Catherine COPPO (1989 SP)
«
Qu'est-ce que je peux faire, j'sais pas quoi faire. »
Comme Anna Karina dans A bout de souffle, Catherine a 18 ans, la vie devant
elle… et pas de vocation précise. Ses frères et sa
sœur ont la fibre scientifique, l'un en médecine, l'autre
en chimie, la troisième infirmière. Elle est plutôt
littéraire, le nez dans ces livres qui lui font entrevoir d'autres
horizons et d'autres vies que celle de ses parents, ouvrier et femme de
ménage. Poil de carotte de Jules Renard, Les Mots pour le dire
de Marie Cardinal, Jules et Jim de Henri Roché : ces romans d'apprentissage
resteront toujours à son chevet comme autant de compagnons fidèles
avec Lettre à un jeune poète, de Rainer Maria Rilke.
Mais Catherine a aussi les pieds dans le réel et une certitude : seules les études lui permettront de s'émanciper de ce milieu ouvrier dont elle est issue. Catherine est studieuse et son professeur de français la pousse donc à s'inscrire en hypokhâgne au lycée Champollion. Mais là, grosse déconvenue : le directeur a beau leur affirmer qu'elles sont l'élite du pays, elle se sent en total décalage avec ces jeunes filles (car en classe prépa littéraire il y a toujours 95 % de filles !) qui n'ont d’autre Graal que de préparer Normale sup alors même que ... personne à Grenoble n'a été reçu depuis vingt ans !
Ce passage à Champollion sera quand même déterminant puisque c'est au cours d'une conférence, où elle se rend par curiosité, qu'elle entendra parler pour la première fois de Sciences Po. Des métiers qui lui paraissaient hors de portée comme journaliste ou diplomate deviennent soudain envisageables. Après quelques lectures et un petit concours, la voici intégrée à l'Institut d’études politiques de Grenoble en 1983. En tant que boursière, elle travaille comme serveuse au Quick de la Place Grenette. « Cette première année de vie étudiante entre les amphis et les conférences de méthode a été magique », dit-elle avec des étoiles dans les yeux. La vraie vie n’est plus seulement dans les livres !
Les deux années suivantes sont plus difficiles : Catherine accepte un emploi de surveillante salariée dans un lycée. Les fins de mois sont plus sereines, mais elle est coupée de la vie étudiante. Son diplôme obtenu, quand tous ses amis – Claire, Vincent, Jean-Luc – partent suivre un troisième cycle à Paris, elle reste à Grenoble et s'inscrit en licence d'histoire. En dehors de deux cours qui la passionnent, l'histoire de la sexualité en Occident et celle du cinéma, elle sent que son destin est ailleurs là encore. Et revient la lancinante question du personnage d'Anna Karina.
Le hasard des rencontres lui propose une première réponse : pourquoi pas journaliste ? La voici pigiste pour différents titres de la presse nationale professionnelle (comme Stratégies) et rédactrice publicitaire pour une agence. Mais l’écriture journaliste ne va pas de soi pour Catherine : « Je suis perfectionniste. J’écrivais trop lentement pour gagner ma vie ! » En 1993, elle met donc fin à son statut d’indépendante prolétaire, avec l'obligation de contracter un emprunt bancaire pour solder son compte – à l’époque, les charges se paient un an à l’avance. Elle se met à chercher activement un emploi salarié. Les opportunités hélas ne sont pas légion à Grenoble dans la communication. Une entreprise de sanitaires lui fait une proposition. La déprime totale ! C’est là heureusement que Jean-Luc, fidèle copain de Sciences Po qui travaille alors avec Michel Rocard dans les Yvelines, lui parle du maire des Mureaux : il cherche son directeur de cabinet et il est certain lui que Catherine a le profil avec sa fibre sociale et son caractère bien trempé. Elle peut faire valoir une petite expérience dans la politique, ayant travaillé sur la campagne municipale de Michel Destot pour une agence. En juin 1993, Catherine donc est reçue par le maire des Mureaux qui lui décrit la situation : cette ville de 30 000 habitants située dans la deuxième couronne parisienne est confrontée à la montée du Front National (et oui déjà !) et aux problèmes d’insécurité et de chômage massif des jeunes qui forment 60 % de la population. Il veut changer l'image de ce territoire et adopter une approche plus pragmatique de ces questions. Un mois plus tard, Catherine fait ses valises et se retrouve ainsi à 39 kilomètres de Paris. Une page est tournée.
« Là, j’ai su qui étaient mes vrais amis. Ils sont peu nombreux à être venus me rendre visite aux Mureaux ! », sourit-elle. Il est vrai que cette ville de banlieue typique des années 1970 avec ses cités en béton n’a rien de touristique. Les médias ont les projecteurs braqués sur la ville dès qu'il se passe le moindre incident. Les Mureaux ont des atouts pourtant dont l’usine d’Ariane Espace et un joli petit centre ancien où Catherine s’installe. Travaillant dix heures par jour, elle retourne le week-end à Paris mais sans quitter son be-bop (l’ancêtre du smartphone !). Elle découvre le rythme éreintant des campagnes électorales : municipales, cantonales, réunions en soirées. De toute façon, malgré un salaire confortable, les mensualités d'emprunt liées à la fin de son statut grèvent sérieusement son budget loisirs.
En 2000, une nouvelle opportunité se présente pour rejoindre la campagne de Manuel Valls. Ce jeune catalan très ambitieux, alors porte-parole de Lionel Jospin à Matignon, cherche alors à conquérir la mairie d’Évry, ville nouvelle de 50 000 habitants dans l'Essonne. Il est élu et Catherine devient son directeur de cabinet, avec l'espoir (secret) de le suivre un jour dans un Ministère. Elle sent qu'il ira loin et de nouveau, des étoiles illuminent ses yeux quand elle évoque les ors de la République, entrevus lors de visites dans les hauts cercles du pouvoir. « C'est la possibilité d’agir, de se rendre utile, défend-elle. Un coup de fil peut changer le cours d'une vie. » Las. Le Front national, avec qui elle avait dû composer aux Mureaux quand ils sont entrés au conseil municipal, met brutalement fin à ses aspirations : en avril 2002, Le Pen accède cette fois au second tour de la présidentielle face à Chirac. En même temps que Jospin met fin à sa carrière politique, Catherine décide de quitter elle aussi cette machine à broyer les idéaux avec ses rivalités intestines, ses coups bas, son machisme. Elle a aussi envie de vivre sa vie enfin et de sortir de l’ombre.
Son expérience des rouages électoraux et des collectivités, elle va la mettre au service des grandes entreprises publiques en relations avec les élus. Au bout de quelques mois, après pas mal de déconvenues et de fausses promesses (pas si évident de passer du politique au privé !), la directrice de cabinet de Jean-Paul Bailly, président de la Poste, s’intéresse à sa candidature. L'entreprise postale, qui doit se préparer à l'ouverture définitive du marché du courrier à la concurrence, doit réorienter ses services sur le territoire. Elle décroche une mission de trois ans. Mais Catherine voit plus loin et se positionne pour travailler au niveau européen à Bruxelles. Elle obtient de suivre le Cycle des Hautes études européennes (CHEE) au sein de l’ENA en continu et décroche ainsi le poste convoité à Bruxelles en 2008, en charge du suivi des directives européennes : la fin du monopole sur le courrier, le fameux règlement sur la protection des données (RGPD) et le règlement sur la livraison des colis transfrontaliers face aux GAFAM (Google/Amazon/ Facebook/Apple et Microsoft). Loin des projecteurs mais dans le feu de l'actualité ! Même si le mot de lobbyiste a aujourd’hui mauvaise presse, elle se sent bien dans cette mission de défense d’une entreprise publique et des emplois.
Après dix ans d'abonnement au Thalys Paris-Bruxelles et de rythme boulot-dodo – réintégrant son « nid » parisien seulement le week-end -, Catherine a toutefois eu envie d'autre chose. La routine, ce n’est pas pour elle. En avril 2018, un nouveau challenge se présente au siège parisien du groupe : on lui propose le poste de déontologue. Sa feuille de route, transversale à toutes les directions de ce groupe de 230 000 personnes, consiste à « développer les comportements éthiques » et capitaliser sur cette confiance dont bénéficient les postiers auprès de la population - les facteurs s’engagent sur serment depuis 1791 à ne pas ouvrir les correspondances ! L’objectif est la mise en conformité avec la loi Sapin 2 qui oblige chaque entreprise à présenter un plan anti-corruption et à montrer « patte blanche » en cas de contrôle de l'Agence Française Anti-corruption. L'entreprise publique heureusement avait anticipé et elle n'arrive pas en terrain miné - même si beaucoup reste à faire. Elle doit ainsi superviser et animer un réseau de sept déontologues dans les différentes divisions et filiales du groupe.
Catherine a de lourdes responsabilités, mais elle est enfin résidente à temps plein à Paris, sa ville de rêve et elle a une vie après le travail. Sa vie est un roman à écrire. Et elle continue de dévorer des livres.
Portrait écrit par Véronique Granger, journaliste
Catherine COPPO
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