Stéphane PUSATERI (IEP 1978 SP - DEA Et. Pol. 1979 - Doct 3C Et Pol 1983 - Doctorat d'Etat 1988)
Deux
CAP = Deux Doctorats
De la communication audiovisuelle à la production d’huile d’olive
Un parcours atypique
Stéphane PUSATERI. Quiconque est passé par l’IEPG connait ce nom. Il est de tous les courriers de l’association des Anciens Elèves. Pour animer un réseau pareil, ce jeune retraité fait preuve d’une détermination sans faille. Il est à l’origine de l’annuaire des diplômés par exemple, et n’hésite pas à décrocher lui-même son téléphone pour l’actualiser ou enrichir la newsletter et son contenu. Stéphane est un tisseur de liens, un chantre de la solidarité. Son parcours est à l’image de son engagement, pluridisciplinaire et atypique. Stéphane est celui qui rassemble, celui qui croit que chacune et chacun a sa place à l’IEP.
Un parcours scolaire atypique
Pour Stéphane, l’école aurait pu se terminer en classe de sixième. Après une année scolaire catastrophique, ce fils d’immigrés siciliens entre en classe de certificat d’études qu’il réussit en chantant la Marseillaise, puis entre en 5ème de transition. Allergique à l’algèbre et à la langue de Shakespeare, il s’oriente ensuite vers un CAP d’employé de bureau qui lui permettra d’entrer en seconde AB3 spéciale où il passe, en candidat libre, le CAP d’aide comptable. Ensuite arrive la 1ère et la terminale G3, orientées vers les techniques commerciales. Deux élèves obtiennent le bac au premier tour, lui, l’élève le plus nul en maths et en anglais, et l’élève la plus brillante dans ces deux matières. Sa professeur de maths n’y croit pas !
Dès l’adolescence, Stéphane dévore le Canard Enchainé, L’Express ou encore le Nouvel Observateur, auxquels il rajoutera à Sciences Po, Le Monde, et par la suite Les Echos et Sud Ouest. En Terminale, Stéphane s’imagine travailler derrière un guichet de banque mais un ami lui dit un jour : « Toi, tu devrais faire Sciences Po ». En 1975, il n’existe pas encore de concours pour y entrer. Il suffit d’avoir le Bac, même technique. Le baccalauréat est alors encore un diplôme difficile à obtenir contrairement à aujourd’hui. La sélection à l’IEP, ne se fait pas alors à l’admission, mais à la fin de la première année par l’obtention de la moyenne de 10. Ainsi pendant leur première année les étudiants qui proviennent de lycées techniques, de milieux défavorisés ont une année pour se mettre à niveau. Depuis le début des années 80 la sélection s’opère par le concours, et depuis le Covid sur dossier avec Parcoursup. Mi-février 1976, alors qu’il s’apprête à présenter son exposé sur la Constitution de la 5ème République, un étudiant entre dans la conférence de méthode et crie : « Assemblée Générale, Assemblée Générale…». Il présentera son exposé dans le bureau de son professeur, Alain JOURDAN, sans public et en…. septembre !
Sa passion à l’IEP ? La politique, sans jamais être militant d’un parti, et surtout l’engagement citoyen comme on le verra plus tard. En deuxième année, il passe ses sept cours à option qui le dispensent de faire un mémoire et lui permettant de lui libérer du temps en 3ème et dernière année. C’est du moins ce qu’il pense. En intégrant le séminaire «Vie Politique française » d’Alain JOURDAN et Claude LELEU, il se prend au jeu des élections législatives de 1978 et rédige finalement un mémoire de 200 pages sur les élections législatives dans la circonscription de Romans sur Isère, sa ville de naissance, dont Georges FILLIOUD, futur Ministre de la Communication est maire et député. Stéphane est sans doute le seul cas d’un étudiant ayant cumulé sept cours à option et un mémoire, mettant ainsi dans l’embarras l’administration qui n’a jamais été confrontée à cette situation. Cela lui permet de décrocher une mention avec 13 de moyenne et d’entrer en D.E.A. d’Etudes Politiques en 1978.
Frédéric BON, spécialiste des sondages et auteur de « Que le Meilleur perde », « Les sondages peuvent-ils se tromper », directeur du D.E.A. propose à Stéphane de s’associer à André DELLEAUD qui, lui, avait réalisé un mémoire sur les élections législatives dans le sud de la Drôme. Ensemble, ils réalisent un avancement de thèse. Stéphane, fils de maçon, qui depuis sa première année à l’IEP est surveillant d’internat pour payer ses études, se voit attribuer une des deux allocations de recherche de la DGRST pour faire une thèse. L’allocation de recherche lui fait perdre 2 000 francs de revenus par mois. Il sacrifie ses soirées et ses week-ends à ses recherches. BON sera un directeur de thèse exceptionnel, attentif, passionné. Stéphane se rappelle des soirées qu’il passait chez lui pour enregistrer des données. La passion l’emporte. En trois ans, Stéphane et André rédigent une thèse de 3ème cycle sur « l’Histoire électorale de la Drôme de 1848 à 1981 » à l’échelle communale. 10 volumes, 23 kgs. « Idéal pour s’endormir le soir » dit-il avec l’humour qui le caractérise ! Le jury, présidé par Pascal PERRINEAU, est composé de François GOGUEL, ancien membre du Conseil Constitutionnel, Georges FILLIOUD, alors ministre de la Communication, Frédéric BON et Jean RANGER. Lors de la soutenance, ce dernier signale une erreur dans l’ouvrage mais Stéphane le renvoie à ses études et c’est l’éclat de rire général dans la salle où sont massés une quarantaine de soutiens. Le duo obtient une mention et le jury souhaite qu’ils enrichissent leur thèse pour la présenter en thèse d’Etat. Stéphane, alors qu’il dirige une agence de publicité à Paris et Grenoble, passe ses nuits et ses week-ends sur celle-ci. Stéphane et André seront parmi les derniers Docteurs d’Etat en 1988. Ses parents assistent, émus, aux deux soutenances de thèse, eux qui ne sont allés à l’école, comme ses trois frères, que jusqu’à douze ans.
Une riche carrière professionnelle dans l’audiovisuel
Dès 1983, Stéphane participe à la création d’une société de production de films institutionnels avec Bruno et Philippe SCHIEPAN, deux diplômés de Sciences Po. En 1984, Ils ont l’idée d’utiliser le réseau câblé de Grenoble-Echirolles pour réaliser la première expérience de télévision « Canal 5 » avec le soutien de la Caisse des Dépôts et Consignations, où ils remettent en scène Léon Zitrone. La chaîne arrive en tête ex-aequo avec France 2. La CDC entre dans leur capital. Un an plus tard, avec deux autres diplômés de Sciences Po, Stéphane crée une agence de Publicité à Paris et Grenoble mais la société, quelques années plus tard, est emportée par la crise.
En 1994, il prend la direction générale d’une société hollandaise de marketing direct spécialisée dans le télé-achat installée à Roubaix. En 1995, Stéphane crée et réalise les premiers spots de marketing direct dans le domaine de la presse pour L’Express, Le Point, Télé 7 jours, Paris Match et Modes et travaux diffusés à partir du Luxembourg et de Monaco. Malheureusement, il faudra attendre plus de dix ans pour que la publicité pour la presse soit officiellement autorisée sur les chaînes de télévision. L’histoire démontrera que l’achat d’espace est en définitive trop cher pour la presse.
La dernière partie de sa carrière professionnelle se déroule au sein d’une société de production audiovisuelle où il occupe le poste de Directeur Administratif et Financier.
Stéphane n’a jamais oublié ses deux CAP qui, pour lui, « valent » autant que ses deux doctorats. Son parcours atypique est malheureusement rare et presque impossible aujourd’hui. Il doit tout à l’enseignement catholique dans lequel il a baigné pendant son adolescence et qui lui a donné le sens de l’engagement associatif. Il doit tout, aussi, à l’enseignement public et surtout à Frédéric BON pour lequel il avait beaucoup d’affection et qui s’en est allé trop tôt. Ces deux éléments de parcours ont été déterminants dans les choix de Stéphane et lui ont ouvert des portes auxquelles il n’avait jamais songé.
Un engagement associatif sans faille
En parallèle à sa vie professionnelle, Stéphane connaît
un parcours associatif intense. Entre 15 et 25 ans, il s’investit dans
l’association des Anciens Elèves Maristes. Ensuite, c’est à l’Association
des Diplômés de Sciences Po qu’il consacre son temps libre et pour qui
il donne naissance à l’annuaire des diplômés en version papier, puis à
sa déclinaison en ligne, mais aussi aux magazines trimestriels et à la
création et au développement des différentes moutures du site internet.
Il définit les cahiers des charges qui sont mis en œuvre par Jonathan
MASCIAVE dont il repère les compétences à l’occasion d’un contrat aidé.
Il développe le lien entre l’association et les étudiants par la diffusion
de la newsletter et de l’annuaire auprès d’eux. Lors des amphis de rentrée,
il ne manque pas d’évoquer l’importance d’un réseau de diplômés, en évoquant
que sur les bancs des amphis les étudiants ont peut-être à côté d’eux
leur futur mari, leur future femme, leur futur patron ou collaborateur,
celui ou celle qu’il conseillera ou qui lui apportera un conseil déterminant
ou un emploi. Cela fait sourire les étudiants mais lors de la cérémonie
des diplômes des couples de jeunes diplômés viennent le saluer ! Pendant
des années, il anime enfin des rencontres parisiennes mensuelles des diplômés
à Paris où des unions naîtront entre diplômés de Sciences Po Grenoble
ou de diplômés de différents IEP. Il aide des étudiants dans leur recherche
de stages, dans l’élaboration de leur CV, dans leur lettre de motivation
ou à rencontrer d’autres diplômés.
Il ne manque pas de faire bénéficier l’IEP de son réseau, tant dans les
moments difficiles, que pour l’organisation de manifestations.
Stéphane a à cœur de mettre en avant sur le site de l’Association les réalisations d’étudiants, les travaux des enseignants et les événements organisés par et à l’IEP. Pour lui, les étudiants doivent pouvoir se construire un parcours adapté à leurs désirs. « Les masters de l’enseignement supérieur ne doivent pas bloquer les étudiants. L’offre de formation doit être adaptée au marché du travail. L’université doit s’ouvrir davantage sur le monde extérieur, sur le développement de l’alternance, les langues, les doubles formations. Hier, les étudiants étaient diplômés en trois ans, aujourd’hui en cinq ans et pour certains en six ou sept ans. C’est long, très long. Il ne faut pas commettre d’erreur dans ses choix. L’entrée dans la vie active est de plus en plus tardive et on doit cotiser de 42 à 45 ans pour sa retraite. Les erreurs ne sont pas permises. »
Il entend « rendre » aux autres un peu de ce qu’il a reçu.
A Bordeaux, de 1995 à aujourd’hui, il crée et préside une association de riverains qui se fait rapidement connaître en matière d’environnement, de protection du patrimoine et de lutte contre les nuisances sonores. Le quotidien régional lui consacre près de 400 articles en 25 ans car les sujets dont il s’empare sont ceux qui préoccupent les habitants du centre-ville, c'est aussi un bon client pour les chaînes de télévision TV7 et France3 Bordeaux. Il gagne des combats comme celui de l’accès réglementé au centre-ville. Son combat contre les nuisances sonores des bars lui vaut des représailles et menaces de la part de certains tenanciers et restaurateurs mais il ne lâche rien. On lui doit encore l’enlèvement des 30 climatiseurs du Palais de la Bourse, classé monument historique, ce qu’Alain JUPPE n’avait pas réussi à faire. Il fait également bloquer pendant un an les travaux de la rue de Ruat où l’on installe des pavés chinois au détriment de magnifiques pavés du XIXème, en infraction avec le règlement du secteur sauvegardé. Cela lui vaut l’inimitié d’Alain JUPPE. L’association de Stéphane redonne vie à une place du vieux Bordeaux transformée en parking. Il fait retirer les conteneurs collectifs du centre-ville. Stéphane proteste aussi dans les medias contre le refus d’élus de droite et de gauche opposés au mariage pour tous de célébrer des mariages, ce qui lui vaut d’être détesté à Bordeaux par des élus de tendances politiques différentes. Dernièrement encore, il a fait enlever des huisseries en PVC installées par un Chef étoilé médiatique au Grand Théâtre de Bordeaux avec la bénédiction d’un Préfet peu soucieux du respect des baux entre un bailleur et son locataire.
Enfin, il crée une association « STOP PPP (Partenariat, Public, Privé) » pour financer et accompagner le combat d’un élu de l’opposition contre le Grand Stade de Bordeaux. Il trouvera les fonds pour financer le recours jusqu’au Conseil d’Etat qui donnera raison à l’opposant. On se demande vraiment comment cet homme débordant d’énergie a su mener de front toutes ces batailles. Pour lui, la défense de l’intérêt général est une priorité et l’on doit respecter tout un chacun.
Il décline poliment les approches qui lui sont faites pour intégrer l’une ou l’autre des deux listes principales aux élections municipales de Bordeaux. A un directeur de cabinet, il dit « le matin, en me levant je ne me rêve pas en élu, et je ne rêve pas d’un hochet ». Il préfère être aux côtés des citoyens, les accompagner, avoir sa liberté de dire et d’agir. Il sourit lorsqu’à l’issue du premier tour de l’élection municipale de 2008 un ami l’appelle pour lui dire que l’on peut voir son cabinet de curiosités bordelais en quatrième de couverture du Figaro, avec dans son fauteuil Alain JUPPE entouré d’animaux empaillés. Cette même photo paraîtra dans une double page de Libération avec celle d’Alain ROUSSET challenger dans la même posture. Pour cette élection, Stéphane aura eu son portrait dans Marianne et Le Parisien, et il aura reçu dans son cabinet de curiosités, devant la presse, à deux heures d’intervalle les deux candidats. Bien que passionné par la vie politique, il s’est abstenu d’y entrer, mais il en est un observateur attentif. Aucun regret pour lui.
Un repos bien mérité ?
Pour sa dernière partie de vie, Stéphane décide avec son compagnon de partager sa vie entre la Sicile et Bordeaux. C’est un retour aux origines. En août 2015, ils ont un coup de foudre pour une propriété agricole de 4,4 hectares face à la mer qu’ils baptisent « Cinecittà Sicily ». Ils y construisent l’année suivante deux maisons, dont une avec piscine destinée à la location. Une troisième verra bientôt le jour. Aux 220 oliviers bien souvent centenaires déjà présents sur le terrain, ils ajoutent 650 nouveaux plants et 300 cyprès. Stéphane et Jean se lancent dans la production d’huile d’olive haut de gamme. Ils développent l’oliveraie et créent une palmeraie. Dès six heures du matin, ils sont au travail. Les journées sont longues, y compris le week-end. L’huile qu’ils tirent de leurs arbres, « Terra di Gioia », est déjà utilisée dans neuf restaurants étoilés. Le Chef du Palace Le Crillon l’a retenue et la vante lors d’une master class avec le magazine «Vogue Femme ». « Terra di Gioia » est également présente dans trois épiceries, à Marseille et à Bordeaux. Elle est aussi vendue par correspondance.
Dans quelques années les 650 arbres plantés vont considérablement la production. En mars 2022 Stéphane et Jean planteront 300 oliviers supplémentaires, la Nocellera del Bellice, et proposeront ainsi dans 5 ans une deuxième huile d’olive au parfum différent.
Depuis sa propriété, entouré de Coffee, Gioia, Voltaire et le petit dernier Atys, ses quatre scottish terrier, Stéphane continue à être tout autant engagé qu’avant dans l’association des Diplômés. Stéphane déplore la baisse du nombre de cotisants à l’Association de l’IEP de 1 200 à 350. Il ne comprend pas que l’on puisse se désintéresser de cette grande et belle école, de ses étudiants dont nombreux sont boursiers et qui ont besoin de l’aide des diplômés pour un stage, un conseil ou un emploi. « Les diplômés de l’IEP ont eu une formation qui leur a coûté le prix d’une consommation d’un paquet de cigarettes par jour contre des coûts d’inscription de 10 à 15 000 euros dans des écoles de commerce. Ils ont le devoir de conserver un lien avec l’école et de lui rendre ce qu’elle leur a apporté. Quant à l’école, elle ne doit pas oublier que nombreux sont ceux qui n’ont pas eu la chance de naître dans une famille « aisée », cultivée, qu’ils doivent aussi pouvoir entrer dans cette belle école qui a formé 16 000 diplômés présents dans un large éventail de fonctions et de secteurs et qui contribuent à la renommée d’un bel établissement. L’ascenseur social doit redémarrer sous des formes à inventer. L’IEPG doit réfléchir aux nouveaux défis de la formation en puisant dans le vivier de tous ses diplômés.»
Ce parcours scolaire/universitaire atypique, ses 52 ans de vie associative, la communication audiovisuelle et la publicité, la création d'une oliveraie, un retour aux racines familiales, Stéphane ne l’avait jamais imaginé. Le fils d’immigré, qui se faisait traiter de «macaroni qui vient manger le pain des français» à l’école primaire, s’est installé en partie en Sicile, terre de ses parents et frères, dont il avait renié la cuisine et la langue pour mieux s’intégrer dans cette République qui doit permettre l'ascension sociale. Son chemin s’est construit naturellement, au gré de rencontres, d’événements, de l’actualité. Sans aucune arrière-pensée il a construit un réseau d’amis, de relations. Fidélité, humour, ténacité, altruisme le caractérisent, mais quel « emmerdeur tout de même » !
Portrait réalisé par Pascale CHAUNY EP. VIROT (1988 SP) et par Ronan LANCELOT (1998 PO)
Stéphane PUSATERI
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02/11/2021