entourant de fidèles : Corinne pour les dossiers de la circonscription, Laetitia pour le suivi de l’agenda et la communication et Sébastien pour l’Assemblée, qui au bout de deux ans voguera vers les ministères et sera remplacé par Raphaël. Sans eux, aucun travail au Parlement ou en circonscription n’aurait été possible. Conformément aux statuts de mon parti, quelques semaines après mon élection, je redevenais conseiller délégué, abandonnant mon poste d’adjoint et à l’occasion du Congrès de l’automne je laissais, avec émotion, mon mandat de 1er fédéral d’abord à Philippe Sainsard puis à Sébastien Podevyn.
Mon mandat parlementaire fut à la fois une source de satisfactions immenses et très déceptif. Satisfactions d’abord, et surtout, car l’on participe alors à l’écriture – aussi modestement soit-il – de la Loi et au contrôle du gouvernement. Même si cette partie-là est par nature moins développée lorsque l’on est dans la majorité que dans l’opposition. L’émotion vous étreint immanquablement lorsque vous posez votre première question d’actualité. J’avais d’ailleurs, à ce moment, été cornaqué par un formidable député socialiste expérimenté, Armand Jung, un de mes voisins de bancs. Mes enfants avaient remarqué, pour s’en moquer gentiment, que la main tenant les papiers de la question tremblait quelque peu…je faisais le choix, plutôt que la Commission des Lois où mon parcours universitaire me poussait, d’aller à la Commission des affaires culturelles et de l’éducation, estimant que les questions éducatives étaient au cœur des politiques publiques visant à donner à chacune et chacun la possibilité de s’inventer un devenir et qu’il y avait là des enjeux majeurs y compris pour la pensée socialiste. J’y retrouvais beaucoup d’enseignants d’ailleurs, du secondaire comme de l’université. Et, surtout, j’y retrouvais Patrick Bloche, son nouveau président, avec lequel des liens d’amitié se nouèrent alors. Il me fit à plusieurs reprises confiance pour un rapport budgétaire pour avis que je consacrais à la problématique de l’insertion professionnelle des doctorants, pour le rapport sur la mission parlementaire consacrée au cycle « n-3, n+3 » durant laquelle je découvrais mon collègue LR Benoist Apparu, ou pour le projet de Loi sur la République Numérique aux côtés de Luc Belot, rapporteur au fond pour la Commission des Lois. La vie parlementaire est très rythmée : le mardi matin groupe, commissaires de la Commission Affaires Culturelles le mardi à 14h, séance l’après-midi et le soir ; le mercredi, commission des Affaires culturelles puis séance après-midi et soir ; le jeudi séances publiques. A ces réunions institutionnalisées s’ajoutaient des rendez-vous au Parlement, des auditions dans le cadre des travaux parlementaires, des rencontres avec les cabinets ministériels afin de faire avancer des dossiers sur la circonscription, et les séances de nuit pour assurer la majorité comme souvent pour les députés franciliens…Les lundis étaient consacrés aux réunions d’équipe le matin et au travail sur les dossiers de la circonscription avec souvent deux ou trois rendez-vous avec des concitoyens ; les vendredis étaient quant à eux consacrés à des permanences parlementaires le matin et au travail de circonscription l’après-midi avec souvent des rendez-vous en permanence ou bien des déplacements sur le terrain qui se poursuivaient le week-end. Venaient s’y glisser les différentes réunions au sein du Parti socialiste : le Secrétariat national et le Bureau National chaque semaine, ainsi que les différents moments consacrés à la gestion du courant de Pierre Moscovici. J’avais établi une double règle par ailleurs : pas plus de 4 soirées de prise sur les 7 de la semaine, afin d’avoir un peu de temps pour la famille et éventuellement les amis, et 1 week-end totalement « off » toutes les 5 à 6 semaines. Déceptif également non pas sur l’absence des moyens parlementaires, contrairement à ce que j’entends très souvent. De fait, je suis plutôt de l’école de Guy Carcassonne en la matière : sur le plan juridique les députés disposent de tous les moyens pour faire la Loi, et en contrôler la mise en œuvre. Car au final tous les dispositifs imaginés par les Constituants pour rationaliser, comme l’on dit, la vie parlementaire, ne les empêchent jamais en rien de voter contre le Gouvernement ! Ce qui se joue en réalité dans cette critique c’est le fait majoritaire : les députés sont élus suite à une élection présidentielle et ils la doivent donc pour la plupart d’entre eux à une victoire présidentielle. Ce qui veut dire, en clair, que l’essentiel des décisions se prennent au sein des groupes parlementaires, et singulièrement pour le groupe majoritaire. C’est donc bien la gestion des divergences au sein du groupe parlementaire majoritaire que le bât a blessé durant ce mandat. Et plus encore, ce qui a provoqué moults et moults difficultés durant ce mandat fut bien le fait que lorsque des votes étaient requis dans le groupe, ou au sein des instances nationales du Parti, personne ne se sentait lié par leurs résultats. Cette incapacité collective à faire accepter les règles de vie interne d’un collectif jouât pour beaucoup dans le sentiment de délitement d’appartenance à une aventure collective.
Parallèlement à mes activités parlementaires, je continuais à m’investir au sein de la direction nationale du Parti socialiste. D’abord au secrétariat national à l’éducation, avec à mes côtés un formidable militant de la cause, Yannick Trigance ; tous deux nous écumions les sections, les fédérations, les villes pour y défendre la réforme essentielle, et malheureusement incomprises, des rythmes scolaires voulue par Vincent Peillon. J’y pris un énorme plaisir même si cela fut très chronophage et que cette évolution absolument indispensable fut combattue ardemment par nombre de corporatismes, y compris au sein des socialistes. Ce fut un échec à la fois politique et idéologique, ce qui est sans doute le plus grave. Alors même que chacun reconnaît que notre répartition du temps scolaire n’est sans doute pas pour rien dans l’affaissement de nos résultats internationaux. Notre incapacité collective à faire évoluer notre système éducatif est pour moi l’une des nombreuses inconnues de la vie publique de ces dernières années ! Je m’occupais également un temps de la formation, la seule année où les Universités d’été seraient annulées…et remplacées par des Universités décentralisées préparées notamment, avec son efficacité coutumière, par mon compère Sébastien Roy. Je m’occupais également des fédérations et des élections aux côtés de Christophe Borgel et de Pierre Jouvet. Dans ce cadre, avec d’autres j’étais missionné par Jean-Christophe Cambadélis qui avait succédé à Harlem Désir au poste de Premier secrétaire pour remettre de l’ordre dans le Gard. J’allais y consacrer une année entière avec l’aide notamment de Jules Joassard, Rachid Témal et Philippe Bonnefoy. Au final, en dépit des difficultés et des anicroches, la mission fut remplie : un nouveau premier secrétaire fédéral était élu dans le cadre du Congrès de Poitiers, un nouvel exécutif était mis en place, une nouvelle carte des sections mise en place, le département du Gard était demeuré à gauche (en dépit de la cruelle défaite de Jean Denat dans son canton de Vauvert par le RN…déjà) et la liste pour les régionales conduites par Carole Delga dans cette nouvelle région qu’était l’Occitanie était constituée. Cet épisode gardois m’a d’ailleurs permis de rencontrer des militants extraordinaires, quels que fussent par ailleurs nos désaccords : Jean-Christian, Jérôme, Jean, Robert ou bien encore Joseph, parmi beaucoup d’autres.
Sur le plan municipal, les choses allaient se corser terriblement. La majorité était en place depuis la victoire de 1995, cela allait donc faire presque 20 ans de responsabilité. Il y avait donc en partie un épuisement sur le plan des idées, mais également des personnes : les pionniers ne voyaient pas pourquoi eux qui avaient conquis de haute lutte la commune devaient s’effacer au profit de jeunes « nés avec une cuillère en or dans la bouche ». Bref le syndrome du bastion. Les tensions étaient croissantes au sein d’une équipe confrontée à une opposition qui se mettait en ordre de marche derrière un jeune candidat – qui avait été suppléant de mon adversaire aux législatives en 2012 – soutenu par Jean-François Copé, le maire de Meaux. De plus, les divergences nationales au sein de la gauche s’accentuaient au fil du temps, et ce d’autant plus qu’en son sein se trouvait un député et membre de la Direction nationale du PS. Bref, la figure tutélaire du Maire tenait encore l’équipe mais on sentait bien que la dynamique n’était pas de notre côté. Ceci conduisit à une division de la gauche devant les électeurs, à de mauvais choix de liste (j’en prenais ma part) et à une ambiance peu propice à une belle campagne électorale. Tout ceci dans un contexte politique national difficile. Les traditionnelles opérations de porte-à-porte confortaient cette impression avec un sentiment de lassitude de la part de nos concitoyens…comme le sable filant entre les doigts. Et le soir du 1er tour, la sanction tombait, abruptement : nous étions devancés de près de 200 voix et le RN frôlait les 20%, lorsque les réserves de voix de gauche atteignaient tout juste 10% des suffrages exprimés. Hormis un sursaut des abstentionnistes nul véritable espoir ne pouvait demeurer…et chacun sait qu’une éventuelle hausse de la participation est souvent équitablement répartie. Le soir du second tour, il n’y avait donc pas de surprise : la liste de la droite rassemblée l’emportait aisément avec plus de 800 voix d’écart lorsque le RN en perdait près de 1300…Nous avions remporté 2000 voix de plus qu’au 1er tour (soir 300 de plus que le score cumulé des deux autres listes de gauche du 1er tour), mais la liste de l’opposition avait progressé de plus de 2600 voix…Même prévisible et anticipée, le choc fut rude pour beaucoup d’entre nous. Allaient ainsi débuter plusieurs années au cours desquelles j’essaierai, en vain, de maintenir une unité au sein des groupes d’oppositions. Le travail d’opposition est toujours rude, surtout lorsque l’on a été au préalable élu majoritaire. Il faut (re)trouver l’habitude de préparer les conseils sans les services en appui, d’aller à la pêche aux informations, de continuer à être présent sur le terrain en dépit des rebuffades des uns et des autres qui durant des années devaient vous subir, bref manger son pain noir après des années au pain blanc. Travail d’autant plus rude lorsque la prise de fonctions de la nouvelle majorité s’accompagne de mises en cause éhontées sur la probité d’un certain nombre d’élus, ou d’anciens élus. Il faut bien constater que je ne parvins pas à maintenir l’unité d’action des différentes sensibilités des élus, au-delà des divergences d’appartenance politiques. Sans doute en partie de mon fait. Sans doute en raison des égos des uns et des autres, des inimités personnelles aussi et de la volonté de certaines et certains de se positionner en prévision des prochaines municipales. J’en tirais les conclusions, progressivement, en m’investissant de moins en moins, estimant que je finissais par devenir un obstacle, étant député et d’aucun pouvant estimer que j’envisageais de me présenter en 2020 aux municipales…Oubliant qu’auparavant il y avait des législatives en 2017.
Cette défaite venait s’ajouter à un dépit de plus en plus fort vis-à-vis de l’évolution de la vie interne du Parti socialiste et de la vie parlementaire, avec le sentiment que nous étions de plus en plus à côté de la plaque et incapables non pas seulement de trancher nos différents mais aussi – surtout ? - de respecter collectivement les votes. Le ver était dans le fruit. A tous ces éléments politiques venaient s’ajouter une évolution plus profonde : j’ai toujours considéré que pour « faire » de la politique il fallait aimer les gens. Pas le peuple ; celui-ci est une abstraction trop aisée à apprécier. Non, les gens, pris individuellement. Or, cette capacité d’affection s’était étiolée au fil du temps. Pour quasiment disparaître. Par ailleurs j’avais toujours à un moment ou un autre souhaité vivre ailleurs que dans ma ville d’adoption, Chelles. Or si je décidais de me mettre en situation de me représenter, au-delà de mes interrogations politiques, je risquais de repartir pour 5 années supplémentaires et donc de voir mes enfants refuser tout départ de la ville où ils auraient vécu à l’âge de 18 et 15 ans. J’entamais donc une réflexion au début de l’été 2015 pour savoir si je souhaitais poursuivre un investissement politique qui m’avait animé depuis tant d’années, étant décidé à choisir suffisamment rapidement pour permettre à mon parti, tant nationalement que localement, de se mettre en ordre de marche. J’en parlais à mon épouse, sans qui rien de ce que j’avais réalisé depuis, n’aurait été possible. Et prenait la décision à la fin de l’été d’arrêter. J’en informais lors des Universités d’été un très proche, Laurent Azoulay, puis au mois de septembre Jean-Paul Planchou ainsi que Jean-Jacques et Marie-Louise Marion. Le moins que l’on puisse dire est que si chacun respectait ma décision, elle était pour autant subie voire incomprise. Cette incompréhension allait être encore plus forte les mois suivants notamment de la part de responsables nationaux du Parti socialiste. Afin de gérer au mieux les implications locales et nationales, je voyais progressivement au printemps 2016 mes principaux soutiens afin de les informer de mon choix et de construire au mieux possibles les prochaines étapes : les couples Ricard et Vachez, comme Vincent Éblé réagirent avec une humanité extraordinaire. Mon équipe parlementaire l’acceptât avec résignation et stupeur. Quant à Sébastien Podevyn, il crût d’abord à une blague et je crois qu’il ne s’en est toujours pas remis. J’en informais également l’ensemble des secrétaires de section de la circonscription, après avoir pris le temps d’une discussion avec ma suppléante. J’achevais le tour par le bureau de la section de Chelles au sein duquel siégeaient quelques militants avec lesquels les relations étaient pour le moins fraîches. Parallèlement, enfin, je voyais dans l’ordre le Premier secrétaire du Parti socialiste, le président de l’Assemblée Nationale, le président de mon groupe parlementaire et enfin, le Commissaire européen, leader du courant auquel j’appartenais. Les réactions des uns et des autres furent contrastées : de l’incrédulité chez les uns - compte tenu de mon parcours, de la sympathie et de la connivence chez d’autres, de la déception enfin. Avec le Premier secrétaire nous nous accordions sur le fait que cette circonscription – bonne pour le Parti socialiste – devait être réservée à une candidature femme. Je lui laissais la possibilité d’en discuter avec le président de la République et l’assurait que je ferai en sorte que le choix des autorités de mon Parti soit accepté et soutenu localement. Leur choix se portait sur Juliette Méadel. Et, comme je m’y étais engagé, elle fut désignée candidate à l’issue d’une procédure interne normale, contre une candidature locale, avec plus de 70% du vote des militantes et militants de la circonscription. Bien sûr ce choix me fut reproché, légitimant ainsi la candidature d’une camarade – tout à fait légitime – adossée à un suppléant qui quelque mois plus tard essaierait d’avoir l’investiture, en vain, du mouvement politique d’Emmanuel Macron. Et même si cela gênât quelques puristes, je prenais position avec vigueur dans ce débat comme ma qualité de militant du Parti socialiste m’y autorisait. Dans le même mouvement, en dépit des appels du pieds d’un certain nombre de proches engagés dans l’aventure « Macron », je restais fidèle à mon Parti, sans pour autant accepter de parrainer son candidat lors de l’élection présidentielle. Je l’écrivais d’ailleurs dans une lettre manuscrite à Benoît Hamon, assumant pleinement mes désaccords avec lui. Pour autant je ne parrainais pas d’autre candidat et ne prenait pas position lors de cette élection présidentielle. Par contre j’essayais d’accompagner du mieux que je le pouvais la candidate du Parti socialiste, sans succès, puisque comme la plupart des candidats, elle fut balayée lors du 1er tour de l’élection législative. Ma dernière participation à une cérémonie officielle se déroulât le jour du second tour, le 18 juin 2017, en présence du maire de Chelles, avec lequel les relations s’étaient notablement apaisées depuis que j’avais rendu public mon choix, et accompagné de nombreux militants et sympathisants. Dernière précision, je décidais alors, à la demande des maires socialistes de la Communauté d’agglomération, de ne pas démissionner de mon mandat municipal, celle-ci pouvant rompre l’équilibre entre les forces de droite et de gauche dans cet établissement public communautaire. Dès lors, à chaque conseil municipal je veillais à donner procuration à l’une des élue, Annie Ferri, et à préparer avec elle le Conseil (je prenais d’ailleurs parfois des positions différentes des siennes).
Débutait alors une dernière phase de ma vie professionnelle et militante. Militante d’abord en commençant une longue collaboration avec les amis de la Fondation Jean Jaurès. Gilles Finchelstein et Laurent Cohen, que je connaissais évidemment de longue date, me demandèrent d’écrire fréquemment des articles sur l’actualité parlementaire et électorale. Ayant quelques notions dans ces deux domaines, j’acceptais bien volontiers d’apporter ma pierre à la vie de cette fondation reconnue d’utilité publique et qui a toujours su jouer son rôle dans la vie intellectuelle de la gauche française, quels que soient les périmètres qu’on lui donne. Depuis lors, cette collaboration intellectuelle n’a jamais cessé, même si depuis quelques temps, celle-ci s’est distendue en raison d’occupations professionnelles plus chronophages. Sur ce plan, à côté d’activité de conseils classiques que je poursuis aujourd’hui, pendant 6 ans j’étais professeur associé des Universités à l’Institut d’Études Politiques de Bordeaux, et responsable du master Métiers du Politique. J’y consacrais beaucoup de mon temps, non pas seulement pour y assurer les cours, mais aussi pour permettre à mes étudiants de trouver des stages dans les collectivités territoriales, au Parlement européen ou dans les assemblées parlementaires nationales ainsi dans les ministères. Ils ne disposaient d’aucuns réseaux ; j’en avais certains. Je mettais le pieds à l’étrier à certains d’entre eux.
Cet investissement politique fut merveilleux, je m’y
suis épanoui pleinement personnellement et professionnellement.
Il m’a permis de rencontrer des personnes extraordinaires, loin
de mon milieu social d’origine. La vie politique loin d’être
un entre-soi constitue une formidable opportunité pour rencontrer
des femmes et des hommes bien éloignés de ses propres connaissances.
Mais l’on peut fort bien conserver ses convictions, son souci de
l’intérêt général sans pour autant poursuivre
un investissement électoral. Et le faire, comme lors de ses mandats,
sans regrets ni remords.
BREHIER Emeric
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08/07/2025