Jacques Lambert, 1970
SP
Paris, boulevard de Grenelles, siège de la Fédération
Française de Football (FFF). Après avoir accroché
sur sa veste un badge visiteur, on patiente dans la salle d’attente.
L’oeil est forcément attiré par la réplique
dorée de la Coupe du Monde 1998. Les souvenirs à peine refoulés
font surface : la divine performance de Thuram face à la Croatie,
le doublé du maestro Zizou en finale... L’arrivée
de Jacques Lambert (SP 70) nous tire de notre état second. Le directeur
général de la FFF nous reçoit plus d’une heure
dans son spacieux bureau. Un temps nécessaire pour retracer non
pas une mais trois vies.
Que chaque étudiant de Sciences Po se pose sincèrement
la question de savoir ce qui l’a motivé à venir à
Grenoble. Les montagnes, la vie estudiantine, la réputation de
pôle technologique ? Pour Jacques Lambert, il s’agit de sport
: « Les Jeux Olympiques de 1968. Je suis arrivé à
l’IEP à la rentrée 67 et je me suis proposé
pour être volontaire des JO. J’ai été chauffeur
entre Grenoble et Chamrousse. » L’ancien lycéen de
Chaumont apprécie « la liberté des thématiques
abordées et la liberté d’organisation du temps ».
Et se rappelle de mai 68 comme d’une période « correctement
agitée ! » Il complète sa formation par une licence
de sciences économiques et enchaîne en intégrant l’ENA
en 1974. Si les cours l’ennuient, il est conquis par ses expériences
de terrain. C’est le début de sa vie dans la fonction publique
: « J’ai eu la chance d’alterner Paris et la province.
J’ai même travaillé trois ans à Tahiti, ce qui
en soit n’est pas désagréable ! En fait, je faisais
un métier différent à chaque nouveau poste. »
L’ancien iepien devient un proche collaborateur de deux Premiers
Ministres : Pierre Mauroy et Pierre Bérégovoy. S’il
garde un excellent souvenir de son passage à la préfecture
de la Nièvre, son plus beau défi a été la
mise en place de la première Cohabitation : « J’ai
été directeur de cabinet du Secrétariat Général
du Gouvernement entre 1983 et 1988. Il fallait faire fonctionner la machine
gouvernementale car c’était une situation de rapports de
force jamais vécue. »
Aux commandes du Mondial 98
Sa nomination au poste de préfet de Savoie au début des
années 90 est un véritable tournant. Jacques Lambert doit
diriger le chantier des Jeux Olympiques d’Albertville, prévus
en 1992. « J’ai très largement contribué à
créer le dispositif de sécurité des JO. Et je n’ai
pas hésité à prendre des décisions lourdes
de conséquences : par exemple, j’ai interdit l’accès
des voitures aux stations de ski. Des navettes ont été mises
en places pour les desservir. » Résultat : la réussite
sportive mais aussi organisationnelle est complète. L’aisance
avec laquelle Jacques Lambert a géré ce dossier ne laisse
pas insensible. Et c’est tout naturellement vers lui que se tournent
Michel Platini et Fernand Sastre pour lui confier l’organisation
d’un autre évènement planétaire : la Coupe
du Monde 1998 en France. « J’ai démarré cette
aventure avec rien pour l’amener à un succès sportif
inespéré. J’ai travaillé avec 700 salariés
et 12000 volontaires ». La deuxième vie de ce grand-père
de 61 ans se conclut par la victoire des Bleus le 12 juillet 1998. «
Quand vous avez trimé pendant cinq ans et demi pour un évènement
qui dure un mois, ça passe en un éclair ! » Le retour
à la réalité est un peu brutal. Jacques Lambert,
ne trouvant pas de poste assez intéressant dans la fonction publique,
décide de débuter une troisième vie dans le secteur
privé. « Gérard Mestrallet, un ami de longue date,
m’a proposé un poste dans son groupe Suez-Lyonnaise des Eaux
». En 2004, il revient dans le monde du sport en travaillant pour
un groupe japonais qui possédait les droits d’hospitalité
(loges, villages d’accueil, billetterie…) pour la Coupe du
Monde 2006 en Allemagne.
La FFF, dernier challenge
Avril 2005, certainement le dernier virage d’une carrière
sinueuse. Jean-Pierre Escalettes, président de la FFF, lui propose
de devenir directeur général de la fédération.
Proposition qu’il s’empresse d’accepter car la mission
le passionne : « Etre le patron de 200 personnes, disposant d’un
budget de 200 millions d’euros, avec la particularité de
travailler dans un milieu hyper médiatisé, où tout
est passionnel, où la prise de recul est rarissime, où les
résultats sportifs conditionnent tout ! » Celui qui a reçu
la Légion d’honneur en janvier 2009 se montre un peu inquiet
sur l’avenir du football français : « La pression commerciale
est beaucoup plus forte avec les droits télévisés,
le sponsoring, le niveau de contrats… Si l’équipe de
France rentre dans une période plus délicate sur le plan
sportif, il va être plus difficile de valoriser le football. »
Jacques Lambert refuse de s’engager sur le dossier de l’Euro
2016 que la France se propose d’organiser. « J’ai toujours
eu des postes à risques, à fortes doses de travail et aujourd’hui
cela me pèse. J’ai envie de souffler, de profiter de ma vie
et de ma famille. Je ne ferai pas le combat de trop. » Typiquement
le discours d’un ancien sportif de haut niveau.
Pierre Nigay
2009, PO
Interview tirée du Magazine n°43 (Novembre 2009)