Laurent DEBORD (Promotion 1991 POL, DEA Sécurité
internationale et défense 1992, Maîtrise de sciences économiques
1993), Délégué Général de la Fédération
Française du Bâtiment Gironde
Stéphane Pusatéri : peux-tu nous présenter
ton poste actuel ?
Laurent Debord : je dirige depuis 2005 à Bordeaux
les services départementaux d’une organisation professionnelle,
la Fédération Française du Bâtiment, reconnue
représentative de toutes les tailles d’entreprises dans son
secteur d’activité. Au niveau national, la FFB rassemble
50 000 adhérents (dont 35 000 de taille artisanale), qui réalisent
les 2/3 de la production annuelle de la profession et emploient les 2/3
des salariés du secteur. Si les corps intermédiaires n’ont
pas toujours bonne presse (parfois à raison, malheureusement),
ils ont incontestablement leur utilité. Il n’y a rien de
choquant à ce que des dirigeants se regroupent pour mieux se défendre
et dialoguer avec les décideurs publics et privés, pour
faire progresser ensemble leur profession tant en termes de métier
que d’image, ou encore pour partager des moyens et services inaccessibles
individuellement aux TPE/PME (qui constituent 85% de nos effectifs). Nous
sommes placés sous le régime juridique de la loi Waldeck-Rousseau
de 1884 mais notre fonctionnement est très similaire à celui
d’une association loi 1901 avec des adhérents payant une
cotisation, un Conseil d’administration … et actuellement
une dynamique Présidente âgée de 42 ans, tous nos
élus et mandataires étant bénévoles. Encore
des idées reçues qui tombent concernant le fonctionnement
soi-disant poussiéreux (notre organisation a été
créée en 1904) et opaque des instances telles que les nôtres,
face à l’agilité si sexy de la nouvelle économie
! Au quotidien, animer une équipe de 7 collaboratrices, mettre
en application les décisions prises par les élus, les accompagner
ou les représenter à l’extérieur, organiser
la communication et les relations presse, gérer la comptabilité
et les finances de la structure sont les composantes essentielles du poste.
J’exerce un métier peu répandu et qui me passionne,
je vis à Bordeaux avec mon épouse et mes 3 enfants, c’est
pour moi une chance.
Stéphane : même si c’est dorénavant
un peu loin, quel est ton parcours universitaire ?
Laurent : nous sommes en janvier 2019, à quelques
mois près 30 ans me séparent de mon entrée à
l’IEP de Grenoble. A l’époque, la formation se déroulait
en 3 ans : pas de période de césure, un diplôme qui
valait déjà largement un bac +5 alors que la réforme
LMD n’était pas encore passée par là. Aurais-je
accepté de passer 5 ans sur les bancs de la même école
comme aujourd’hui ? Pas certain, on n’est pas tous sérieux
quand on a 18 ans et quelques-uns de mes professeurs ont bien du s’en
rendre compte ! Quoi qu’il en soit, les raisons qui m’ont
fait tenter le concours après un Bac B sont les mêmes qui
poussent aujourd’hui ma fille aînée à s’y
intéresser à son tour : une école reconnue ouvrant
sur des carrières très diverses, un enseignement organisé
entre l’acquisition de la connaissance et la méthodologie
pour comprendre le monde qui nous entoure, un encadrement et des conditions
de travail motivants (ce dernier point est un atout majeur dans la réussite
des étudiants). Rien de tout cela n’a pris une ride et l’attractivité
des IEP qui ne se dément pas (alors que les instituts se sont multipliés
depuis 1988) en atteste. J’étais attiré par la politique
… je me suis donc logiquement orienté vers la section politique.
Ensuite DEA en sécurité internationale et défense
(Lyon III) sous la conduite de Jean-Jacques Roche qui m’avait communiqué
à l’IEP sa passion pour les relations internationales. La
logique aurait voulu d’enchainer sur une thèse avec lui,
j’avais mon sujet : la mise en place d’une stratégie
maritime européenne. Mais après une année passée
sous le drapeau des chasseurs alpins (et pendant laquelle j’ai voulu
« garder le rythme » en obtenant une maîtrise de sciences
éco en télé-enseignement par Grenoble II), les conditions
pratiques dans lesquelles j’aurai pu réaliser ce doctorat
avaient changé. Fin des études et d’un rêve…
bienvenue (ou presque) dans la réalité. En 1993, le marché
du travail n’était pas très clément pour des
profils tels que le mien, il m’a fallu près d’un an
pour décrocher mon premier emploi.
Stéphane : de Grenoble à Bordeaux,
de Sciences-Po au Bâtiment, existe-t-il un fil conducteur ?
Laurent : ce qui est certain, c’est qu’il
n’est pas géographique : attaché parlementaire d’un
député-maire dans la Nièvre de 1994 à 1997,
directeur de cabinet d’un maire- vice-président du Conseil
régional dans la Drôme de 1997 à 2001, premier poste
à la FFB du Jura en 2001 puis ensuite en Gironde à partir
de 2005. Pour des débuts professionnels, travailler au service
des élus de la République était une évidence,
y compris quand on est soi-même militant : c’est passionnant
et formateur, c’est utile pour la société. Mais arrive
un moment où il faut aussi penser à soi. La notion de carrière
n’existe pas vraiment, l’engagement ne peut être que
total y compris sur le plan des convictions personnelles. En 2001, après
une élection municipale brillamment remportée par mon élu
de l’époque, à sa grande surprise j’ai quitté
mon poste considérant que mon métier et mon projet de vie
n’étaient plus en adéquation. Comment rebondir ? Un
tel CV ouvre peu de portes en entreprises mais c’était pourtant
bien vers la réalité économique que je voulais me
tourner, et donc vers les chambres consulaires ou les organisations professionnelles.
Une opportunité s’est présentée à la
FFB du Jura et c’est comme cela que j’ai fait la connaissance
de ce grand réseau, qui m’a ensuite permis d’évoluer
vers une structure beaucoup plus importante en intégrant la FFB
Gironde. Le fil conducteur que tu évoquais comporte donc 2 brins
: le besoin de s’inscrire dans un projet collectif au service des
autres, la possibilité de travailler avec des élus vraiment
impliqués dans leur mission. Dans l’éthique personnelle
comme dans les compétences utilisées au quotidien, il y
a de fortes similitudes entre les deux grands pans de mon parcours. La
seule vraie différence, assez amusante, est que je suis passé
de l’autre côté du miroir : dorénavant c’est
moi qui fait du lobbying auprès des maires, des parlementaires
ou président de conseil départemental.
Stéphane : quels sont les principaux atouts
de Sciences Po dans le monde professionnel ?
Laurent : dans un précédent portrait, l’une
de nos camarades parlait de « couteau suisse ». Pour aller
dans le même sens, je dirais que cette formation nous permet d’être
« tout-terrain ». Il suffit de consulter l’annuaire
des anciens pour s’en rendre compte. Bien sûr, les connaissances
brutes que nous engrangeons sont essentielles mais en fonction de la poursuite
ou non des études et des premiers jobs décrochés,
elles ne peuvent pas toujours être mises en pratiques immédiatement.
De mon point de vue, c’est donc la méthode qui prime : l’organisation
des idées qui permet de s’attaquer à des situations
très diverses avec efficacité, la capacité à
les exprimer. Peu importe l’emploi qu’on occupe, c’est
une compétence immédiatement opérationnelle, partagée
par tous les diplômés quel que soit le classement de sortie.
Passé les premières expériences professionnelles,
l’étiquette de l’école a tendance à s’effacer
(au moins dans l’esprit des recruteurs) mais la marque de fabrique
et le savoir-faire restent.
Stéphane : en conclusion, si c’était
à refaire ?
Laurent : la réponse ne te surprendra pas, c’est
évidemment oui mais pour une toute autre raison que celles que
nous évoquions précédemment, même si je n’y
retire rien. Il m’a fallu un peu de temps pour le comprendre (cela
doit s’appeler la maturité …) mais c’est bien
du plaisir que j’ai eu à suivre le cursus de l’IEP.
Laurent DEBORD
Afficher
son courriel