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« Thora van Male, l'humour british »

 

Chers tous,

Ce message inhabituel au coeur de l'été pour vous faire part d'une bien triste nouvelle. J'ai en effet la douleur de vous informer du décès de Thora van Male. La maladie contre laquelle elle luttait avec la force que tout le monde lui connaissait aurait finalement eu raison d'elle. Thora avait une personnalité hors du commun qui ne pouvait laisser personne indifférent, collègues et étudiants. Elle a oeuvré pendant de longues années auprès de la direction de notre établissement et a toujours fait preuve d'un dévouement rare pour ses étudiants. C'était l'une des figures marquantes de Sciences Po Grenoble dont elle avait pourtant souhaité se retirer discrètement au moment de son départ à la retraite. C'est tout aussi discrètement, en pleine chaleur estivale, qu'elle nous aura quittés. J'adresse à tous ses proches, au nom de Sciences Po Grenoble, nos sincères condoléances et l'expression d'une reconnaissance particulièrement vivre de notre institution pour laquelle Thora aura particulièrement compté.

Bien cordialement

J.C. Froment
Directeur de Sciences PO Grenoble
[02/08/2016]

 

Texte de François d’Arcy (directeur honoraire de l'IEP) lu aux obsèques de Thora van Male, le 4 août 2016

Dans son bureau à Sciences Po, dans son appartement rue Brocherie ou sa maison de Mens, Thora créait son monde, un monde à nul autre pareil. Dans ce qui paraissait d’abord un immense fouillis, chaque livre, chaque objet, chaque lettre ou carte postale trouvait sa place, reflet de ses engagements auprès de ses étudiants, de ses amis, de sa famille ou des SDF de la rue du Vieux Temple. Son souci esthétique s’y manifestait en permanence, un souci esthétique que l’on retrouve dans les objets qu’elle aimait fabriquer, dans les livres qu’elle a publiés et les expositions auxquelles ils ont donné lieu.

Lorsque j’étais directeur de l’IEP et que je l’ai accompagnée sur les échanges erasmus, ses attitudes paradoxales prenaient à contre-pied ma rationalité bien française. De quoi aussi déconcerter bon nombre de ses étudiants jusqu’à ce qu’ils découvrent que ce n’était que l’expression de son total dévouement.

La mort était familière pour Thora et la tombe où son corps va maintenant reposer au cimetière de Mens était prête de longue date. Durant les dernières semaines elle l’a affrontée sans faux-fuyant, forte de l’amour qu’elle partageait avec Bob depuis plus de cinq ans. Il nous a été donné à Jeff et moi de la revoir il y a à peine plus d’un mois, conscients tous trois que c’était probablement la dernière fois.

Merci Thora pour tout ce que tu as apporté à ceux qui sont présents aujourd’hui physiquement ou en pensée, merci Thora pour ce que tu m’as donné.

 

Robin Waddle : « Je n'ai jamais osé danser le rock avec Thora devant tout l’amphi »

On m’a demandé d’écrire quelques lignes sur Thora van Male et sur le rôle qu’elle a joué à l’IEP mais je ne sais pas trop par où commencer. Peut-être en précisant que ce qui suit est un avis personnel et qu'il est par conséquent biaisé; je parle en mon nom uniquement. Pour planter le décor je pense qu’il n’est pas inutile de rappeler quelques faits. Je connais Thora depuis presque 30 ans dont 20 ans comme colocataire de bureau. Dans mon ordinateur j'ai quelque 3000 mails de sa part, qui parlent de tout et de rien mais pour l'essentiel constituent un dialogue sur la meilleure manière d'enseigner l'anglais. C’est une collègue, une amie et un modèle. Je n'arrive pas à parler d'elle au passé.

L’histoire française de Thora commence en 1971 où elle arrive de Vancouver dans le cadre d’une bourse d’études ; elle ne tarde pas à entamer une carrière d’enseignante à l’IEP. 40 ans plus tard, en 2014, elle prend sa retraite.

Thora a marqué l’histoire de l’IEP dans trois grands domaines.

Le premier est le programme d’échanges internationaux.

Non seulement c’était l’un des premiers programmes d’échanges à avoir été monté à Grenoble, mais il est par la suite devenu l’un des plus importants et les plus réussis, envoyant des milliers d’étudiants aux quatre coins du monde, et en accueillant autant à Grenoble. Le fonctionnement conçu par Thora reposait sur une considération individuelle de chaque étudiant, et ne laissait rien au hasard pour garantir une véritable intégration. Elle a inventé le système des parrainages, qui consistait à offrir à chaque étudiant étranger un parrain français chargé de lui faire découvrir la ville, de l’accompagner dans ses démarches administratives, et simplement de s’assurer qu’il (ou elle) ne se sente pas isolé(e). A cette époque, avant internet et les téléphones mobiles, aller à l’étranger signifiait souvent être totalement coupé de ses amis et de sa famille.

Cette partie est bien documentée dans une interview que vous pourrez lire ici : http://diplomes-iepg.fr/gre/portrait_tvm.php). Il n’est donc pas nécessaire de la répéter. Il en est de même pour ses travaux de recherche.

Le second domaine est, bien entendu, l’enseignement.

Certes, c’était l’un des membres les plus emblématiques du corps enseignant, et ses méthodes sont restées inscrites au tableau d’honneur (ou du déshonneur, c’est selon) : - les incontournables " 5 lignes ", l’interview d’un anglophone, la fiche de lecture etc. - mais c’est avant tout sa personnalité qui a marqué ses étudiants de manière indélébile. D’une certaine manière, Thora produisait le même effet que la " Marmite " (une pâte à tartiner anglaise à base de levure) : on l’adorait ou on la détestait, mais elle ne laissait personne indifférent, et presque tous ses élèves, à la fin de l’année, ne pouvaient que lui adresser un grand MERCI. Il en était de même pour ses collègues. Si, comme étudiant ou collègue, vous montriez que vous travailliez dur et que vous étiez honnête, vous pouviez gagner sa confiance et elle vous choyait. Mais si elle pensait que vous étiez paresseux, insuffisamment professionnel ou insincère, elle passait son chemin.

Thora était de loin l’enseignante la plus exigeante, même avec les groupes les moins avancés, linguistiquement parlant, dont elle attendait autant que des autres. Jusqu’en 1995, les étudiants devaient respecter les règles de ponctualité et d’assiduité à l’ancienne. Il fallait arriver à l’heure, même pour un cours qui commençait à 8h du matin, et à 8h01, tout retardataire trouvait la porte close, car le cours avait commencé. Pendant des années, j’ai enseigné dans la classe d’à côté, et j’ai été témoin de nombreuses tentatives de négociation pour être accepté en retard…toutes échouaient. De plus, si un étudiant n’avait pas fait son travail, il pouvait se trouver exclu du cours ; un peu surprenant pour des jeunes de 20 ans baignant dans une atmosphère post-68 plutôt "cool"…. Sans aller jusqu'à l’exclusion, " oublier " de faire ses devoirs pouvait ouvrir la voie à un commentaire tel que "est-ce que vous vous rendez compte que votre absence de travail gaspille l’argent de vos parents (ainsi que celui du contribuable) ?", ce qui choquait certains, mais en a fait réfléchir beaucoup d’autres, qui ont parfois changé de comportement.

Thora était notamment sensible à toutes les personnes qui lui paraissaient différentes, originales, qui ne cadraient pas vraiment avec l'institution. Elle n'avait rien contre l'étudiant "traditionnel" de l'IEP, plutôt bien dans ses baskets, mais portait un intérêt particulier à ceux qui semblaient avoir plus de difficultés à s'adapter, qui se cherchaient, dans leurs études ou dans la vie (à l'époque, certains choix de vie étaient plus difficiles à assumer). Ceux qui traversaient une passe difficile, y compris financièrement (comme c'était le cas parfois des étudiants internationaux) trouvaient auprès d'elle une oreille attentive, une écoute et une aide actives.

Si vous avez étudié à l’IEP après 1995, vous avez sans doute connu Thora version 2. Pour cette métamorphose, lassée des motifs invoqués par des étudiants pour excuser leurs manquements (retards, "oubli" de faire le travail, usage du français en classe…), Thora a mis en place un système de "punitions" qui pouvaient aller de l’obligation de chanter une chanson devant toute la classe à celle d’apporter une boîte de sardines, qu’elle offrait à l’association de soutien aux SDFs dans laquelle elle était bénévole. (Pour une version longue de l’histoire des boîtes de sardines, voir l’interview citée ci-dessus.)

Pour certains enseignants, venir dispenser un cours n’était qu’un job, ils venaient 2 ou 3 fois par semaine, puis disparaissaient, dès la fin des cours. Pour Thora, c’était une vocation ; bien souvent, elle était la première à arriver à l’IEP le matin, et la dernière à partir le soir. En fait, pour elle, sa mission consistait non seulement à aider les étudiants à progresser en anglais, mais aussi à les encourager à en apprendre plus sur le monde, et même à devenir meilleurs. A en juger par le nombre et la teneur des emails que j’ai pu recevoir après la nouvelle de son décès, elle a pleinement réussi cette mission.

Thora s’est aussi illustrée dans un troisième domaine, l’innovation pédagogique

25 ans avant que cette expression ne devienne tendance, l’IEP était un lieu d’expérimentation continue en matière d’enseignement, en particulièrement en ce qui concerne les langues, et Thora était toujours en première ligne. C’était une maison beaucoup plus petite qu’aujourd’hui, peut-être 800 étudiants, et le processus décisionnel était beaucoup plus simple à l’époque. J’ai pour ma part rejoint l’IEP en 1984, date à laquelle Thora s’était déjà fait un nom. Deux choses m’ont frappé : tout d’abord l’utilisation qu’elle faisait des enregistrements audio à une époque où l’enseignement de l’anglais était encore largement basé sur des textes écrits ; et deuxièmement, le fait que tous parlaient d’elle en disant simplement Thora, le prénom à lui seul étant suffisant pour englober le personnage mythique qu’elle était déjà.

Devenu enseignant permanent en 1989, j’ai été informé par le Directeur de l’époque, François d’Arcy, que ma mission comme responsable des langues était de continuer le travail entamé par Thora c'est-à-dire poursuivre la modernisation des pratiques pédagogiques, afin de lui permettre de se concentrer sur le développement des divers programmes d’échanges internationaux.

Malheureusement, dans les années 80, on entendait souvent dire des choses du genre "De toute façon, ici en France on est nul en langues", au point que beaucoup d’étudiants le croyaient eux-mêmes. A cette époque, une leçon classique consistait à lire un texte extrait d’un journal tel que Newsweek, en sélectionnant le vocabulaire "intéressant" , en soulignant les arguments principaux et éventuellement en traduisant quelques passages; pire encore, il était courant de faire apprendre par cœur des listes de mots obscurs et d’expressions souvent inutiles. Nous avons donc cherché des moyens de briser ces habitudes. Malgré une charge de travail à temps complet pour s’occuper de la totalité des étudiants concernés par les échanges (partants, et entrants), Thora trouvait toujours du temps pour m'aider à imaginer de nouvelles façons d’enseigner, et de les expérimenter en cours. Sans entrer dans les détails, voici quelques expériences que nous avons tentées (toutes n’ont pas réussi):

- Les échanges de classes - certains semestres, certaines semaines, un professeur prenait le cours d’un collègue et vice versa
- L’enseignement inversé – les étudiants avaient la charge de choisir le contenu du cours et de l’animer (au moins en partie)
- Le croisement de disciplines – des enseignants en sciences politiques venaient dans nos cours de langues et vice versa (un certain nombre d’enseignants de nos universités partenaires étaient très engagés dans cette démarche –notamment John Turner d’Oxford Brookes)
- L’évaluation du travail des enseignants par les étudiants – nous avions commencé dès la fin des années 1980 (au Canada et en Grande Bretagne, c’était déjà assez répandu). A cette époque, permettre aux étudiants d’émettre leur avis sur les cours semblait révolutionnaire et la démarche a provoqué un malaise chez certains de nos collègues – même aujourd’hui ce processus continue de faire débat. Mais Thora apportait toujours l’enthousiasme nécessaire pour mener à bien ce genre de projet, malgré les réticences.
- Des cours thématiques en langues – encore une fois cela a commencé avec nos universités partenaires (Erasmus) ; des enseignants spécialistes des sciences sociales (politique, histoire, sociologie) ont proposé des cours sur trois ou quatre semaines. Cette petite révolution a remporté un franc succès et nous avions décidé d’étendre ce système sur tout un semestre: nous avons demandé à nos collègues français (professeurs de science politique etc.) de proposer des cours en langue anglaise, et à des enseignants d’anglais (par la suite en espagnol, allemand, italien aussi) de proposer des cours sur des thématiques liées aux sciences sociales. C’était à l’évidence une très bonne manière de préparer nos étudiants pour leur séjour à l’étranger.

- Un cours bicéphale – J’avoue que cette idée n’était pas entièrement nouvelle car dans les années 80 deux professeurs de science politique (Didier Renard et Jean-Pierre Bernard) faisaient un cours novateur et très apprécié dans lequel ils intervenaient tous les deux en même temps. Après une longue discussion avec ces enseignants, nous avons emprunté (volé ?) l’idée et avons créé les cours English in the Real World, puis Anglais en VO. (Pour Thora l’intitulé de nos cours devait être provocateur et accrocheur). Sur le principe, associer deux enseignants semblait une bonne idée, même s’ils ne percevaient que la moitié de leur salaire. D’abord, pour les étudiants, cela offrait quelque chose de véritablement nouveau (élément important dans les cours d’amphi), et ensuite sur le plan pédagogique, les bénéfices étaient incontestables. Par exemple, pendant qu'un de nous deux donnait une explication grammaticale compliquée, si l'autre s’apercevait que certains étudiants avait perdu le fil (regard hébété sur certains visages) il pouvait intervenir, donner une précision, proposer une autre approche, expliquer avec d’autres termes. Au début, il faut avouer que cela constitue une expérience déstabilisante car normalement un enseignant est seul maître à bord dans sa salle de classe, et là quelqu’un, aussi qualifié que soi, (voire plus) écoute chaque parole, chaque faute, chaque bafouillement. Il faut faire entièrement confiance à l’autre. Au cours des années, des centaines (voire des milliers) d'étudiants de l'IEP ont subi nos duos, (les cours, mais aussi les mauvaises blagues, nos tentatives de chants, et bien d’autres divertissements, parfois loufoques). Et je me sens un peu coupable aujourd'hui, car malgré ses demandes répétées, je n'ai jamais osé danser le rock avec Thora devant tout l’amphi.

- Examens oraux de fin d’année – ils étaient basés sur la lecture d'un ouvrage, ce qui remplaçait avantageusement le système anciens des examens écrits. Cela a bien marché une dizaine d'années avant que l'on nous fasse le reproche que demander à des étudiants de lire un livre en entier, c'était trop...


Autre bataille de Thora, secouer la hiérarchie classique

La fin des années 80 et le début des années 90 ont été une sorte "d'âge d'or". Les étudiants étaient motivés et la direction attachée au développement de cours en langue étrangère ; à cette période, le nombre d'heures de cours de langues a doublé, de même que le nombre d'enseignants linguistes. Nous avons embauché des enseignants sans considération de leur grade ou de leur diplôme : Agreg, Capes, Maître(sse) de Conférences… ce n'était pas important. Les critères de sélection pour ces nouveaux recrus étaient : un accent authentique, un désir d’offrir quelque chose d'original et une envie d’être créatif et de concevoir ses propres cours.

Des mots comme uniformité, standardisation ou normalisation étaient presque des insultes pour Thora. "Notre boulot d’enseignant est de réveiller les étudiants avec variété, créativité et non pas de les endormir.", répétait-elle souvent. Les professeurs ne sont pas et ne devraient pas être interchangeables, ils sont bien autre chose qu'un nom sur un emploi du temps et ils doivent trouver leur propre manière de faire, inventer leurs cours et ne pas être obligés de suivre un programme ennuyeux qui constituait un carcan mortel pour la créativité… voilà la façon dont elle concevait l'enseignement.

Le dernier domaine dans lequel Thora s'est distinguée, et sans doute le moins connu, est aussi le plus touchant. Il s'agit de l'ensemble des petites tâches dont elle s'acquittait dans l'institution, de façon discrète, sans attendre de reconnaissance ni de récompense. Quelques éléments et anecdotes dans le désordre à ce sujet.

La plupart des gens ne le savent pas, mais les parterres dans les patios de l'IEP et le long du parking des professeurs étaient remplis de fleurs colorées grâce à Thora. C'est elle qui semait les graines, arrangeait les massifs, remuait la terre. Parfois, tout simplement pour que l'endroit soit plus joli, parfois en hommage à une personne disparue, comme Incarnacion (une des anciennes gardiennes de l'IEP). Et même malade et retraitée, Thora a continué à s'occuper des fleurs de l'IEP, jusqu'à cette année. Qui prendra le relais?

L'autre anecdote est également typique de la personnalité de Thora. Une fois, après un cours, nous nous sommes rendu compte que les bancs de l'Amphi A et B faisaient un bruit terrible, qu'ils grinçaient à chaque fois que quelqu'un se levait. Thora ne pouvait évidemment pas le supporter ! Alors, elle m'a demandé de venir à l'IEP un samedi, armé d'une caisse à outils et d'une burette d'huile. Et nous avons consciencieusement graissé quelque chose comme 200 sièges dans ces amphi…

Thora donnait également chaque année des couronnes de Noël au personnel technique et administratif, (chaque année elle choisissait une quinzaine de personnes, souvent au hasard) car elle fabriquait de ses mains de merveilleux objets.

Il est difficile de résumer Thora, qui a tant donné à l'Institut et était une personnalité si singulière. Elle était totalement engagée dans son travail : l'enseignement, la recherche, les échanges étudiants et le reste ; personne ne travaillait autant qu'elle. Et si de grands noms de politistes sont souvent cités pour avoir contribué à construire la renommée et l'identité spécifique de l'IEP de Grenoble, il est certain que des générations d'étudiants et d'enseignants, dont je suis, leur ajouteront celui de Thora van Male.

Il m'a été difficile de commencer, et maintenant j'ai du mal à conclure ce petit récit, sans doute déjà trop long. Je dirais simplement que j'aimerais tellement entendre à ce moment précis ce que disait Thora à la fin de chaque cours: "see you next week".

Robin Waddle
Maître de conférences à Sciences PO Grenoble
[21/09/2016]

Thora van Male

Carlos Condé (ERASMUS 1990) s’entretient avec Thora van Male

CC : Ça fait plaisir de vous retrouver, Thora, après toutes ces années. Lorsque j’étais étudiant à l’IEP, je ne pensais pas un jour vous retrouver comme ça, à Paris, à visiter une exposition de peintres pré-Raphaëlites. Mais voilà ! Alors faisons le point. Quand je vous ai quittée, vous étiez Chargée des relations interationales à l’Institut. Comment votre aventure Erasmus a-t-elle commencé ?

TVM : En 1982, après avoir été vacataire à l’Institut depuis 10 ans, j’ai pu obtenir un poste de titulaire. Yves Schemeil était alors directeur de l’Institut, et il m’a demandé de prendre la responsabilité des deux programmes d’échanges d’étudiants existants. Un de ces programmes — avec ce qui se nommait alors Kingston Polytechnic — permettait à une dizaine d’étudiants de passer le premier trimestre de leur deuxième année en Angleterre. Et l’autre permetait à dix étudiants, également de deuxième année, de participer à la summer school de Berkeley. Du point de vue de l’accueil, nous recevions entre 10 et 20 étudiants britanniques et californiens, pour l’année entière.

CC : Mais en 1990, les choses avaient déjà changé, n’est-ce pas ? Je me rappelle un assez grand groupe d’étudiants étrangers de plusieurs nationalités.

TVM : Vous avez raison. Assez rapidement, j’ai monté un nouveau réseau avec la France et l’Allemagne, auquel se sont rajoutés l’Espagne et l’Italie ; et l’IEP a été invitée à se joindre à d’autres réseaux, qui impliquaient ces mêmes pays et d’autres encore. C’était le tout début de la période ERASMUS. En l’espace de quelques années, donc, l’Institut était en relation avec une vingtaine d’universités partenaires. Quand j’ai quitté mes fonctions internationales en 1999, nous envoyions environ 80 étudiants à l’étranger chaque année, et en accueillions presqu’autant.

CC : À l’époque, l’IEP de Grenoble cherchait donc vraiment à s’ouvrir à l’international.

TVM : Oui … mais. Il a été extrêmement difficile de convaincre mes collègues qu’une année passée dans une université étrangère puisse être considérée comme véritablement équivalente à une année à l’Institut. À l’époque, la formation de l’IEP en trois ans conduisait à un diplôme valant maîtrise. Même quand nos partenaires nous envoyaient des étudiants pour une année et reconnaissaient entièrement les résultats reçus à l’Institut, nous restions … sur la défensive s’agissant de nos propres étudiants : une année ailleurs ne valait pas une année dans nos murs. Je dis « nous », mais en réalité je me suis beaucoup battue contre cette attitude qui me semblait bornée. Vous connaissez ma combativité ; mais rien n’y fit.

CC : Vous n’avez pas fini par gagner ce combat ?

TVM : Eh bien non, pas vraiment. C’est seulement quand le diplôme est passé à 5 ans, et qu’un certain nombre d’aspects des études européennes et des échanges d’étudiants ont été protocolisés par Bruxelles, que l’IEP a bien voulu reconnaître pleinement une année d’études passée dans un établissement partenaire. Auparavant, les seuls étudiants de l’IEP qui ont passé une année entière à l’étranger étaient ceux qui voulaient bien ajouter une année à leur scolarité. Et ça, c’était un calcul qui n’était pas si mauvais, puisqu’en ajoutant une année à son diplôme, l’étudiant qui faisait ce choix arrivait à bac+4 avec une qualification équivalant maîtrise. Bon, tout ça a bien changé maintenant.

CC : En somme, vous étiez une pionnière.

TVM : Oui, c’est ça. Et c’était vraiment une belle aventure ! Tout était à inventer. J’avais une équipe fabuleuse d’assistants (en fait, principalement des assistantes), et nous avons œuvré comme des fous pour que le séjour de nos étudiants étrangers soit réussi.

CC : Je me souviens de quelques fêtes amusantes, et de la remise des prix de fin d’année.

TVM : Qu’est-ce qu’on s’est amusé ! Mes assistants avaient plusieurs missions : l’une d’entre elles était d’accompagner les étudiants étrangers dans un bistrot différent tous les soirs pendant le stage de rentrée (15 jours). Je peux vous dire que l’administration de l’Institut voyait ça d’un très mauvais œil ! Heureusement, Catherine Finkel, la secrétaire général d’alors, et qui avait un sens de l’accueil merveilleux, était là pour me défendre. Puis nous avons organisé des fêtes de Noël avec Père Noël et cadeaux… Le couronnement de l’année était effectivement cette cérémonie entièrement loufoque de remise de prix. Il fallait inventer un pseudo-prix pour chaque étudiant, puis les acquérir ! Je ne vous raconte pas la difficulté que ces achats posaient au service de comptabilité de l’Institut. Imaginez : le « prix Chartreuse », une mignonette de chartreuse jaune, le « prix de l’IEP », trois T-shirts blancs, un avec un grand I, un autre avec un grand E, le troisième avec un grand P, le tout peint par mes soins avec de la peinture pour textile… Nous faisions habituellement remettre les prix — vous vous en souvenez — par un de mes étudiants français déguisé en femme, archi-maquillé, déblatérant des âneries sur chaque étudiant étranger. On a vraiment beaucoup ri !

CC : Vous pouvez le dire ! Nous vous prenions pour une …

TVM : Dites-le : une dingue !

CC : Je ne me permettrais pas. Pour nous, vous étiez un mélange étrange : sous une surface d’autorité implacable, vous montriez néanmoins toujours de l’humour, de l’ouverture envers ces étudiants un peu paumés que nous étions, et beaucoup d’humanité lorsqu’il y avait de véritables problèmes

TVM : Il faut dire que j’ai commencé ma vie en France comme étudiante étrangère ; à l’époque on ne cherchait pas tellement à nous entourer, et surtout on nous tenait bien à l’écart des étudiants français dans ce qui se nommait alors, imaginez-le, le Comité de Patronage des étudiants étrangers ! Donc, quand Yves Schemeil m’a demandé de prendre la responsabilité de nos échanges d’étudiants avec l’étranger, je me suis fortement attachée à faire le maximum pour qu’ils soient intégrés dans la vie de l’Institut. Comme je vous l’ai dit, c’était vraiment une belle aventure.

CC : Parlez-moi un peu du prof d’anglais que vous êtes. J’ai entendu dire qu’être en cours avec vous, c’est aussi une aventure …

TVM : Que voulez-vous, Carlos, je suis entière, passionnée par mon métier, extrêmement exigeante avec mes étudiants comme avec moi-même. Si l’on vient en anglais avec moi, il faut bosser. Mais vous le savez, j’ai aussi de l’humour, et j’adore voir le bon côté des choses.

CC : Quelques exemples d’anthologie ?

TVM : Les paris. Pendant une dizaine d’années, j’enseignais l’orthographe sur la base de paris. Voilà : je dictais, mettons, 20 mots (mots que j’avais repérés comme sujets à erreur dans les devoirs de la semaine précédente). Ensuite, je demandais à chaque étudiant de s’engager sur le nombre de mots qu’il ou elle avait correctement orthographiés. Si l’on s’engageait pour 13, par exemple, je disais « Et j’aurai quoi si vous avez moins de treize ? » Une fois, un étudiant a répondu, « Je chanterai une chanson en anglais en cours. » Banco. Et là, j’ai gagné. La semaine suivante, il a fait chanter tous les étudiants du cours (plus une quarantaine d’autres étudiants qu’il a sollicités pour étoffer l’affaire) ce morceau de The Meaning of Life du Monty Python : « Every sperm is sacred, Every sperm is great. If a sperm is wasted, God gets quite irate ». C’était désopilant ! J’ai gagné toute sorte de paris, mais j’en ai perdu aussi, et ai dû faire des cookies pour les uns, offrir des souvenirs du Canada aux autres… On a bien ri.

CC : Et Thora’s Twenty Killers ?

TVM : Dites, si j’avais eu un franc pour chaque exemplaire de ce petit bêtisier de poche qui circule depuis les années 1980, je serais millionnaire ! C’est quelque chose que j’ai fait avec les élèves d’une de mes conférences : j’en avais marre de devoir répéter tout le temps certains points de langue élémentaires et leur ai demandé de lister les erreurs qui revenaient toujours dans leurs devoirs. À partir de là, j’ai dressé la liste des erreurs les plus bêtes qu’il fallait, toute affaire cessante, cesser de faire. Ce bêtisier existe encore (il n’a guère changé depuis les années 1990), et chaque année, mes étudiants le reçoivent. Il arrive même que d’anciens étudiants m’écrivent pour que je leur envoie un nouvel exemplaire…

CC : On m’a dit que vous avez publié les travaux de vos étudiants d’anglais. C’est vrai ?

TVM : Oui, c’est vrai. Depuis très longtemps, je demande à mes étudiants d’écrire pour chaque cours une petite rédaction libre en cinq lignes. Seule contrainte : évoquer ni le ski, ni la météo dans ce devoir. Au milieu des années 1980, j’étais impressionnée par la créativité — mais aussi la franchise — des étudiants s’agissant de ce devoir. Je gardais les copies qui me paraissaient les plus intéressantes, et puis je les ai publiées sous la forme d’un petit cahier, intitulé Famous Five Lines. Ce recueil me plaît énormément.

CC : Vous en avez publié d’autres volumes par la suite ?

TVM : Eh bien non. J’ai l’impression que la mentalité des étudiants de l’Institut a pas mal changé au cours des années 1990. Est-ce parce que j’étais plus âgée ? (C’est quand même spécial, cette relation prof-étudiant où l’un a éternellement 20 ans, et l’autre de moins en moins...) Est-ce parce que le fait même de faire des études et les finalités de celles-ci évoluaient ?
En un mot, les « bons vieux » étudiants aimaient la créativité pour la créativité, les étudiants plus récents, moins. J’ai l’impression que mes étudiants actuels sont plus inquiets, ils cherchent un lien direct entre leurs études et leur emploi futur, alors que les étudiants des années 80 savaient que bon an mal an, ils trouveraient de l’emploi. Là où un étudiant de l’époque héroïque se disait « Je vais la faire rire avec mes cinq lignes », ou « Je vais lui dire quelque chose qui est essentielle pour moi dans ce petit forum des cinq lignes », ceux d’aujourd’hui m’écrivent des textes généralement sans surprise. Il n’y a donc pas eu la matière première pour publier un second volume.

CC : Vous voulez dire que les étudiants aujourd’hui travaillent plus que ceux du passé ?

TVM : Oui, en un certain sens. J’ai l’impression que je peux leur demander beaucoup plus de travail. D’un certain côté, c’est très positif. Mais il leur manque la petite étincelle de leurs prédécesseurs. La dernière fois que tout le monde a eu un fou-rire en cours, c’est il y a assez longtemps.

CC : Mais vous aimez encore votre métier, alors ?

TVM : Oh oui ! J’adore trouver des tuyaux pour aider mes étudiants à apprendre l’anglais. Et j’aime aussi le défi des étudiants qui sont vraiment faibles, et que j’arrive à faire progresser avec comme point de départ une invitation à prendre confiance en eux. Du genre « Moi, je crois en vous, mais pour progresser, vous devez croire en vous aussi. »

CC : Est-ce qu’il est arrivé que vos étudiants deviennent vos amis ?

TVM : Bien sûr ! À commencer par vous ! Ce qui se passe souvent c’est qu’il y a quelques atomes crochus que l’on constate en cours, ou dans la gestion d’une année d’études à l’étranger. Ensuite, une sorte de hiatus pendant lequel l’étudiant finit son diplôme, se lance dans la vie. Et là, pour une raison ou une autre, on se retrouve, et le fil est renoué.
C’est exactement ce qui s’est passé avec vous : après votre année ERASMUS, vous êtes rentré à la Complutense, puis vous avez fait un post-doc, si je me souviens bien, aux États-Unis, et puis lorsque vous êtes devenu enseignant à l’Université de Grenade, nous nous sommes retrouvés dans des réunions européennes sur l’enseignement des sciences administratives et de gouvernement. Et là, nous sommes liés d’amitié. Que vous travailliez à présent à l’OCDE et que vous habitiez Paris, cela ne fait que bonifier la chose !

CC : Quel est votre meilleur souvenir de Sciences-Po ?

TVM : Difficile de donner une seule réponse. Allez, je vais vous en donner trois.
Un, les séances de remise de prix avec les étudiants étrangers. C’était le couronnement d’une année qui avait eu ses hauts et ses bas pour tout le monde — ce n’est pas rien de passer une année à l’étranger quand on a 20 ans — et on la terminait avec un prix pour chacun, une sorte de communion de tous dans la gaieté, et un bon buffet.
Deux, certains exposés de mes étudiants. À travers les années, il y en a eu de fabuleuses. C’est toujours une histoire de cinq minutes, montre en main. J’ai été très souvent émerveillée de la créativité des étudiants laissés entièrement libres pour leurs 5-minute-talks. L’étudiante qui s’était fait tatouer les pieds pour nous montrer une tradition mauritanienne, se déchaussant en cours pour nous montrer ; l’étudiant qui a fait un gâteau comme à la télévision, avec chaque étape pré-préparé, et un gâteau à manger à la fin. Celui qui a fait faire un blind test à la classe pour distinguer le vrai Nutella du faux ; celle qui a parlé de sardines et, à travers son exposé a mangé une à une les sardines d’une boîte qu’elle venait d’ouvrir.

CC : Ah, les sardines. On m'a dit qu'entre vous et vos étudiants il y a eu des affaires de sardines. C'est quoi cette histoire, au juste ?

TVM : En fait, ça a commencé de votre temps, Carlos. Vous vous en souvenez, j'étais continuellement sollicitée pour régler toute sorte de problèmes, non seulement pour les étudiants étrangers, mais aussi pour les étudiants français qui partaient à l'étranger dont j’avais également la charge. Il y avait énormément de paperasses à traiter. À l'époque, pour éviter de devoir faire et refaire la même chose pour les étudiants distraits, je leur avais expliqué que ma première prestation (attestation de ceci, relevé de cela) était gratuite, mais que par la suite il fallait payer une amende pour que je refasse un boulot que j'avais déjà fait une fois. Pas froid aux yeux, j'ai suggéré que l'amende prenne la forme de bouquets de fleurs (roses, par exemple), de bouteilles de vin (du mercurey, si l'on voulait), ou bien de chocolat (Lindor rouge, de préférence). Parfois les étudiants rechignaient devant cette « corruption » ; je leur disais alors "Okay. Je ne refais pas l'attestation que vous avez perdue ; je ne demande pas à la Région Rhône-Alpes d'accepter votre demande de bourse en retard, alors que vous n'avez pas trouvé utile de l'envoyer dans les temps...". Évidemment, avec une pression comme ça, les étudiants ont obtempéré. Et c'était donnant donnant ; ma première prestation était gratuite, la seconde payante.

CC : Intéressant, certes, mais ça ne me dit rien des sardines.

TVM : Voilà. Malgré tout, j'avais un peu mauvaise conscience avec ce dispositif. Et comme j'avais une activité de bénévole dans une association qui s'occupe des SDF, j'ai eu l'idée de demander comme amende quelque chose que je pouvais donner à la bonne cause. Et la boîte de sardines, pour un SDF, c'est quelque chose de précieux : facile à transporter, nourrissant, peu encombrant. Naturellement, quand j'ai arrêté les relations internationales, il n'y avait plus de problèmes administratifs à résoudre à coup de sardines. Mais j'ai trouvé deux nouvelles sources : les téléphones portables qui sonnent en cours, et les étudiants qui disaient « putain » en cours. Les deux choses me paraissaient inacceptables, et dans un cours qui a lieu entièrement en anglais, on a certainement pas besoin de jurons en français! Chaque année, j'annonce la couleur à la rentrée — et aussi mon taux d'intérêt de 100% — et ça marche parfaitement. Depuis le début, ce dispositif (un peu ridicule, je l'avoue) a une fonction très utile : le fautif, au lieu d'être un simple fauteur de troubles, est transformé en une personne que je remercie d'avance pour le bon geste qu'il va faire.

CC : Je vois que vous avez su faire vivre cette tradition bien après vos années internationales. Mais ça ne vous a pas manqué de ne plus avoir le petit PME qu'était le service de relations internationales ? Vous avez dit que vous adoriez...

TVM : C'est vrai que j'adorais. Cependant, après près de vingt ans, j'avais fait mon temps. La machine tournait, et il n'y avait plus grand'chose à inventer, si ce n'était une montée en régime. De plus, Fabienne Greffet, mon assistante d'alors, venait de décrocher son doctorat et quittait Grenoble pour un poste de maître de conférences à Nancy. Je me suis rendu compte que sans son soutien, son inventivité, sa bonne volonté…, bref sans elle ce ne serait plus pareil. Alors, j'ai tourné la page. Et, coup de chance, j'ai trouvé immédiatement quelque chose d'autre que j’adore aussi : écrire des livres.

CC : Du jour au lendemain vous êtes devenue auteur ?

TVM : Pas exactement. Pour commencer, un congé sabbatique m’a permis de conduire des recherches sur les illustrations ornementales des dictionnaires français. Je ne savais pas alors que j'étais le premier à défricher ce terrain ; depuis, je l'ai bien exploré, et en 2005, il en est sorti un livre, ART DICO : à la recherche des lettres illustrées du dictionnaire (http://www.editionsalternatives.com/site.php?type=P&id=316). La même année, j'étais invitée à assurer le commissariat d'une exposition au Musée de l'imprimerie à Lyon. Cette expo existe maintenant sous forme itinérante (http://www.vanmalle.com/art-dico/). J’ai également fait un site web sur ces ornements (https://apps.atilf.fr/artdico/).

CC : Je l’ai visité. Ça a l’air d’être une sorte de recherche du trésor doublée d’un jeu de devinettes !

TVM : Oui, c’est à peu près ça.

CC : Et vos autres livres sont venus dans la foulée ?

TVM : Oui, d’une certaine façon. Cette histoire d’amour entre moi et les lettres de l’alphabet, déjà cause du premier bouquin, si l’on peut dire, m’a conduite au second, L’Esprit de la lettre : la vie secrète de l’alphabet (http://www.editionsalternatives.com/site.php?type=P&id=517). C’est un bouquin divisé en 26 chapitres (le A, le B, le C, etc.), qui raconte tout ce que l’on a pu imaginer comme pouvoirs spécifiques des lettres de l’alphabet. Par exemple, que pour Quintilien le son de la lettre F était à peine humain ; que l’humoriste américain James Thurber a mis au point la théorie de la « relativité alphabétique » selon laquelle les lettres C et M ont partie liée (cobra et mangouste, Capulet et Montaigu, capitalisme et marxisme, célibat et mariage…). Et tout à l’avenant.

CC : Le suivant c’est le bouquin qui vous a valu un prix de l’Académie française, n’est-ce pas ?

TVM : Oui, c’est ça : Liaisons généreuses : les apports du français à la langue anglaise (http://www.arlea.fr/Liaisons-genereuses). Ce livre-là, je l’ai écrit pour calmer les esprits des Français énervés par ce qu’ils perçoivent comme une invasion de la langue anglaise. Très souvent, les mots qui viennent de l’anglais vers le français ont des origines françaises ! Et je trouve que les Français ne savent pas toujours à quel point la langue anglaise est redevable à celle de Racine.

CC : Et votre dernier livre en date, c’est l’affaire des cochons volants…

TVM : Oui, Quand les cochons sauront voler, les poules auront des dents : Les Expressions françaises and their English equivalents (http://www.editionsarchipel.com/livre/quand-les-cochons-sauront-voler/). Là, si je reste entre anglais et français, l’objectif est différent. J’ai voulu montrer comment chacune de ces langues met en images ses expressions idiomatiques : les zones de rencontre (le plus souvent l’anglais qui copie sur le français), les différences flagrantes, et les zones de recouvrement partiel. Une partie de l’aventure de ce bouquin, c’était les illustrations : chaque anecdote comparée — il y en a 240 — comporte une illustration XIXe siècle. La quête de l’illustration « juste » pour chaque anecdote n’a pas été une mince affaire.

CC : Je suis étonné que vous n’ayez pas publié de livre d’anglais à proprement parler, un manuel.

TVM : Si si, mais c’est une vieille lune à présent. Dans les années 1970, un collègue, Otto Samson, m’a proposé d’écrire avec lui un bêtisier pour anglicistes, niveau lycée et étudiants non-spécialistes à l’université. Nous avons publié une première version, intitulé First English Survival Kit, qui a assez bien marché : chaque chapitre comportait deux pages, petite bande dessinée à gauche, et texte à droite. Ensuite, la maison Bordas nous a proposé une nouvelle édition du bouquin, qui a également bien marché pendant plusieurs années, L’Essentiel de la langue anglaise. Évidemment, cet ouvrage est épuisé depuis belle lurette.

CC : Revenons à votre vie à Sciences-Po. Pendant quelques années, vous avez été le médiateur de l’Institut. Cela consistait en quoi ?

TVM : Mon job était de proposer aux étudiants un lieu où demander justice. Ça a l’air grandiloquent comme ça, mais en réalité, il s’agissait de leur offrir une écoute lorsqu’ils se sentaient lésés, et avaient épuisé les voies habituelles de recours. Une fois que j’avais pris connaissance de la requête, et l’avais instruite en quelque sorte, je formulais des recommandations auprès de la direction, qui décidait de la fin à donner au dossier. Assez souvent, pour résoudre leur problème, il suffisait de rendre plus transparents les rouages décisionnels de la maison, d’améliorer la communication envers les étudiants. Parfois, aussi, les étudiants formulaient des demandes simples concernant l’équipement : installation d’horloges dans les amphis, réparation de WC défectueux.

CC : Un noble travail !

TVM : Mais avec un succès variable. Autant je pense avoir permis aux cas individuels d’être réglées dans la sérénité, et aux problèmes de communication d’évoluer favorablement, autant les dossiers concernant l’équipement ont été source de frustration. Si j’ai obtenu que des horloges soient installés dans les amphis, il n’a pas été possible de les garder à l’heure (et à présent, elles disparaissent derrière les écrans de projection). Et quant aux nombreux WC à chasse défectueux dans les couloirs ouest de l’Institut, eh bien ils marchent toujours aussi mal. Quand je suis venue en France en 1970, mes amis nord-américains m’avaient prévenue : « Il faut faire attention aux toilettes en France ; elles ont été construites à l’époque des cathédrales. » S’agissant de Sciences-Po, pas tout à fait, mais…

CC : Depuis les années 1970, vous en avez connu, des directeurs. Quelques souvenirs ?

TVM : Dans l’ordre, j’ai travaillé avec Claude Domenach, Yves Schemeil, François d’Arcy, Henri Oberdorff, Pierre Bréchon, Olivier Ihl, et à présent, Jean-Charles Froment. En fait, mes relations avec ces directeurs ont évolué au gré la vie de l’Institut. Entre la direction de Claude Domenach et celle d’Henri Oberdorff, notre établissement était assez petit, et les rapports étaient amicaux, presque familiaux. Catherine Finkel, longtemps secrétaire général de l’IEP, a beaucoup contribué à cette ambiance agréable. Avec la croissance de la maison — en mètres carrés, en nombre d’étudiants, en personnel — mes rapports avec les directeurs sont devenus, comment dire, moins personnels. Que voulez-vous, l’échoppe familiale est devenue une petite industrie.

CC : Et en plus de quarante ans de maison, avez-vous des regrets ?

TVM : Oui, j’en ai quelques-uns. Par exemple de n’avoir jamais dansé le rock avec mon collègue Robin Waddle, au début de nos cours en amphi qui commençaient toujours par une séance musicale. D’avoir perdu la bataille des WC. De n’avoir pas fait installer dans le patio un de ces bancs, comme à Edimbourg, avec une petite plaque en laiton gravée d’une dédicace.

CC : Il est encore temps d’agir, Thora !


Carlos Condé / Thora van Male
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12/05/2014


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