Julien BERTHOUD (ECOFI 1992), Advisor on rule
of law coordination - European Union Special Representative (EUSR) à
Sarajevo.
Je suis expatrié depuis plus de 24 ans. Pour être plus précis, je vis en Bosnie et Herzégovine depuis juillet 1994 lorsque j'ai rejoint une association humanitaire engagée dans l'aide aux déplacés du conflit marquant l'éclatement de la Yougoslavie. Mon engagement humanitaire était à l'époque la conclusion logique de mon cheminement intellectuel et universitaire, l'IEP Grenoble en ayant été le déclencheur.
Membre de longue date de l'association des anciens élèves, je ne suis pas un membre actif mais je reste très attachée à l'IEP Grenoble. Un tel attachement peut s'expliquer par l'expatriation. C'est aussi un moyen de faire vivre les souvenirs de mes années universitaires.
J'aspirais à intégrer Paris et m'étais préparé au concours d'entrée pendant un an. J'ai finis à Grenoble. Ce fut une chance. Nous avions à l'époque un examen d'entrée. Il incluait une ou deux semaines de cours préparatoires, courant septembre, chaque classe ayant un tuteur. Le mien était Pierre Broué. Spécialiste du Trotskisme, Pierre Broué était un "monstre". Quelle intelligence, quel érudition et pourtant j'étais aux antipodes de ses positions politiques. Ce fut son dernier poste avant la retraite. Il nous a quitté aujourd'hui mais ces deux semaines passées sous sa coupe demeure pour moi un condensé de la qualité des professeurs de l'IEP et de l'enseignement que j'y ai reçu.
J'ai sincèrement adoré mon passage à
Grenoble. J'étais exactement là où j'avais voulu
être, sans le savoir. Membre actif du bureau des élèves
en tant que trésorier et puis président du bureau des sports
de l'IEP, j'ai passé pendant trois ans mes journées à
l'institut. N'étant pas originaire de Grenoble, et du fait de mon
expatriation, je n'y suis pas revenu depuis.
Le portrait d'un ancien se doit d'inclure un résumé sur
le cheminement professionnel. En quoi l'IEP Grenoble a-t-il influencé
ce que je suis aujourd'hui. Résumons donc un quart de siècle
en quelques paragraphes.
L'IEP a été une matrice, une porte ouverte sur la connaissance, l'activisme, la curiosité. L'enseignement au sein de l'institut était ouvert, orienté sur la découverte. L'IEP n'avait pas pour but de faire de nous des experts accomplis, des spécialistes, mais nous ouvrait un grand nombre de portes pour de multiples futurs possible, s'attachant à nous doter des moyens intellectuels et analytiques devant permettre à chacun de trouver sa voie. Concrètement, durant ces 25 dernières années, j'ai eu de nombreux postes, interconnectés certes, mais couvrant des sujets aussi variés que l'assistance humanitaire, l'organisation d'élections dans une société post-conflit, le conseil politique sur des questions économique et sur des questions d'état de droit, la gestion d'équipe dans le cadre d'un conflit armé, etc. Ma formation à l'IEP Grenoble m'a permis de faire face et d'être reconnus comme un vrai professionnel dans mes différentes fonctions.
J'ai suivi une spécialisation en économie et finances mais n'ai jamais vraiment travaillé dans ma branche. Cela n'a pas été un handicap, bien au contraire. Lors de mon année ERASMUS (1991-1992), j'avais affiné mes choix en sélectionnant des cours relatifs à sociologie et à l'économie des pays en voie de développement. Mon directeur de mémoire, Mr Arturo Montés-Larrain, m'y avait préparé. L'étape logique suivante était un troisième cycle universitaire axé sur le développement.
Un dossier de candidature pour un DESS à la Sorbonne n'a finalement pas abouti et le service militaire m'a rattrapé pour une incorporation en février 1993. J'ai utilisé les quelques mois qui me restaient pour une mission humanitaire à caractère éducatif sur la frontière entre Thaïlande et Birmanie, revenant de la jungle pour la caserne de Montigny-lès-Metz. En quoi l'IEP peut être utile dans le cadre d'un service national. S'adapter pour tirer le maximum de toutes expériences humaines ou professionnelles. J'ai signé un service volontariat long afin de pouvoir suivre des classes d'officier, ayant débuté comme simple soldat. Cette expérience a été déterminante lorsque j'ai candidaté à des postes humanitaires et ai été sélectionné pour une mission en Bosnie et Herzégovine. Ce fut le début de ma deuxième vie.
La guerre, les refugiées, la désolation, c'était il y a plus de 20 ans, au centre de l'Europe. C'est aussi aujourd'hui, aux portes de l'Europe. L'histoire est linéaire et se répète, malheureusement. Je suis aujourd'hui un contractuel de l'Union Européenne, expert en état de droit, m'appliquant à aider la Bosnie Herzégovine à réformer ses structures judiciaires. Passionnant mais trop souvent frustrant et déprimant car comment conduire des réformes structurelles dans un pays composé de deux entités, l'une fédérative, l'autre centralisée. La Constitution de la Bosnie Herzégovine reste fondamentalement un accord de paix qui doit évoluer pour devenir le ciment d'une nation. Nous en sommes loin, voir très loin. Bosniaques, Serbes et Croates de Bosnie Herzégovine ne sont toujours pas d'accord sur une lecture commune du conflit des années 90.
Pour conclure ce portrait, j'aimerais nous rappeler à
notre devoir d'humanité. Nos principes humanistes et républicains
ne sont pas négociables mais ne laissons pas la haine et l'esprit
de revanche dicter nos choix. Ne considérons jamais rien comme
acquis, restons vigilant. Ce message d'humanité était au
cœur de l'enseignement de l'IEP Grenoble. Il le demeure, véhiculé
par tous les anciens et présents professeurs et élèves
de l'institut.
Julien BERTHOUD
Afficher
son courriel