Anne BAUDUIN ép. CHEVIAKINE (1990 PO)
Petite fille de cheminot, j’aime à penser que la vie est faite d’une succession d’aiguillages. En ce qui me concerne, à chaque aiguillage a correspondu une rencontre-clé, de ces rencontres qui vous donnent le coup de pouce nécessaire. La dernière de ces rencontres clés m’a ouvert les portes des collectivités territoriales après 15 ans d’activité chez EDF.
1. La période russe
Un bac scientifique en poche, j’ai hésité, mais peu
de temps, entre hypokhâgne et l’IEP Grenoble. Après
une journée en hypokhâgne, j’ai opté pour l’IEP
Grenoble, son mode d’enseignement et son programme, sésame
possible vers une carrière journalistique que j’envisageais
alors. De mes trois années à l’IEP Grenoble, il me
reste bien entendu de fortes amitiés mais surtout tout un socle
de connaissances et d’expériences, qui m’ont permis
d’aborder et de m’adapter à chaque étape de
mon parcours professionnel. Parmi les expériences formatrices de
ces trois années, j’en citerai deux : une brève expérience
de la représentation en syndicat étudiant ; l’expérience
de la Summer Session 1989 sur le campus de Berkeley où
j’ai eu la chance de fêter mes 20 ans.
C’est l’un de mes professeurs à l’IEP, Pierre
Broué, en charge du cours d’histoire, qu’il dispensait
à voix presque basse en amphi pour provoquer l’attention
des étudiants, docteur ès lettres, expert de Léon
Trotski auquel il consacra une grande part de sa vie et de ses recherches,
qui m’avait signalé l’opportunité de cet échange
avec des étudiants californiens, « à ne manquer
sous aucun prétexte ». Le jury de sélection des
candidats aux deux mois d’expatriation, au sein duquel Thora Van
Mahl, professeur d’anglais redoutée des élèves,
m’avait accueillie aux côtés du Directeur de l’Institut,
par une provocation : « Vous faites du théâtre
depuis l’âge de 12 ans, vous vous retrouvez à l’IEP,
en somme vous êtes une comédienne ratée ? »,
émit finalement un avis positif. Non seulement ce vigoureux échange
à l’heureuse issue m’a servi de référence
pour de futurs entretiens de sélection, mais il m’a permis
de décrocher cette année-là, l’une des rares
places « d’ambassadeurs » de l’IEP à Berkeley.
C’est également Pierre Broué qui m’a incitée
à poursuivre mes études de Russe, langue que j’avais
commencé à étudier en 6ème. Cet aiguillage
m’a conduite à décrocher simultanément un DEUG
de Russe et mon diplôme de l’IEP en juin 1990, à m’inscrire
en Licence et à séjourner, de septembre 1990 à février
1991, à Moscou pour y parfaire ma connaissance de la langue. A
l’automne 1990, les manifestations anti-Gorbatchev qui agitent la
capitale russe, constituent un sujet d’actualité pour les
articles que je m’étais engagée à adresser
au Dauphiné Libéré. Moins d’un an plus tard
ce serait la fin du PCUS et de l’URSS. Enfin, c’est à
Moscou que j’ai rencontré mon futur époux, Alexis
Cheviakine.
Au retour, la transition par le Diplôme d’Etudes Approfondies
en Sciences politiques « Etudes soviétiques et est européennes
», dirigé par Hélène Carrère d’Encausse,
à Sciences Po Paris était toute trouvée. Pourtant,
même si l’obtention du DEA permettait de clore un chapitre,
il appelait un nouvel aiguillage : je ne me voyais ni enseigner comme
m’y prédestinait une partie de mes ascendants, ni devenir
chercheur. J’aspirais à travailler en équipe, constater
le fruit de mon travail sans attendre des années, me rapprocher
de la vraie vie. Pour conclure mon cursus, j’ai présenté
en parallèle des concours d’écoles de journalisme
et d’écoles de commerce. J’ai finalement choisi d’intégrer
l’Ecole Supérieure de Commerce de Lyon (EM Lyon) directement
en deuxième année, ce qui allait me permettre d’entrer
assez vite dans la vie active.
2. La période chinoise
M’étant spécialisée en contrôle de gestion,
j’ai opté en octobre 1994, à 25 ans, pour un premier
poste - un CDD rapidement transformé en CDI - dans une des filiales
parisiennes du groupe de service public, EDF. J’y ai exercé
pendant 5 ans le métier de consultante en contrôle de gestion
et ingénierie financière auprès des dirigeants de
filiales du groupe, ainsi qu’auprès de certains de ses Directeurs.
Parmi les missions qui m’ont été confiées :
la mise en place du contrôle de gestion et le suivi d’une
société-projet, investisseur dans une centrale de production
électrique implantée à Gardanne. La particularité
de cette société ? Son montage financier répondait
à la logique d’un « financement de projet »,
dans lequel les apports de capitaux sont rémunérés
par les cash flows générés par le projet
lui-même.
Mission qui m’a valu en août 1997 de décrocher, en
binôme avec un collègue expert-comptable, l’intérim
pour quelques mois, de la Direction Administrative et Financière
d’une société-projet du même type, investisseur
dans une centrale de production thermique au charbon implantée
en Chine. Ce projet constituant la première opération de
type Build Operate Transfer et premier investissement à
capitaux 100% étrangers en Chine, était particulièrement
surveillée par ses actionnaires EDF et GEC Alsthom et l’objet
de toute leur attention. Sur place, c’est une nouvelle rencontre-clé
qui m’attendait avec le chef du projet, devenu Directeur Général
de la société-projet, Christian Lemagny. Cet homme m’a
marquée par sa capacité à garder son calme en toutes
circonstances, son caractère profondément humain et sa capacité
de travail hors norme. Lors de notre première rencontre, il a su
trouver les mots, qui convenaient, pour nous galvaniser, mon collègue
et moi-même, en nous présentant ainsi ses attentes : «
Je suis ingénieur, je n’y connais rien en matière
de finance. Or, dans les semaines à venir, il va falloir assumer
les premiers gestes de la vie de la société : premiers règlements
de fournisseurs et formalités douanières, premiers tirages
auprès des banques, mise en place d’un compte courant auprès
de la banque locale etc…Je dois donc pouvoir vous faire entière
confiance. Faites comme si cette société était la
vôtre et n’hésitez pas à me solliciter à
toute difficulté rencontrée. » Le projet présentait
environ trois fois la surface financière de celui sur lequel j’avais
travaillé en France - 616 M. USD en lieu et place de 232 M€-.
La cerise sur le gâteau est que tout se passait en anglais ! Aussi,
dans le service après-vente de ma mission a été inclus,
outre la mise au point d’un mode opératoire des outils laissés
au bon usage de la DAF enfin libérée de ses précédentes
obligations professionnelles, la rédaction d’un digest du
corpus contractuel attaché au financement de projet, sous l’angle
de l’analyse des risques pour l’actionnaire EDF.
3. Virage à 180°
Après cinq mois, d’allées et venues entre Paris, Hong
Kong et la capitale du Guanxi (province méridionale de Chine, limitrophe
du Vietnam), c’est au retour du dernier de mes déplacements
sur place, en décembre 1997, qu’allait se présenter
sous les traits de Laurent Stricker, futur patron du nucléaire
à EDF, un nouvel « aiguillage ». J’ai profité
d’un trajet en avion pour m’ouvrir à ce dernier, de
mon désir de me rapprocher de la maison-mère et de son cœur
de métier. Mon objectif : éviter de me marginaliser définitivement
par un séjour prolongé en filiale et, alors que l’élargissement
de la famille était à l’ordre du jour, de m’enfermer
dans une expertise financière, exerçable uniquement au sein
des services centraux parisiens. Ayant pris connaissance de ma formation
initiale, Laurent Stricker m’a indiqué que l’avenir
d’EDF allait se jouer dans les prochaines années à
la Direction Commerciale d’EDF. Celle-ci était en cours d’organisation,
pour faire face à l’ouverture progressive du marché
de l’énergie à la concurrence. Cette Direction semblait
donc tout indiquée pour un rapprochement avec la maison mère
EDF.
Ainsi, un congé maternité plus tard, j’ai exercé pendant trois ans, toujours en région parisienne, le métier de Responsable commercial Grands Comptes. Ce poste consistait, en tant qu’interlocuteur privilégié du client, à rester en veille sur le client et son secteur d’activité par un benchmark approprié et à formaliser la stratégie d’EDF à son égard ; à mettre en réseau, informer et autant que possible coordonner tous les acteurs chez EDF susceptibles d’intervenir pour les différents sites de ce client ; à lui proposer des services allant de l’amélioration des modalités de facturation à un service clés en mains de type facility management. A la tête d’un portefeuille clients mouvant au fil des ajustements de l’organisation de la toute nouvelle Direction Commerciale Grands Comptes, j’ai notamment été chargée de clients du secteur public ou semi-public dans les secteurs des transports, de l’eau et de l’assainissement- Aéroports de Paris, la SAGEP (Société Anonyme de Gestion des Eaux de Paris), le SIAAP (Syndicat interdépartemental d’Assainissement de l’Agglomération Parisienne)… -.
A la naissance de notre deuxième fils, en octobre
2000, nous avons commencé à nous trouver à l’étroit
et un peu asphyxiés dans notre appartement d’Issy-les-Moulineaux.
De plus, le commercial me laissait sur ma faim intellectuellement et manquait
de rigueur. Ayant entendu dire que l’agence bordelaise de la toute
nouvelle Direction des Achats d’EDF n’avait pas encore fait
le plein, je décidai de tenter ma chance, avec pour objectif après
avoir appris le métier d’acheteur de m’orienter vers
le management.
Quinze jours après l’entretien, le tour était joué
et toute la famille se prépara à migrer pour le Sud Ouest,
ce qui fut chose faite en octobre 2001.
Six ans plus tard, ayant atteint l’objectif que
je m’étais fixé – je manageais une équipe
de dix acheteurs en charge de mettre en place des marchés régionaux
et nationaux à destination du groupe EDF - ; aspirant avec mon
époux à nous ancrer durablement dans le territoire bordelais
; me voyant proposer des postes en interne à EDF ne correspondant
plus à mes aspirations et approchant de la quarantaine le moment
de négocier un nouveau virage semblait venu. Je décidai
de tenter ma chance hors du groupe EDF, avant de ne plus en avoir le ressort.
L’une de mes premières cibles étant les entreprises
du secteur de l’énergie, j’ai rencontré, parmi
d’autres, le délégué Régional de Gaz
de France en Aquitaine, Antoine Augé. La rencontre avec ce dernier
me permit de commencer à imaginer que tant qu’à faire
de quitter EDF, il pouvait être intéressant d’ouvrir
mon champ d’action. Antoine Augé m’incita à
rencontrer un petit cabinet en ressources humaines et formation, spécialisé
dans l’accompagnement de la mobilité des cadres du privé
vers le public, implanté à Mérignac (banlieue bordelaise),
Territoires RH. Plusieurs entretiens avec son gérant, Tony Lourenço,
ainsi qu’un bilan de compétences, m’ont permis de mûrir
mon projet : mettre l’expérience d’une quinzaine d’années
en univers privé-public, reflet de ma double formation initiale
en Sciences politiques et Ecole de Commerce, à la disposition de
structures mixtes ou publiques. Pour ce faire, Territoires RH me proposa
une formation/action de 60 jours en tout en achats et finances publiques
et un accompagnement / placement, qui m’ont préparé
au mieux à ce changement d’environnement et permis d’adopter
la juste posture. La formation s’étalant sur les vendredis
et samedis restait compatible avec la tenue de mon poste chez EDF. Au
printemps 2009, j’avais été formée et coachée
par Territoires RH et me sentais prête à opérer ce
qu’il faut bien comparer à une métamorphose.
Dernière étape : du privé au public
A ce cursus complémentaire, s’est ajoutée une rencontre-clé
avec le Président de la Communauté Urbaine de Bordeaux (ci-après
Cub), plus jeune Président d’intercommunalité en exercice,
Vincent Feltesse. Lors de cette brève rencontre, ce dernier m’a
impressionnée par son apparente décontraction, son écoute
active, son sens inné de la communication, qualités dont
j’ai appris ultérieurement qu’elles étaient,
entre autres, complétées de celles de fin politique, visionnaire
et décideur! Il était depuis 2007 à la tête
de la Cub, collectivité regroupant 27 communes, soit un peu plus
de 700 000 habitants, au budget annuel dépassant le milliard d’euros
et porteuse de nombre des projets structurants de l’agglomération
d’ici à 2030. Suite à cet entretien décisif,
faisant suite à un jury de sélection, Vincent Feltesse a
donné son accord à mon recrutement, me permettant ainsi
d’intégrer la fonction publique territoriale. C’était
le 18 juin 2009. Dans la foulée, j’ai négocié
mon détachement d’EDF et intégré l’Inspection
Générale et Audit de la Cub fin 2009.
J’y ai d’abord été chargée, comme responsable
d’une cellule de coordination dédiée, de la mise en
œuvre de l’organisation d’un des projets phares de la
collectivité, relatif à la préparation de plusieurs
échéances afférentes aux contrats de délégation
des services publics de l’eau et de l’assainissement de la
Cub. Les interactions entre les quatre composantes du projet étaient
multiples, le planning extrêmement serré, les interfaces
avec des acteurs externes nombreuses et les aspirations des élus
ambitieuses, le défi était donc de taille! Outre l’organisation
des différentes instances projets, la coordination de la planification,
le reporting, la mise en place d’un groupe de benchmark au sein
de l’Association des Communautés Urbaines de France, il est
revenu à la cellule que j’animais la mise en place de l’une
des premières démarches de participation citoyenne voulue
par les élus de la Cub et l’organisation d’un séminaire
sur la tarification de l’eau, point de départ à une
réflexion interne sur cette dernière. L’ensemble de
ces tâches n’a bien évidemment pu aboutir que grâce
à l’investissement d’un certain nombre d’experts
internes et externes à la Cub.
Une fois le projet entré en phase de croisière, j’ai
souhaité quitter l’organisation, la logistique et la coordination
pour travailler davantage sur le fond des dossiers. J’ai donc présenté
ma candidature au poste de contrôleur de gestion et chef de projet
de la révision quinquennale du contrat de délégation
du service de l’eau potable, un contrat de 30 ans, représentant
un chiffre d’affaires de 65 M€ par an pour le délégataire
Lyonnaise des Eaux ; poste auquel j’ai pu commencer à me
consacrer en novembre 2011. Cette négociation marathon, tire aujourd’hui
à sa fin et aboutira à la mise en place d’un nouvel
avenant à effet au 1er janvier 2013.
Ainsi, après une première partie de parcours professionnel dense, au sein d’un grand groupe m’ayant permis d’exercer trois métiers en des lieux différents, soucieuse de pouvoir continuer à apprendre et me passionner, j’ai fini par intégrer la fonction publique territoriale, bouclant la boucle avec ma formation d’origine à l’IEP. Et je m’y trouve bien : les problématiques à traiter sont d’une richesse et d’une variété incroyable et travailler avec et pour des élus est un stimulus et un défi quasi quotidien.
Anne BAUDUIN ép. CHEVIAKINE (1990 PO)
annechevv@gmail.com
17/12/2012