Jean-Claude Galléty (1978 PS)
Des origines…
Originaire du milieu de l’entreprise, fils d’un artisan du
bâtiment, je me suis dirigé à la sortie du Bac, en
1968, vers la filière qui me semblait la plus naturelle : l’architecture.
Mais en cours de ces études, il est apparu que ce choix me conduisait
vers des voies un peu décalées par rapport à mes
centres d’intérêts, orientés plutôt vers
la chose publique. Cette inclinaison, découverte peu à peu,
s’inscrivait en prolongement de l’enseignement d’un
professeur de philosophie qui m’avait ouvert à des valeurs–
nouvelles pour moi eu égard à mon milieu familial –tendant
vers l’action publique et sociétale. À la fin de mes
études d’architecture, l’urbanisme apparaissait alors
comme plus conforme à mes goûts. Malheureusement, j’ai
vite décroché par rapport à mon projet de thèse,
car les études d’architecture m’avaient bien peu armé
pour l’analyse des phénomènes complexes qui animent
les sociétés humaines et urbaines.
… à Science Po
La science politique offrait alors cette capacité d’analyse
pluridisciplinaire qui me manquait. Et c’est ainsi que je suis arrivé
à l’IEPG pour suivre le cycle « Politique et social
» en 1976. Après un premier cycle universitaire, je me suis
retrouvé avec des « vieux » qui,comme moi, avaient
déjà réalisé un autre cursus : de l’économie,
de la biologie, de la communication... Et ce melting-pot contribuait justement
à nourrir cette pluridisciplinarité. Quelque uns de mes
amis d’aujourd’hui sont toujours issus de ce petit creuset.
À la sortie de Sciences-Po, en 1978, des jobs temporaires ou à
mi-temps m’ont laissé suffisamment de disponibilité
pour me réinscrire en doctorat d’urbanisme à l’IUG
et reprendre la thèse que j’avais vainement tenté
d’engager à la fin de mes études d’architecture.
Mon doctorat à l’IUG sera finalement soutenu en janvier 1984
; il portait sur le pouvoir local et le changement social dans les collectivités
de montagne impactées par le développement touristique.
Mon parcours professionnel
S’il ne devait y avoir qu’un seul mot-clé dans mon
parcours professionnel, ce serait « collectivités locales
».
Mon premier emploi temporaire fut un remplacement au Cemagref de Grenoble
pour conduire une étude commandée par la Datarsur des critères
d’aide aux communes de montagnes.
Je devais le contact avec ce laboratoire à Claude Domenach, directeur
de l’institut et qui fut mon directeur de mémoire, et à
qui je veux ici rendre hommage pour tout ce qu’il m’a apporté.
Ensuite, le CAUE de l’Isère recrutait un chargé d’étude
à mi-temps pour développer des actions d’animation
en directions des mairies et intercommunalités. Dans cette fonction,
j’ai eu l’occasion de coopérer avec l’organisme
de formation de l’Association départementale des maires,
le Cifodel. Comme je l’ai déjà indiqué, ce
travail à mi-temps était une aubaine pour moi car il m’a
permis de reprendre et de conduire en parallèle les travaux pour
ma thèse.
Dès lors, la décentralisation comme
moteur de mon action
Puis arrive la décentralisation de 1982-83. Le Conseil Général
de l’Isère, dont dépendait le CAUE, a alors souhaité
développer des aides et de la formation spécifiques en direction
des petites communes afin d’accompagner la mise en place de la décentralisation.
Il souhaitait aussi refonder la consultance architecturale afin d’en
transférer la responsabilité aux maires pour tenir compte
de la nouvelle donne institutionnelle. Afin d’engager cette réorientation
du CAUE, je suis nommé directeur fin 1983. L’enjeu de cette
nouvelle politique était d’accompagner ladécentralisation,
mais surtout d’en montrer tout le potentiel auprès des Maires
face à une administration d’État qui ne la positivait
pas toujours…
Parallèlement à mes fonctions au CAUE, le hasard a voulu
que je reprenne au pied levé un cours d’urbanisme à
l’ENTPE. L’un des vacataires s’étant démis
à l’improviste, l’une de mes camarades de l’Institut
d’urbanisme, devenue chercheur à l’École des
TPE, m’a sollicité et j’ai donc repris le cours sur
l’histoire de l’urbanisme et des théories urbaines.
Un début de parcours de ruraliste
Jusqu’alors tout mon cheminement – études universitaires
et travail – était celui d’un ruraliste. Pour la première
fois,avec cet enseignement, j’abordais les questions portant sur
la ville et cela a été pour moi une aubaine, puisqu’il
m’a – en quelque sorte – ouvert sur les problématiques
urbaines.
Je savais qu’un jour je devrais réorienter ma trajectoire
pour ne pas rester cantonné toute ma carrière dans le champ
rural. Après plus de huit années passées au CAUE,
j’ai donc postulé à un poste « urbain »
comme directeur de l’urbanisme à la Maire de Valence, fin
1987.
Mes nouvelles missions se partagent à ce moment-là entre
l’urbanisme réglementaire (permis de construire, etc.) et
l’urbanisme opérationnel avec de nombreuses zones d’aménagement
en projet à la périphérie de la ville. Notons que
Valence est aussi une grande commune agricole et qu’à ce
titre elle recèle de nombreuses capacités de développement.
Mon « bonheur » est que le POS de Valence est annulé
quelques mois après mon arrivée… Le défaut
pointé par le tribunal administratif pour justifier sa décision
s’appliquant en cascade, nous voilà revenu au RNU ! Situation
schizophrénique pour une collectivité qui préparaitde
nombreux projets d’aménagement et expérience violemment
formatrice au contentieux de l’urbanisme pour un jeune professionnel…
Mais ce poste Valentinois me permettait de rentrer plus directement dans
l’opérationnel que je ne l’avais fait auparavant.
Bifurcation vers des fonctions partenariales
Après trois ans passés à la Mairie de Valence, une
nouvelle opportunité s’ouvre à moi. Un ami architecte
en formation d’architecte-urbaniste de l’État me signale
que le Cetur, dépendant du ministère de l’Équipement,
recherche un urbaniste pour faire le pont entrel’État et
les collectivités locales et développer des études
partenariales. Et mon ami commente en ces termes : « Tu as le profil,
je te vois bien dans ce job ». C’est ainsi que j’arrive
au Cetur à Bagneux ; ce centre étant un service qui développe
des méthodologies sur le champ des transports et de la voirie.
L’enjeu de ce nouveau poste est de développer des partenariats
avec les collectivités pour s’inscrire dans la nouvelle donne
de la décentralisation. C’est un service qui, sous l’impulsion
de ces directeurs successifs Bernard Durand et André Lauer, avait
opté pour une position que je qualifierais de « moderniste
» : elle stipulait que la décentralisation obligeait à
modifier la posture de l’État et qu’il fallait dorénavant
jouer selon une logique partenariale et non plus d’autorité
supérieure. Vision moderniste et quelque peu révolutionnaire
pour les services de l’État à l’époque,
il faut le dire !
Arrive le Certu…
Ma carrière a souvent été faite d’opportunités
inattendues, mais face à ces bifurcations, j’ai toujours
choisi de m’y engager résolument. Peu de temps après
mon arrivé à Bagneux, siège du Cetur, le ministère
d’Édith Cresson engage des délocalisations à
marche forcée afin de désengorger la région parisienne
et de rééquilibrer avec la province. Le Cetur fait partie
des services à transférer, mais le directeur de la Drast
de l’époque, tutelle du RST du Ministère, y voit l’opportunité
de créer un service nouveau rapprochant le monde des transports
et de la voirie avec celui de l’urbanisme et de l’environnement.
Par ma position à cheval entre le monde de l’État
et celui des collectivités, ainsi que mon appétence personnelle
pour dynamiser les ressources de la décentralisation, je me vois
alors propulsé au sein de la petite équipe qui prépare
la création du nouveau service à Lyon et qui deviendra le
Certu.
Il faut rendre hommage ici à Jean-Pierre Giblin, directeur de la
Drast, qui par sa clairvoyance sur les changements qui affectent, et vont
affecter, la conduite des politiques publiques choisit d’aller de
l’avant. Il décide alors d’amplifier les inflexions
d’ouverture initiées par tâtonnements au Cetur en les
élargissant aux autres domaines techniques et à un spectre
large d’acteursde la société civile, économique
et locale.
C’est tout naturellement André Lauer directeur du Cetur qui
est chargé de conduire le projet de nouveau service. Le projet
de départ est de créer un établissement public adossé
pour moitié sur l’État et moitié sur les CL.
…où la sociologie des organisations
croise les logiques catégorielles !
Comme il ne s’agit pas d’une simple délocalisation
mais de construire un concept nouveau de service de l’État,
la gestation sera longue tant des courants contradictoires traversent
l’administration. Finalement la forme « établissement
public » sera évacuée et le Certu sera créé
en février 1994 sous forme de Service technique central (STC).
Je suis chargé d’en créer le nouveau département
Urbanisme qui est, dès le départ, tiraillé dans ses
orientations entre les tenants au sein de l’administration centrale
de l’idée que c’est l’État qui dicte les
politiques publiques aux collectivités et les fondateurs du Certu
qui conçoivent que celles-ci sont co-construites par tous les acteurs
et spécialement ceux du terrain que sont les collectivités
locales. Michel Crozier aurait eu fort à faire pour décrypter
la complexité du jeu d’acteurs dans la sociologie des administrationsqui
gravitent autour de l’enjeu décentralisateur... Ce sont ces
forces contradictoires qui constitueront le fond de scène permanent
de l’histoire du Certu.
Une initiative de collectivités créée
une nouvelle inflexion dans ma carrière
Mais le Certu n’a pas encore atteint sa vitesse de croisière
qu’en 1998 se crée, sous l’impulsion d’André
Rossinot, Maire de Nancy, l’Agence des villes par transformation
de l’Ingul. Un certain nombre de collectivités et d’intercommunalités
s’allient pour créer, sous forme associative, une agence
chargée de faire circuler expériences et bonnes pratiques.
Elle est basée sur l’adhésion volontaire.
La création de cette agence me vaut une nouvelle bifurcation dans
ma carrière. L’agence des villes représente le pied
des collectivités locales qui manquait au Certu. Le directeur me
nomme alors « Délégué aux collectivités
locales » chargé de démultiplier les partenariats
avec les collectivités et leurs associations représentatives
(AMF, etc.). Mais cette fonction est enrichie d’une mission plus
souterraine qui est de travailler à la fusion du Certu et de l’agence.
Malheureusement, à défaut d’en être le marieur,
je devrais plutôt accompagner l’agence vers son extinction
car, prise dans une spirale déficitaire, il a fallut la faire fonctionner
au ralenti sans son personnel le temps que les cotisations permettent
d’assainir les comptes.
Une fonction d’intermédiation…
Au Certu, ma fonction de délégué va s’exprimer
sous différentes facettes : monter des partenariats avec ce que
l’on appelle aujourd’hui le « bloc local » et
ses représentants, des maires aux techniciens en passant par les
organismes de formation (CNFPT…) ; co-construiredes actions avec
eux par des publications, des séminaires, des formations…
; et ouvrir le Certu aux dynamiques de fonctionnement des CL qui fonctionnent
souvent comme le décalque inverse des services de l’État.
Mais cette fonction d’interface m’amène aussi à
assurer des responsabilités dans les actions « Qualité
» du Certu : qualité de l’écriture et de la
communication, qualité scientifique, etc. Je dois d’ailleurs
mes aptitudes sur la qualité scientifique aux travaux pendant ma
thèse, conduite sous l’exigeante autorité de Christian
Lacroix, directeur de l’IUG qui m’a inculqué cette
rigueur méthodologique et à qui je veux ici rendre aussi
hommage.
Si je devais résumer d’un mot ma fonction de délégué
aux CL, je dirais « facilitateur », mais une journaliste de
la gazette des communes m’avait un jour – avec humour –
affublé du substantif « d’entremetteur ». Et
avec cet humour, entre collectivités locales et État, ce
n’est pas faux !
Aujourd’hui, alors que je commence à voir poindre la ligne
d’horizon de ma retraite, le Certu se dirige vers un autre destin
que celui voulu par ses fondateurs puisqu’il sera fondu dans le
Cerema en 2014 ; l’État considérant qu’il sera
plus efficace en amalgamant un certain nombre de fonctions… –
mais peut-être faudrait-il plutôt employer ici le jargon sociologique
« d’appareil d’État » pour caractériser
le sujet !
Enseigner à la marge maintien son esprit
en désaxement
Évoquons rapidement un second volet de ma carrière en sus
de mon cœur de métier : depuis ce fameux jour où j’ai
du reprendre au vol un cours abandonné par un enseignant, j’ai
toujours poursuivi une petite activité d’enseignement dans
le champ de l’urbanisme et de l’aménagement. Outre
le caractère gratifiant de l’acte pédagogique, pour
moi l’enseignement oblige à observer, à se documenter
et à être attentif aux changements du monde. À se
tenir à jour et à se remettre en question en quelque sorte…
Enfin ma troisième vie est dans le champ du bénévolat
pour animer les réseaux professionnels : je suis vice-président
à la Formation et aux Processus de Qualification de l’Office
Professionnel de Qualification des Urbanistes (OPQU).
Et dans tout cela, que vient faire Science Po
?
J’ai coutume de dire que Science Po m’a apporté deux
choses. La première ce sont des moyens de décryptage pluridisciplinaires
des institutions locales dans un contexte national et européen,
de compréhension du jeu des acteurs et d’analyse des évolutions
socio-économiques. Vision pluridisciplinaire, j’insiste,
car il faut sans arrêt croiser la sociologie, l’économie,
le droit, l’histoire, la science politique…
La seconde est de m’avoir armé pour développer des
stratégies du changement dans les instances où j’ai
œuvré, et plus spécialement celles qui étaient
tournées vers l’accompagnement des acteurs « collectivités
locales » (CAUE, Cetur, Certu…).
Certes, il fallait une appétence personnelle dans cette direction
et, par ascendance provinciale, j’ai toujours développé
le goût pour la décentralisation et la subsidiarité.
Mais l’action ne peut se construire sur les seules convictions,
si puissantes soient-elles, si elle ne s’adosse pas à de
solides capacités d’analyse pluridisciplinaire, de décryptage
du jeu d’acteurs et d’une réflexion prospective. Et
cela, c’est Science Po qui me l’a apporté.
Ce portrait m’amène à me retourner sur mon passé
et finalement le fil directeur en aura toujours été l’envie
de faire « bouger les lignes » et d’accompagner le changement
que ce soit dans ma vie professionnelle propre, dans celle d’enseignant
ou dans celle de responsable au sein d’instances professionnelles.
Heureusement, j’avais ces bases académiques solides !
Merci Science Po !
Jean-Claude Galléty (1978 PS)
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20/12/2013