Cécile Chapuis-Vandenbogaerde, 1990 PO
Il
peut y avoir une vie après Science Po. Que vous ayez 25 ou 50 ans,
que vous aimiez votre métier ou non, peut-être un jour allez
vous éprouver le besoin de changer de vie, changer de métier.
C'est ce qui m'est arrivée en 2005/2006. J'étais alors directrice
de la communication d'un super groupe, des défis permanents, une
rémunération généreuse, un patron en or. Et
pourtant, je ne pouvais que constater un malaise grandissant en me levant
le matin, l'idée que j'avais besoin de trouver une autre voie,
plus proche de ma volonté de servir les autres et d'être
plus indépendante professionnellement. Par ailleurs je me voyais
mal vieillir dans la "com", j'avais 37 ans et j'espérais
enfin devenir maman alors quand on sort après 20 h, qu'il faut
voyager...
Parallèlement une amie orthophoniste me parlait régulièrement
de son métier. Rapidement j'ai réalisé que cela répondait
à mes aspirations : soigner et me consacrer aux autres, travailler
autour du langage, rétablir la communication. Il s'avère
en plus que c'est un métier que l'on peut exercer en salarié
et/ou en libéral et qu'il y a un tel numérus clausus que
les opportunités professionnelles sont considérables. Bref
vous pouvez trouver un emploi bien avant même d'être diplômée.
C'est ce qui m'est arrivée.
Traditionnellement en orthophonie il y a toujours eu des étudiants
plus âgés. En 2006, quand j'ai été admise,
près de 20 % de ma promotion était en reconversion. C'est
une profession très féminine puisque les femmes représentent
environ 95 %.
J'ai d'abord renoncé à passer le concours en découvrant
que seuls 5 % des inscrits étaient reçus à Paris
et qu'il s'agissait de quatre ans d'études. Et finalement trop
titillée j'ai tenté le coup, travaillé le soir et
le week-end et contre toute attente j'ai été reçue.
Notre formation à Science Po est d'ailleurs précieuse car
le concours est fondé sur les difficultés de la langue française
et pour certaines écoles sur la culture générale.
Se lancer à 37 ans
C'est la décision initiale qui n'est pas forcément facile
à prendre. Quand vous avez une situation confortable, que vous
disposez d'une certaine reconnaissance professionnelle dans votre domaine
et que vous devez trouver un financement pour quatre ans d'études,
c'est forcément un changement de vie important, des sacrifices
matériels.
Rien n'est possible sans un minimum de soutien du conjoint. Mon mari avait
avant moi repris des études au CNAM. Il était donc en mesure
de comprendre mes aspirations et de mesurer les implications matérielles
d'un tel engagement. Il savait aussi qu'à terme je n'allais plus
gagner autant, mais il a respecté mon envie, je dirais
même mon besoin.
Et après comment ça marche ?
Et voilà vous êtes désormais étudiant et vous
saoulez tous vos amis avec votre nouvelle vie. Votre mari essaie pour
la énième fois de vous faire entrer dans le crâne
que décidément non il ne veut pas ouvrir toute grande la
bouche pour vos révisions en anatomie et vous demande poliment
de cesser de regarder les vidéos de cerveau avant de passer à
table.
Les capacités de mémorisation sont parfois un peu défaillantes
les premiers temps mais elles reviennent progressivement. Il suffit de
travailler régulièrement et de s'appuyer sur son expérience
professionnelle et ses études à Science Po. J'avais été
formée à synthétiser, rédiger... cela m'a
été précieux.
Restent quelques difficultés que l'on pensait derrière nous
comme s'enfermer pour réviser des partiels ou se retrouver simple
stagiaire avec parfois des maîtres de stage plus jeunes que nous.
La rédaction du mémoire fût aussi parfois lourde,
elle est tellement plus exigeante que ce qu'il nous était demandé
à Science Po. L'arrivée de ma fille à la rentrée
de quatrième année a aussi nécessité de nouveaux
ajustements. En revanche, aucun souci d'intégration, la fac de
médecine a l'habitude des étudiants plus âgés.
Les deux premières années on a le sentiment que la vie professionnelle
est encore loin mais rapidement le rythme des stages et l'accumulation
des connaissances et de
l'expérience vous guident doucement vers votre futur exercice.
J'ai ainsi découvert que j'étais passionnée par le
"pur médical": neurologie, ORL, neuro-anatomie... J'ai
aussi adoré l'hôpital, aller au bloc. D'autres expériences
en humanitaires au cours de ces années m'ont aussi guidé
vers une spécialité : la prise en charge des enfants porteurs
de fentes palatines, auxquels j'ai d'ailleurs consacré ma recherche.
C'est ainsi que deux ans avant le diplôme j'avais déjà
accepté un poste à temps partiel au sein du service de chirurgie
maxillo-faciale de l'hôpital Trousseau à Paris.
Diplômée depuis juin 2010, les opportunités étaient
immenses pour compléter mon exercice hospitalier. J'ai même
passé une annonce et je reçois encore presque chaque jour
des propositions.
Au final je compléterai par un exercice libéral dans un
cabinet du 18ème arrondissement de Paris dès septembre.
Je sais cependant que j'ai l'immense privilège d'avoir pu reprendre
des études mais aussi de pouvoir choisir mon lieu de travail. S’il
y a le moindre souci, si je dois déménager ou si j'ai envie
de nouvelles expériences, j'ai l'opportunité de changer
en quelques jours. De nos jours c'est un vrai luxe.
Et comme j'ai repris le goût aux études je me suis déjà
réinscrite à la rentrée pour une formation complémentaire
et j'envisage un DU dès 2011 !
Cécile CHAPUIS-VANDENBOGAERDE
Promotion 1990 (Politique)
Interview tirée du Magazine n°44 (Décembre 2010)