A Bruxelles, Bertrand Cazes (PO 1999) dirige le syndicat professionnel de l’industrie européenne du verre plat depuis 4 ans. Après un stage au sein de la structure, Vivien Fourcade (SP 2010) a intégré l’équipe comme Conseiller en Affaires Publiques. Tous deux nous proposent un regard croisé sur le métier de lobbyiste européen…
Le
métier de lobbyiste européen est incontestablement méconnu
et dès lors de nombreux mythes l’entourent. ‘Ceci est
tout particulièrement vrai en France où s’est enraciné
le concept de l’intérêt général abstrait
que seuls la fonction publique et les décideurs politiques savent
définir en complète autarcie’ explique Bertrand Cazes.
‘Au niveau européen, chacun admet que la définition
de l’intérêt général n’est pas
chose facile et que celui-ci peut être informé par une bonne
compréhension des multiples réalités, d’où
l’existence de nombreux représentants d’intérêts
privés, publiques, syndicaux ou d’ONGs. Notre tâche
est donc d’expliquer les réalités et de promouvoir
les vues de l’industrie verrière en toute honnêteté
et transparence. Charge aux officiels européens d’arbitrer.
« Certains abus entachent parfois la profession », admet Vivien
Fourcade. « Cependant, il s’agit de cas isolés qui
doivent être sévèrement sanctionnés ».
De nombreux garde-fous existent : codes de déontologie, réglementation
européennes, registre public listant les lobbyistes accrédités,
publication officielle des budgets, etc. La valise de billets ou le compte
off-shore ne font pas partie des outils du lobbyiste. « La réalité
quotidienne de mon métier est très éloignée
des perceptions collectives qui l’entourent ».
D’après Vivien Fourcade, comprendre, expliquer,
apporter des preuves sont en réalité le plus gros du travail.
« Lorsque vous travaillez sur des sujets aussi pointus que ceux
liés au recyclage ou aux processus de fabrication, votre première
mission est d’en comprendre tous les tenants et aboutissants techniques
grâce à l’appui des experts industriels. C’est
absolument essentiel pour pouvoir par la suite expliquer les réalités
à vos interlocuteurs politiques, qui ne sont pas des techniciens
mais qui ont besoin de comprendre pour pouvoir décider. »
C’est aussi passionnant car cela permet de réaliser à
quel point une législation peut avoir des impacts très concrets
sur la vie d’une usine et de ses employés.
La phase d’argumentation ne vient que par après. C’est
la partie immergée de l’iceberg pour Bertrand Cazes. «
Il est absolument nécessaire pour convaincre de savoir construire
une argumentation, de l’étayer par des faits et des données
robustes qui doivent provenir de sources indépendantes. Enfin,
les capacités de synthèse, de rédaction, d’expression
et de compréhension des enjeux et des mécanismes institutionnels
sont également primordiales pour réussir. A cet égard,
une formation d’IEP couplée avec une expérience du
milieu politique est très utile. »
Les deux lobbyistes mettent toutefois en garde les étudiants
: il n’y a que peu de postes disponibles. Les formations en affaires
européennes pullulent et de nombreux diplômés très
qualifiés et polyglottes viennent de toute l’Europe tenter
leur chance à Bruxelles. « J’ai eu de la chance »,
reconnaît Vivien Fourcade. « Via le réseau de l’IEP,
j’ai trouvé une offre de stage rémunéré
chez Glass for Europe à laquelle j’ai postulé à
la sortie de mon master de l’IEP. Ma candidature a été
retenue et après entretien, j’ai obtenu ce stage. Celui-ci
a ensuite été transformé en CDD puis en CDI mais
nombre de connaissances naviguent toujours de stage en autre contrat précaire.
»
Au-delà de la formation IEP, le CV de Vivien comprenait trois éléments
fondamentaux : une expérience, notamment politique, acquise par
le biais de stages antérieurs, un parcours international et une
pratique de l’anglais irréprochable. « Pour le reste,
il a fait ses preuves et il a mérité d’être
embauché, malgré un contexte économique très
difficile pour notre industrie » explique Bertrand Cazes. «
Pour ma part, j’ai débuté dans le lobbying européen
il y a 11 ans au sein de la représentation d’une grande entreprise
pharmaceutique française ». Les postes dans la représentation
d’intérêts hexagonaux sont encore plus confidentiels
et nécessitent quoi qu’il en soit une absolue maitrise de
l’anglais, la langue véhiculaire du microcosme bruxellois.
Exercer le métier de lobbyiste européen
est très excitant et enrichissant. Qu’il s’agisse de
défendre les intérêts d’ONG, de syndicats d’employés,
de collectivités territoriales et plus encore d’acteurs industriels,
c’est un métier qui impose la probité pour bâtir
des relations de confiance avec ses interlocuteurs. C’est important
aussi à titre personnel, pour être fier de ce que l’on
fait. « De ce point de vue là, nous sommes à l’aise
avec nos activités : au jour le jour, c’est pour la ré-industrialisation
de l’Europe, l’efficacité énergétique
et le développement durable dans la construction que nous nous
battons ».
A l’unisson, Bertrand et Vivien concluent sur le même message
: pour poursuivre cette voie, l’étudiant de l’IEP ne
doit pas seulement être motivé, il doit s’en donner
les moyens : maitrise parfaite de l’anglais, expérience à
l’étranger, stages dans le milieu politique et l’entreprise
et, bien sûr, il doit être prêt à activer les
réseaux…
_____________________
1 Glass for Europe est l’association européenne des producteurs
de verre à destination du bâtiment (fenêtres, façades,
partitions intérieures), de l’automobile et autres moyens
de transport (pare-brise, fenêtres, miroirs) et de l’industrie
solaire (couvertures et connecteurs pour les modules photovoltaïques).
A ce titre, Glass for Europe représente les intérêts
européens de grandes multinationales telles que Saint-Gobain, NSG-Pilkington,
AGC Glass, etc. sur des sujets aussi variés que les processus industriels,
l’efficacité énergétique du bâtiment
et de l’automobile, la politique environnementale, le marché
intérieur et le commerce international.
05/02/2013