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« Ambassadeur puis magistrat »

 

Yann HWANG (1988 SP)

Pourquoi l’IEP Grenoble ? Ton nom est de quelle origine ?

Je suis né en 1967 à Grenoble d’un mariage mixte. Mon père, migrant d’origine chinoise, avait trouvé un travail dans un cabinet d’architecte qui recrutait en masse pour les constructions des jeux olympiques d’hiver de 1968. J’ai fait mes études secondaires au Lycée Stendhal puis, au moment de rentrer à l’Université, ne sachant pas quelle était ma vocation, j’ai opté pour l’IEP Grenoble surtout pour ne pas m’éloigner de mes montagnes. Bien que franco-chinois (ma mère était du nord de la France), je me suis toujours étrangement senti, avant tout, un Alpin. Une conseillère d’orientation m’avait indiqué que l’IEP permettait d’ouvrir les champs du possible. C’est là que je me suis dit que servir l’Etat aurait du sens bien que je ne fusse pas d’une famille de fonctionnaires. Me laissant entraîner dans un courant improbable, mais toujours avec comme règle de faire confiance au destin, sans calcul ni préméditation, j’ai fini par œuvrer 32 ans pour la diplomatie française.

Comment es-tu devenu diplomate après l’IEP ?

C’est le hasard. En regardant dans le rétroviseur, je réalise que ma vie professionnelle a été un cheminement sans but vraiment précis. A chaque changement, une porte s’ouvrait et je l’ai franchie. J’ai pris un risque. Je suis ainsi entré, en 1991, au Ministère des affaires étrangères au hasard d’un rang de classement à la sortie de l’IRA de Lyon qui me permettait d’intégrer une administration centrale. Une seule place était offerte au Quai d’Orsay et je l’ai prise. Au départ pour y effectuer des tâches de gestion pour lesquelles j’avais été formé. Peu de temps après mon intégration, le Ministère offrait la possibilité aux attachés d’administration centrale de partir à l’étranger sur des fonctions de diplomate. J’ai saisi cette opportunité en partant une première fois en Ambassade en Afrique du sud, dans une période fascinante puisque Nelson Mandela dirigeait le pays de l’après apartheid. Je suis revenu dans cette région du monde quelques années plus tard, en Namibie, pour y exercer des fonctions de premier Conseiller à l’Ambassade de France.

Quels sont les postes où tu as été le plus épanoui ?

Sans réserve, c’est sur les questions de désarmement. Elles m’ont accaparé près de 20 ans. En réalité, ce sont ces affaires dites stratégiques qui ont été le fil conducteur de ma carrière de diplomate. La diplomatie multilatérale m’a passionné dès ma première affectation à Genève en 2001-2005 et j’ai pris un plaisir infini à négocier sans fin, jour et nuit, dans les grandes salles des organisations internationales. Par la suite, à l’Union européenne, à l’ONU, à Vienne, à Genève ou New York, j’ai défendu les intérêts de la France, comme simple délégué d’abord au sein des missions permanentes de la France, puis comme Ambassadeur. Le droit international se fabrique par des diplomates très spécialisés. C’est une technique et un métier spécifiques qui exigent une assimilation de dossiers parfois très complexes mais surtout, la capacité de sentir les dynamiques de négociation parfois avec un nombre élevé de pays (jusqu’à 193 à l’ONU). Il faut aimer à la fois se mettre en scène, les micros, mais aussi ce qui se passe dans les coulisses. C’est un métier qui nécessite, avant tout, de chercher à comprendre l’étranger avant d’essayer de le convaincre et savoir dégager des solutions de compromis. Il faut respecter l’autre mais aussi se faire respecter. Pour cela, il importe d’être irréprochable sur le fond. Être diplomate, c’est un beau métier car c’est œuvrer pour éviter la violence entre les Etats qui, tous, ont une représentation différente du monde tel qu’il est et tel qu’il devrait être.

Graduellement, du fait de mon expérience et de ma réputation dans les chancelleries mondiales, des responsabilités m’ont été confiées dont celles de présider des négociations sur des questions de prolifération (armes biologiques) d’encadrement de nouvelles technologies d’armement (autonomie dans les systèmes d’armes) ou encore de coordonner les travaux des Etats dotés de l’armes nucléaire dans le cadre du Traité de Non-Prolifération nucléaire. La question nucléaire militaire a d’ailleurs été au centre de mon activité professionnelle durant les dernières années.

Ton parcours est-il classique au Quai d’Orsay ?

Tous les parcours sont variés. Ils présentent des aspects différents et beaucoup de métiers différents peuvent y être exercés, comme le métier consulaire qui est très intéressant. J’estime, en ce qui me concerne, que la chance a toujours été de mon côté. Quand on exerce ce métier, une crise est une opportunité d’exister. En poste à la mission française auprès de l’OSCE à Vienne, j’ai eu à participer aux premières négociations de stabilisation du Donbass. C’était de 2011 à 2014. A Paris, sur des fonctions de sous-directeur en charge du désarmement de 2015 à 2018, j’ai eu à traiter la question des attaques à l’arme chimique en Syrie. A Genève, comme Ambassadeur représentant la France à la Conférence du Désarmement et dans les enceintes de désarmement ou à l’Assemblée générale des Nations Unies à New York, j’ai eu à traiter la question russe dans ces organisations alors que l’Ukraine venait d’être agressée militairement. Tout cela n’était pas prévu pour ainsi dire.

Tout le monde peut-il faire ce métier ?

Je ne crois pas, honnêtement, que tout le monde peut y éprouver du plaisir. Pour ma part, diplomate, je l’ai toujours été mais je l’ignorais avant d’exercer ce métier que je n’ai pas choisi au départ. C’est plutôt l’inverse. Aussi, je suis désormais convaincu que hasard et destin sont finalement les deux faces de la même pièce.

Quels conseils donnerais-tu aux étudiants actuels ?

Je ne sais pas à quel titre je donnerais des conseils. Modestement, je leurs conseillerais de penser librement. De dépasser les cadres conceptuels classiques. Je les encouragerais à voyager pour comprendre, à beaucoup lire et, surtout, à prendre le temps de vagabonder en dehors des sciences politiques afin de fertiliser la pensée d’autres disciplines essentielles pour comprendre le monde (philosophie, droit, psychanalyse, neurosciences, physiques, mathématiques, etc.). Je leurs aussi dirais qu’exercer une activité artistique procure la véritable liberté. Je pense aussi qu’il importe de cultiver précieusement, non pas des « réseaux » (je n’aime pas cette notion même si ce phénomène existe), mais de ces amitiés très spéciales qu’on se fait à 20 ans et qui, bien entretenues, se révèlent constituer des étayages précieux pour avancer face aux difficultés de la vie.

Pourquoi cette bifurcation dans ta carrière ?

Le hasard (ou le destin), encore lui, m’a fait rencontrer des magistrats pour qui j’avais une certaine fascination. Ayant atteint beaucoup de mes objectifs au Quai d’Orsay, j’ai décidé de tenter une nouvelle expérience en me frottant aux réalités de la société française. 32 ans de diplomatie produisent en effet une réelle déconnection, voire un déracinement, procurent un certain malaise qui est de représenter un pays qu’on finit par ne plus réellement connaître. J’ai donc décidé de tenter un détachement dans la magistrature où je vais exercer des fonctions au sein d’un parquet général. La justice pénale est au cœur du bon fonctionnement d’une société et j’aurai plaisir à y contribuer. C’est un nouveau défi. Même à 56 ans, il faut savoir déjouer l’attendu.

Portrait réalisé par Moira BIAUX (Bachelor 2023)

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27/02/2024

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