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« Consultant »

 

Pierre GILBERT (2018 SRI), Consultant chez Ubisoft à Montreuil.

J’ai donc été sollicité par l’Association des Diplômés de mon ancienne école, Science Po Grenoble, pour un portrait et je les en remercie. Sans doute plus fraîchement sorti de l’écurie que les autres profils présentés ici, je n’aurais pas forcément long à dire sur ma carrière, l’importance de ma position ou ce genre de chose. Certes, je suis auteur de deux ouvrages, et j’émerge dans le débat public sur les questions climatiques, à ma petite échelle. Mais je ne souhaite pas consacrer ce « portrait » à cela, car à Sciences Po Grenoble, on est déjà souvent bien au fait de ces problématiques. J’aimerais surtout évoquer les difficultés que nous sommes amenés à traverser, au sortir des études,pour nous insérer dans une économie de plus en plus imperméable à ce que nous pouvons lui apporter – et pourtant nous pouvons lui apporter beaucoup. J’aimerais que personne ne perde confiance en soi, ne se sente dévalorisé, déprimé par les épreuves que les générations précédentes nous imposent.

Je suis diplômé de Sciences Po Grenoble, tamponné en 2018, du Master Technique Sciences et Décision – dont le nom a certainement dû changer entre temps, je crois. J’ai donc passé 5 ans dans cette grande école – de Sciences Sociales au cœur d'une université de rang mondial – qui me laissent un souvenir des plus agréable. Les années douces de la jeunesse, loin de s’imaginer à l’époque qu’on la sacrifierait sur l’autel du dogme de la rigueur budgétaire, qu’on l’embastillerait « quoiqu’il en coûte » pour contenir une pandémie.

Des conditions d’études, et surtout d’épanouissement personnel, des plus favorables. Merci aux enseignants, merci aux montagnes, aux amis, et aux parents aussi, qui ont pu assurer la base logistique sans laquelle point de victoires à la guerre. Tous n’ont pas cette chance, pas de petit boulot à prendre à côté… En somme, du temps de cerveau disponible, et du bon temps. Et en « même temps »…cette petite voix dans la tête qui dit que « à grandes libertés, grandes responsabilités ». Petite voix qui n’a pas attendue Science po pour s’égosiller d’ailleurs. Et grandes responsabilités, ça veut dire engagement, travail, rigueur, patience… se construire petit à petit les armes qui permettent d’être un peu plus lucide sur le monde, toujours dans l’optique d’y avoir une petite influence, de rendre à la société les privilèges dont on a bénéficié – justement pour que ces privilèges deviennent la norme. C’est le principe de la République, je crois, pour laquelle on avait lancé quelques tuiles – entre autres. Je précise cela, car les temps changent et les esprits se brouillent parfois dans le bruit de l’époque. Passons.

Me voilà donc à Sciences Po. Avec du temps pour l’autodidacticité, et la chance de pouvoir partir en Erasmus en deuxième année, notamment. Je pense que cet Erasmus d’un an est un catalyseur de maturité, par la force des choses, qui tombe au bon moment.Un plus énorme de cette École. La vie associative aussi est formatrice, tout comme l’est la vie politique grenobloise. Avec le master et les stages, c’est encore une autre dimension qui s’ouvre. J’ai ainsi pu faire coïncider mon stage de M1 avec mon activité dans la campagne présidentielle de 2017, dans l’équipe d’un candidat. Merci à l’administration, car ce fût une expérience unique. On est rarement confronté à autant de responsabilités à 23 ans. Ça tanne le cuir. Le stage de M2 a également beaucoup compté, à l’Observatoire Défense et Climat de l’IRIS, où l’on étudiait pour le compte du Ministère des Armées les risques sécuritaires que font émerger le changement climatique.

J’ai pu creuser alors le sujet climat, que je potassais déjà en autodidacte depuis quelques années. D’ailleurs, je me souviens avoir donné moi-même ma première conférence sur le sujet lors de ma première année à Sciences Po. Avec le recul, cela tenait certainement plus d’une synthèse d’interventions de Jancovici, sans doute moyennement bien digérée. Bref, c’est à l’occasion de ce mémoire de master que je pose les bases de ce qui deviendra, 2 ans plus tard, mon premier livre. Le sujet porte sur comment la nature peut réguler le climat, et donc comment on peut s’appuyer sur elle pour capter un maximum de CO2. Aussi étonnant que cela puisse paraître, personne n’avait pris le sujet sous cet angle-là. Dans les milieux scientifiques, on avait tendance à produire des études en silo, sur par exemple telle partie du cycle forestier, ou le rôle de telle espèce de plancton. J’invente ensuite le mot « géomimétisme », pour labelliser tout cela, sans doute sous ma douche –comme beaucoup,instant privilégié des grandes idées. Ce livre a suscité son intérêt chez les pairs, et quelques invitations médiatiques. Il a surtout permis de populariser un peu le thème de la géoingénierie, dont les lobbyistes s’activent dans l’ombre à l’approche de la COP, pour faire croire à nos dirigeants que la technologie va nous sauver.

En parallèle de tout cela et jusqu’à il y a peu, je dirigeais la rubrique écologie du média en ligne Le Vent Se Lève, sorte de « Monde Diplo de jeunes », pour le dire très simplement. Je me retrouve ainsi à côtoyer des intellectuels, des activistes, des responsables politiques ou associatifs, des scientifiques, bref, ce que l’écologie peut produire de belles âmes. Plus tard avec des collègues, nous lançons l’Institut Rousseau, un think tank politique généraliste, mais focalisé particulièrement sur le comment de la reconstruction écologique du pays. Une belle aventure, qui fédère plusieurs centaines de personnes très différentes, unies par leurs degrés d’exigence morale et technique, disons. Dans cet écosystème, on a la chance de rencontrer des gens à part, poussés par la nécessité citoyenne de construire une véritable alternative écolo et solidaire. Des gens lumineux, comme l’économiste Gaël Giraud, qui m’a fait l’honneur d’une préface.

J’y ai aussi rencontré mes désormais collègues, fondateurs du cabinet de conseil EGREGORE. Nous accompagnonsdes dirigeants d’entreprise à devenir de véritables décideurs éclairés dans un monde qui change. Nous appliquons pour cela une recette unique, issue de ce que mes collègues – officiers de réserve de l’Armée de terre – ont appris de l’armée (leadership, conduite du changement, résilience mentale, gestion de crise…) et de ce que nous enseigne l’écologie (circularité, sobriété, efficacité énergétique, prospective et ancrage dans le temps long, etc.). Nous sommes donc aux avant-postes pour observer à quel point la gouvernance, au sens large, est en crise. Une crise qui n’est pas sans lien avec les difficultés que l’on peut rencontrer à la sortie de Sciences Po, et c’est là-dessus que j’aimerais revenir rapidement.

Quand on sort d’un IEP aujourd’hui, c’est compliqué, on ne va pas se mentir. Nombre de mes collègues ont rempilé des masters pour gagner du temps. Beaucoup ont connu des mois de galère avant de mettre le premier pied à l’étrier, de trouver un premier emploi. J’ai moi-même connu de très longs mois de chômages, à plusieurs reprises, ces deux dernières années. C’est indépendant de mes capacités, en lesquelles j’ai confiance, et c’est indépendant de mon réseau, qui ne permet plus grand-chose non plus. C’est une question logique de surpopulation de hauts diplômés, de sous-demande, d’orientations macro-économiques désastreuses. Aucun investissements ne sont réalisés pour que le dynamisme économique ouvre naturellement des portes.

Le chômage, qui démarre avec la désindustrialisation, entraîne mécaniquement toutes les catégories de diplômes vers le bas. Car en perdant l’industrie, on tire sur la corde de ce que peut produire d’utilele secteur tertiaire. Notre utilité marginale est décroissante, et de plus en plus éloignée de l’économie réelle, de la production palpable. Nous sommes presque tous sur des fonctions support, mais quand il n’y a plus rien à supporter, on créer des bullshits jobs pour s’occuper. Mais à Sciences Po Grenoble en particulier, on veut du sens, on est formé pour cela. On se rue donc sur des secteurs déjà très bouchés, tirant les salaires vers le bas.

Pourtant, nous n’avons pas conscience du caractère essentiel de ce que nous pouvons apporter – et je parle de nous spécifiquement, issus des IEP. Je le vois au quotidien, rien ne vaut des têtes bien faites, qui s’adaptent vite, ont une vision globale des choses et qui ne perdent pas de vue le sens. C’est précisément ce type de profil dont on a besoin pour piloter la reconstruction écologique de notre pays. Et les besoins sont grands.

Transformer un pays, ça se fait à tous les niveaux, au jour le jour en trouvant les astuces les plus efficaces, et créant de la synergie. Nous sommes doués pour cela, il me semble. Pourquoi ? Sciences Po, je crois, nous ménage le plus important : le temps et les conditions nécessaires à la créativité. La créativité succède à la somatisation des informations enregistrées par l’inconscient, donc… au fait d’avoir du temps pour soi. La créativité a besoin, pour sortir, que l’on se ménage un minimum, de ne pas s’imposer du 50h-semaines-tête-dans-le-guidon. La créativité a besoin d’altérité aussi, d’échange, d’information.

Nous sommes autant de potentiels petits moteurs du changement. Et le changement, ça se conduit par le cœur autant que par la tête. J’espère ne pas tomber ici dans l’ésotérisme pour certains, mais plus ça va, et plus j’en suis convaincu. Rester seulement dans sa tête, c’est risquer de ne jamais se laisser transcender par sa sensibilité, par ses intuitions, par la justice. Trop de formations universitaires, de très grandes écoles, enferment les étudiants dans leur tête. Par le caractère rigoriste des contenus ou le surmenage. Je pense ici à ces très grands corps, énarque, polytechniciens… que la France vénère, qui occupent et s’accaparent les hautes sphères de responsabilité, y compris dans l’entreprise, et qui y brillent généralement par le manque de créativité, par leur incapacité à changer.Attention, je ne dis pas qu’il ne faut pas se former à la rigueur, au contraire même. Devant l’ampleur de la tâche à accomplir, nous n’avons pas besoin de doux rêveurs qui ne savent pas concrétiser par du savoir-faire.

Bref, je tenais à profiter de ce témoignage pour vous rappeler, humblement, de ne pas vous laisser envahir par le sentiment de dévalorisation. Vous n’êtes que très peu responsables de votre situation professionnelle au sortir de Sciences Po. Par contre, nous avons peut-être la responsabilité de faire en sorte que ce ne soit plus le cas. Il faut pour cela mettre notre pays sur les rails de la reconstruction écologique. Tout le monde y trouvera naturellement sa place, et le moral !

Pierre GILBERT
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11/04/2021



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