Pierre CLOUET (1988 SP)
-
De manière synthétique, quel est ton parcours scolaire et
professionnel ?
J’ai fait un peu par hasard une hypokhâgne puis une khâgne
philo dans un lycée parisien (Jules Ferry) sur les conseils de
ma prof d’histoire-géo de terminale, alors que je me dirigeais
initialement, après un bac L, vers des études de musicologie.
Par équivalence, je suis entré directement en 3ème
année de fac de philo où j’ai obtenu ma licence. J’en
avais tiré la conclusion suivante : jamais plus la fac ! Sans projet
professionnel précis, après un échec à Normale
sup qui m’avait affecté, j’étais intimidé,
du fait de mes origines sociales relativement modestes, par la perspective
de passer le concours de l’IEP de Paris. Je me suis progressivement
orienté vers le concours d’accès direct à l’IEP
de Grenoble destiné aux diplômés post-bac. Cet IEP
était l’un des seuls à offrir des possibilités
d’accès à des non-juristes de formation. Après
avoir obtenu le diplôme (section service public), je voulais m’inscrire
en année de prep-ENA mais ma mère ne pouvant plus financer
mes études, j’ai passé au plus vite tous les concours
de la fonction publique inscrits au Journal officiel ! J’ai accepté
avec soulagement le premier que j’avais passé (et réussi)
: inspecteur des PTT. Quelques années après, un ancien condisciple
(et toujours ami) de l’IEP, qui travaillait au ministère
des affaires étrangères, m’a convaincu de tenter au
hasard le concours de Secrétaire des affaires étrangères.
Je n’avais pas fait de prépa spécifique pour viser
ce concours mais j’avais l’acquis d’une année
de « détachement » pour préparer activement
le concours interne de l’Ecole nationale des PTT, que j’avais
d’ailleurs loupé… Ma connaissance des langues et sans
doute mes capacités de travail et ma formation IEP Grenoble ont
contribué à ma réussite au concours des affaires
étrangères. Ensuite, j’ai eu jusqu’à
présent un déroulement de carrière alternant des
postes en administration centrale et à l’étranger,
en Europe (Pays-Bas, Bulgarie, Slovaquie, actuellement Russie) dans des
ambassades bilatérales. L’affectation à l’étranger
signifiant pour moi la découverte d’un pays, de sa culture
et de sa langue, j’ai toujours choisi de travailler dans des ambassades
bilatérales plutôt que dans des représentations françaises
auprès d’organisations internationales, même si le
travail multilatéral est considéré généralement
comme plus prestigieux. Il est sans doute plus valorisant pour la carrière.
- Quelle est la cohérence derrière
ces choix ?
Avec le recul, je m’aperçois que, sans projet professionnel
précis ni ambition forte, je me suis toujours dirigé vers
des études qui me plaisaient et qui me permettaient de découvrir
des disciplines nouvelles, de mieux comprendre la réalité
qui nous entoure, et qui ne va jamais de soi. Par ailleurs, je pense avoir
toujours ressenti depuis l’enfance un sentiment personnel d’insécurité
assez diffus, sans doute lié à ma situation familiale, qui
me conduisait à penser que je ne pourrais bénéficier
d’aucun appui familial, ni même de conseils de proches, si
je ne réussissais pas mes études et mon intégration
professionnelle. Je me suis donc assez naturellement dirigé vers
les concours de la fonction publique en dépit de mon admiration
personnelle pour tous ceux qui créent leur entreprise, qui y mettent
tous leurs moyens financiers, qui créent des produits et services
nouveaux, des emplois... Il n’y avait d’ailleurs pas encore
de stage à l’époque permettant de découvrir
la réalité de la vie en entreprise quand j’étais
en IEP. Je constate, vu l’expérience de mes filles, que les
stages jouent un rôle important en matière d’orientation
: ils permettent d’éclairer les choix, d’apprendre
à rédiger, à se présenter.
- Concrètement, sur quoi travailles-tu
?
Actuellement à Moscou, en chancellerie diplomatique, je suis chargé
du suivi des relations entre la Russie et un certain nombre de pays d’Asie,
d’Afrique et d’Amérique latine. C’est passionnant
même si la charge de travail est toujours dense et oblige à
rester en éveil sur l’ensemble de l’actualité
concernant les relations de la Russie avec ces pays. La Russie étant,
comme la France, l’un des cinq pays membres permanents du Conseil
de sécurité des Nations Unies, elle dispose également
d’un grand réseau diplomatique et elle est appelée
à avoir un avis et à définir des positions sur l’ensemble
des questions internationales : crises internes des Etats et crises régionales,
questions de gouvernance mondiale, environnement… Cela signifie
un travail de veille important et d’information à destination
du ministère des affaires étrangères sur les relations
entre la Russie et les pays concernés, la préparation d’entretiens
de l’Ambassadeur avec les autorités russes mais aussi parfois
avec ses homologues ambassadeurs. Egalement la préparation d’éléments
d’information et parfois d’intervention pour les autorités
françaises (ministres ou directeurs) qui se rendent en Russie.
On essaie de voir ou se situent les causes des divergences d’analyse,
s’il y en a sur certains dossiers, et modestement de rechercher
et de proposer des points de convergence pouvant permettre d’avancer
et de surmonter les blocages. Tout ceci peut paraître abstrait quand
on est extérieur aux milieux diplomatiques mais la finalité
d’ensemble me semble à la fois simple et ambitieuse, peut-être
utopique : contribuer à la construction d’un monde où
les divergences d’intérêts et de valeurs ne conduiraient
plus à des guerres, dont on sait qu’elles sont l’une
des causes importantes des famines, des épidémies et des
dégradations de l’environnement. Je pense que c’est
davantage possible dans un monde en voie de globalisation comme le nôtre,
où les interactivités et les interdépendances sont
de plus en plus fortes entre tous les coins de la planète. Et si
des interventions militaires dans certains pays sont nécessaires
pour une cause qui semble juste, alors il faut s’assurer que c’est
en accord avec l’ensemble de la communauté internationale
et en conformité avec les aspirations de l’opinion publique
dans les pays concernés.
- Que t’as apporté ton passage à
l’IEP de Grenoble ?
A l’époque la possibilité de découvrir avec
intérêt de nombreuses matières, souvent nouvelles,
sans être contraint de m’orienter dans l’immédiat
vers une option professionnelle déterminée. Egalement apprendre
à maîtriser l’expression, tant écrite qu’orale,
aller à l’essentiel et toujours avec un regard critique dans
la prise de connaissance des documents, comme en khâgne d’ailleurs.
Ensuite, j’ai constaté que la formation IEP était
pour moi un bon moyen d’accès vers d’autres études
supérieures et naturellement vers l’insertion professionnelle,
via la réussite aux concours de la fonction publique.
J’y ai connu aussi plusieurs de mes amis actuels. Ce n’est
pas négligeable non plus.
- Quelle est la prochaine étape ?
Après un séjour à Moscou, un retour à Paris,
en administration centrale, qui sera dans l’ordre des choses…
Il est de bon sens de revenir régulièrement vivre dans le
pays qu’on a pour fonction de représenter pendant des années
quand on est à l’étranger. Je suis surpris de découvrir
à chaque fois que j’y reviens combien la France bouge, évolue,
s’intègre à l’Europe et à la mondialisation.
- Un dernier message pour les élèves
actuels de l’IEPG ?
Je me sens vieillir quand je suis appelé à donner des conseils,
mais je l’assume…
Toujours essayer de trouver du plaisir aux études et s’investir
personnellement dans les matières enseignées pour que leur
apprentissage, même si on ne l’a pas toujours choisi, ne soit
pas subi comme une charge de tristesse. Profitez de ces années
pour approfondir votre culture générale, qui sera perçue
comme la marque de votre ouverture d’esprit, de votre ouverture
aux autres également, et de votre capacité d’adaptation
dans le travail. Dans un monde de plus en plus ouvert sur l’international
et en contact avec les différences culturelles, s’investir
dans l’apprentissage des langues étrangères est vital.
Mais la maîtrise du français est également importante
: une orthographe déficiente est en soi perçue irrésistiblement
comme une marque de désinvolture à l’égard
du lecteur. La qualité de l’expression, notamment écrite,
détermine donc le regard qu’on porte sur un candidat à
un stage ou un emploi. Je l’ai ressenti très fort dans une
affectation précédente, tandis que je devais choisir des
stagiaires pour quelques mois.
Pierre Clouet
pierre.clouet@diplomatie.gouv.fr
27/02/2013