Delphine DESCHAUX-BEAUME (épouse DUTARD), SP
2003, DEA 2004, Doctorat 2008
Du désir de justice à la recherche sur la défense
Lorsque j’ai passé le concours de l’IEP de Grenoble en septembre 1999, mon bac avec mention fraîchement obtenu, j’avais une idée claire en tête : devenir juge pour enfant. Littéraire par goût depuis l’enfance et éprise de justice d’un côté, refusant obstinément d’entrer en classes préparatoires comme l’y incitaient fortement mes professeurs de lycée d’une autre côté, j’ai préparé le concours de l’IEP tout l’été qui a suivi mon bac, en m’inscrivant en parallèle à la faculté de droit de Grenoble. Le concours réussi, j’entrai donc à Sciences Po Grenoble, avec l’idée de passer en fin de cursus le concours de l’Ecole Nationale de la Magistrature. C’est ainsi tout naturellement que je me suis dirigée vers la section Service Public en deuxième année. Mais le destin avait d’autres plans pour moi… Tout d’abord, tout à mes rêves de justice, j’avais sollicité une audience auprès d’une juge pour enfant du Tribunal de Grenoble. Cette audience a tout changé pour moi, qui rêvais justement de justice infantile, moi qui avais eu une enfance sans nuages. Quand j’ai réalisé dans le bureau de cette magistrate quel était vraiment son quotidien, je me suis rendu compte que ce n’était pas ce que j’attendais de ma vie professionnelle.
Un autre élément est venu perturber cette vocation initiale vite évanouie : l’exercice du mémoire de recherche. Dès la première année, Roland Lewin, que j’avais le bonheur d’avoir en conférences de méthode d’histoire, initiait ses jeunes étudiants à la pratique du mémoire : chacun devait, sur un sujet historique de son choix, appuyé sur des sources archivistiques, produire un mémoire. J’avais alors travaillé sur l’indépendance irlandaise et plus précisément sur la figure d’un de ses leaders dans les années 1920 : Michael Collins. Cette recherche me mena jusqu’en Grande-Bretagne pour y trouver documents inédits et archives, et même nouer contact avec un éditeur âgé l’ayant connu. L’exercice m’avait tellement passionnée que lorsqu’il fallut choisir le séminaire dans lequel je réaliserai mon mémoire de fin de cursus à l’IEP, le choix fut celui du cœur : j’allai vers un séminaire de science politique, qui me permit d’approfondir mon premier mémoire et travailler sur l’insurrection de Pâques en Irlande et ses conséquences politiques jusqu’à l’indépendance de la République d’Irlande. Je passai mon année et mon été de troisième année enfouie sous les livres, tout au bonheur des découvertes que je faisais sur mon sujet de recherche.
Cette troisième année d’IEP me plaça néanmoins face à un choix cornélien : entrer en cycle de préparation aux concours administratifs, que j’avais envisagés en m’orientant vers la section Service Public, ou bien prendre une année d’ouverture afin de mieux réfléchir à mon avenir professionnel. C’est ce que je fis : je partis un semestre en Erasmus à l’université de Passau en Allemagne, puis passai le second semestre de cette année d’ouverture en stage dans une ONG grenobloise. Forte de ces expériences, j’entrai en septembre 2003 dans le DEA de science politique de l’IEP, ayant décliné les autres DEA auxquels j’avais postulé. Là encore, je ne pensais pas que cette année de DEA me conduirait à ma carrière actuelle, mais tout s’enchaîna très vite. Un mémoire de recherche sur l’Eurocorps, l’obtention d’une allocation doctorale du Ministère de la Défense (dans le cadre d’un accord DGA-CNRS), et j’étais partie pour le chemin long et sinueux du doctorat. J’ai choisi de faire deux longs séjours de recherche en immersion dans un laboratoire allemand, mon sujet de thèse portant sur le rôle de la coopération militaire franco-allemande dans le lancement de la politique européenne de défense depuis la fin de la Guerre Froide. Le travail de terrain, les rencontres et entretiens avec des diplomates, officiers, anciens ministres, me passionna et je commençai également à enseigner en fin de thèse, ce qui me convainquit de ma vocation. J’aimais transmettre des idées, en débattre, donner des éléments permettant aux étudiants d’aborder le monde avec un regard critique et surtout une liberté d’esprit adossée à une solide formation, tout comme celle que j’avais reçue à l’IEP. J’ai été attachée temporaire d’enseignement et de recherche (ATER) à l’IEP entre 2007 et 2009, avant de donner des cours dans plusieurs universités (Lyon 2, Lyon 3, Paris 1, Chambéry). Après une expérience professionnelle de trois ans en ONG à l’issue de ma thèse soutenue en 2008 au terme de quatre ans de labeur intense (week-ends et nuits comprises les derniers mois), j’ai été élue comme maître de conférences en science politique à la faculté de droit de Grenoble, bouclant ainsi la boucle.
Aujourd’hui, le travail universitaire me passionne toujours, malgré un contexte parfois difficile : la gestion d’effectifs énormes en licence (350 étudiants dans les amphis de L1, peu de contact personnalisé avec chacun), les tâches administratives qui éloignent de la recherche que l’on aimerait pouvoir davantage privilégier, ou encore la part importante du temps passé à rechercher des fonds pour poursuivre ses recherches. Mais ma formation à l’IEP m’a donné la faculté de m’adapter et d’avoir une vision globale des situations que j’ai à affronter, ce qui est un véritable atout. La passion de certains de mes professeurs d’IEP m’a guidée et continue aujourd’hui quand j’enseigne moi-même. Car transmettre la capacité de se forger une vision du monde appuyée sur des connaissances solides est ma vocation, découverte au fur et à mesure de mes années d’IEP. Par ailleurs, le secteur de la recherche universitaire s’est profondément modifié en quelques années, allant de plus en plus vers la recherche sur contrats, et là encore, ma formation à l’IEP est précieuse pour saisir à la fois cette évolution, et ce qui est attendu des partenaires, notamment quand il s’agit de l’Etat (mes souvenirs de droit administratifs me sont alors fort utiles !).Aujourd’hui, à côté de mes enseignements de la licence au master, je continue mes recherches sur la défense européenne (notamment dans le contexte du Brexit et de la remise en cause de l’ordre mondial) et sur la cybersécurité de l’UE et de l’OTAN depuis quelques mois. Je suis également devenue Référentepour l’enseignement de défense à l’Université. Je gère également plusieurs projets de recherche pluridisciplinaires, dont certains en partenariat avec le Ministère des Armées. Ainsi, je n’ai pas réalisé la vocation qui est à l’origine de mon entrée à l’IEP, mais j’en ai trouvé une qui me correspond et qui me permet même de revenir quelque fois sur les bancs de l’IEP… dans le rôle du prof cette fois !
Delphine DESCHAUX-BEAUME
Afficher
son courriel