François
DE LEYRIS (1973 EF)
A la demande de Stéphane Pusateri, voici le résumé de 40 ans de carrière dans la fonction publique (Etat et collectivités locales) d’un diplômé de Sciences Po Grenoble (écofi) en 1973. Autant vous le dire tout de suite, ce parcours n’a rien d’exceptionnel, simplement il reflète une certaine diversité, ce qui n’est pas toujours le cas dans la fonction publique.
En ayant choisi la section économique et financière à Sciences Po Grenoble, je ne m’étais pas vraiment destiné à la fonction publique, mon centre d’intérêt étant l’aménagement du territoire. Mais en septembre 1973, en l’absence de propositions concrètes dans ce secteur, et la situation de l’emploi des jeunes diplômés devenant délicate (mais que dire aujourd’hui ?), j’ai préparé les concours administratifs (attaché de centrale et IRA). Admis aux deux épreuves (il faut reconnaître que Sciences Po même écofi, constituait une bonne préparation à ce type d’épreuves). J’ai choisi en 1976 de travailler à la préfecture de Paris, via le ministère de l’Intérieur.
A la Mairie de Paris, qui avait succédé en 1977 à la Préfecture de Paris, j’ai connu plusieurs services : celui de la fiscalité (mais ce fut bref et peu intéressant), celui du Conseil de Paris, comme secrétaire de la commission des affaires sociales, poste d’observation intéressant du fait du changement de statut - la préfecture devenait collectivité locale- et la mise en place des lois Deferre sur la décentralisation. J’ai ensuite travaillé successivement au service de l’inspection qui venait de se créer, dans le secteur de l’action sociale (soutien aux associations à caractère social), puis aux affaires culturelles (gestion du réseau des bibliothèques de lecture publique). Cette expérience à la Ville de Paris, du fait de la période à laquelle elle se situait et des postes occupés (notamment au Conseil de Paris et dans le secteur social) a été intellectuellement très enrichissante.
En 1993, j’ai souhaité retourner dans mon ministère d’origine, l’Intérieur. Affecté tout d’abord au service de l’immobilier de la Police nationale, je me suis heurté aux contraintes budgétaires de l’époque, dans un contexte particulièrement difficile (gel des crédits d’investissement). J’ai ensuite intégré le service des étrangers de la direction des libertés publiques où je traitais, en coordination avec le ministère des affaires étrangères tout ce qui touchait aux visas d’entrée en France, notamment sous l’aspect « sécurité publique ». C’était l’époque de la mise en place de la convention de Schengen, ce qui m’a permis de participer aux groupes de travail qui ont défini de manière pratique les conditions d’application de cette convention. J’ai pu, à travers cette expérience, avoir une petite idée de la complexité des négociations européennes. L’autre aspect intéressant de ce poste était le positionnement : la « Centrale », c'est-à-dire le ministère à Paris est censé donner des consignes aux préfectures en matière de délivrance des titres de séjour en lien avec les conditions d’entrée en France ( la délivrance des visas par les postes consulaires), mais, dans la réalité, ces dernières, qui sont sur le terrain, connaissent la réalité avec toutes les difficultés d’application des circulaires, rédigées à Paris…Enfin, le droit des étrangers a fait l’objet à cette période de nombreuses lois souvent contradictoires, compte tenu des changements de majorité entre 1993 et 2001.
En 2001, j’ai souhaité quitter Paris et j’ai profité de la création de la commission de recours contre les refus de visa pour travailler à Nantes en qualité de rapporteur auprès de cette commission. La finalité de cet organisme était de soulager le Conseil d’Etat du contentieux des refus de visa : avant 1995, le nombre de contentieux devant cette instance était inférieur à une centaine par an, mais, à partir des années 2000, il dépassait les 2000 dossiers annuels, d’où des délais de réponse très longs et un engorgement du Conseil… Dans la nouvelle procédure, il fallait en cas de refus de visa, saisir la commission et c’est seulement en cas de refus par la commission que le Conseil d’Etat pouvait être sollicité. Le travail des rapporteurs consistait à analyser les demandes de recours à la lumière des textes existants (Convention européenne des droits de l’Homme, Convention de Schengen et textes législatifs et réglementaires) de la jurisprudence du Conseil d’Etat et à proposer à la commission une décision. Le droit des étrangers est un droit qui a beaucoup évolué au cours de ces années, ce qui rendait ce poste intéressant, mais la mauvaise foi des autorités consulaires et du service chargé des visas à Nantes était très démotivante.
Ne souhaitant pas revenir sur Paris, j’ai préféré en 2007 me faire affecter à la préfecture de la Vendée, tout d’abord pour m’occuper des demandes de subvention auprès du Fonds européen pour le développement régional (FEDER), bel exercice bureaucratique franco-européen, puis chargé de mission « Aménagement du territoire » dans la même préfecture. J’ai pris conscience du dynamisme des collectivités locales et des entreprises en Vendée, mais aussi de la nécessité de simplifier l’organisation territoriale française. Cependant, il semble que, faute de moyens financiers, l’Etat n’est plus capable d’avoir une politique d’aménagement du territoire réellement efficace.
Ma dernière affectation a été à la préfecture de la Loire-Atlantique, au bureau des procédures environnementales où j’ai découvert la mise en œuvre récente, à travers le code de l’environnement, des lois issues des Grenelle (1 et 2) de l’environnement. Le service était en charge des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). En clair, il s’agissait de contrôler les établissements industriels et commerciaux classés, compte tenu des risques qu’ils pouvaient faire courir à l’environnement du fait des produits utilisés ou des pratiques mises en oeuvre. Ces établissements sont divers et nombreux puisque cela va de la centrale thermique au pressing en passant par l’élevage de bovins et la station-service. La loi oblige en cas de création ou d’extension de ce type d’établissement à en faire la déclaration auprès du préfet, ce qui peut déclencher une enquête publique auprès des riverains pour les établissements les plus « sensibles ».
Quelles constations tirées de cette expérience ? Tout d’abord, j’ai découvert concrètement la notion de service public et l’attente que les Français ont en ce domaine. Cette attente peut être déçue, tout d’abord parce qu’ils en attendent trop, mais aussi parce que les fonctionnaires ne sont pas toujours à la hauteur (manque de moyens, bureaucratie lourde et tatillonne, mais manque de conviction aussi). Ensuite, l’idéologie néolibérale qui est de mise actuellement en Europe (Trop d’Etat) a provoqué en France une remise en cause du rôle de l’Etat et des collectivités locales, dont le coût est trop élevé par rapport à celui des autres pays européens et donc handicap pour la compétitivité française. D’où certains projets (réduction du nombre de régions) qui risquent de faire « pschitt » si l’objectif recherché est seulement de diminuer la dépense publique. Une chose est certaine pour moi : il faut redéfinir le rôle et les missions de l’Etat en simplifiant ses interventions et en supprimant les doublons et les compétences croisées. Pour cela, il faut tout mettre sur la table. Exercice périlleux pour le gouvernement qui aura cette ambition…
François DE LEYRIS
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04/01/2016