Claire
POLO, TSD 2009
Certifiée de Sciences Economiques et Sociales,
Docteure en Sciences de l'Education,
Post-doctorante à Lyon
Ce que je ferai quand je serai grande
On nous demande de plus en plus tôt ce qu'on aimerait faire comme métier, et il faut sans cesse affirmer un « projet professionnel » cohérent et ambitieux, alors même que l'accès à l'emploi est plus compliqué, pour la plupart d'entre nous, qu'il ne l'était pour nos parents. On a donc, de fait, à la fois moins de prise sur le choix des expériences professionnelles que l'on peut vivre, et davantage la liberté (et/ou la nécessité) d'explorer des choses différentes au cours de notre « carrière ».
J'ai l'habitude d'essayer de dédramatiser un peu tout ça en disant aux étudiants et étudiantes que j'ai en cours à l'université que ce n'est pas grave de ne pas savoir ce qu'on veut faire, et pour preuve : moi, je ne sais toujours pas ce que je ferai quand je serai grande, et je me porte très bien. Bien sûr, je parle d'une position assez confortable, très diplômée et fonctionnaire de l'éducation nationale. Et puis j'exagère un peu : j'ai quand même une idée (et même plusieurs) de ce qui m'intéresse vraiment, de ce qui ferait sens pour moi de poursuivre ou d'initier... ou non. Mais il faut bien avouer que, comme diraient des copains hispanophones, « el camino se hace andando ». Bien souvent, dans ma vie, j'ai eu le privilège de pouvoir « papillonner », et m'investir avec insouciance dans une activité qui attirait mon attention, ma curiosité, avant même de bien comprendre pourquoi. Quand je regarde en arrière, je mesure ce que toutes ces expériences m'ont apporté, ce qu'elles ont de complémentaire, et combien il aurait été néfaste de m'auto-censurer pour pouvoir arborer un CV linéaire supposé conforme aux attentes des employeurs. Si j'ai donc un message à adresser aux futures ou nouvelles et nouveaux diplômés, c'est de faire avant tout ce qui vous plaît vraiment, et de ne pas hésiter à démultiplier vos espaces et modes d'expérience et d'apprentissage... La cohérence viendra d'elle-même, dans ce que vous choisirez d'en retenir.
L'éducation, un tournant ?
Je dis souvent que j'ai opéré un tournant, après l'IEP, en 2010, en choisissant de m'engager dans le domaine de l'éducation. Ça a le mérite d'être un message facilement audible, et qui reflète très bien quel point ce virage a été un choix fort, pour moi. Il est lié à une croyance sincère dans le fait que l'éducation est clef pour construire le monde de demain, et, je l'espère, un monde un peu meilleur. C'est aussi la prise de conscience que c'est là que je me sens à la fois la plus à l'aise et la plus utile. Mais, en fait, il s'agit bien d'une forme de « vocation » (si ça existe...) qui prend ses racines dans certains éléments de mon parcours bien avant ma 23ème année, en dehors et dans l'IEP.
J'ai fait mon stage de 3ème dans une maison accueillant des enfants placés pour des problèmes familiaux ou de comportement. Dès 17 ans, je passe le BAFA, et, pendant toutes mes études, je profite des vacances universitaires pour animer des colonies de vacances, où je suis comme un poisson dans l'eau. Je suis boursière et je profite de mon solide bagage de baccalauréat scientifique obtenu avec une mention très bien pour donner quelques cours particuliers de mathématiques (!), pendant mes premières années d'étude, et ainsi compléter un peu mon budget. Pendant mon année à l'étranger, au Mexique, je fais un service social dans un internat public. Rien de tel pour l'apprentissage d'une langue que le test de comprendre ce que raconte un enfant de 8 ans qui pleure dans une cour d'école pendant que 10 autres de ses camarades s’attroupent pour donner leur propre version des faits... Avec le temps, je commence à avoir un peu une « vision pédagogique », même si elle n'est pas formalisée, et certaines exigences sur les projets auxquels j'ai envie de participer. Une copine animatrice me parle d'une association d'éducation populaire, Les Petits Débrouillards, qui fait de la médiation scientifique, et je m'y engage à mon retour du Mexique. J'y suis une formation à leurs méthodes d'animation, et j'arrive à un moment-clef où le public de l'asso s'élargit aux adolescents et jeunes adultes, et son objet aux relations entre science et société... En parallèle, je fais partie de la toute première promotion de la spécialité de master, « Techniques Sciences Démocratie », où on aborde certaines de ces questions aussi, mais de façon très différente. Mon stage de M2, au CEA, sur la création d'un espace visiteur grand public à Minatec, mobilise aussi, de fait, des compétences de médiation apprises « sur le tas », mais dans un univers où la dimension de communication prévaut sur la dimension éducative. C'est la période où je commence à penser sérieusement à m'orienter vers un doctorat, à l'époque en sociologie des sciences, mais je n'obtiens pas de bourse. Le choix du CAPES de Sciences Economiques et Sociales est assez naturel. Un jour, via Les Petits Débrouillards, j'apprends qu'on recherche un candidat pour une thèse financée, sur des activités ressemblant à celles que j'anime, sur mon temps libre. En lisant la description de l'annonce, je me dis que c'est peut-être enfin l'occasion de faire se rencontrer des compétences et intérêts que j'ai jusque là développés de façon séparées, mon parcours académique d'un côté, et mon engagement associatif d'autre part. On demande une formation en sciences de l'éducation ou sciences du langage, mais je postule, au culot. Et, finalement, on me donne ma chance, tant pour mon niveau d'études que pour mon expérience de terrain. D'ailleurs, pour la thèse et jusqu'à aujourd'hui, les deux me sont très utiles. Et j'essaie autant que possible de continuer à être active aussi dans des structures d'éducation populaire.
Et puis, l'éducation, et le langage, tout ça... ça serait pas un tout petit peu politique, quand même ?
Ce que m'a apporté l'IEP
En vrac, parce que ça pourrait être long
:
- une habitude de l'interdisciplinarité, une capacité à
m'adapter rapidement à une nouvelle tradition de travail, à
« entrer » dans un sujet nouveau facilement ;
- des bases solides pour comprendre (ou au moins essayer de comprendre)
l'organisation de la société et la géopolitique actuelles
;
- une capacité à voir les enjeux politiques d'un problème
donné, d'une situation, et l'assurance nécessaire pour me
construire une opinion à ce sujet, et la défendre, l'habitude
de disserter, à l'écrit et à l'oral ;
- des méthodes d'investigation formant une vraie initiation à
la recherche en sciences sociales, notamment grâce aux cours propres
à la section PES, et aux mémoires de 3ème année
et de M2 ;
- un « bon point » sur mon CV qui donne de moi un a priori
positif, comme le passage par toute grande école ;
- un cadre permettant d'aller vivre des expériences riches ailleurs,
tout en gardant une continuité dans mes études (année
à l'étranger, stages...)
- des rencontres, riches humainement et intellectuellement.
Aujourd'hui
Aujourd'hui, j'ai la chance d'avoir obtenu de la part du laboratoire d'excellence ASLAN, à Lyon, un CDD de 2 ans (jusqu'à septembre 2016) pour effectuer le projet de recherche que j'ai proposé, sur la construction multimodale du savoir dans les interactions entre élèves. Là encore, il y a rupture et continuité avec mon travail de thèse, et, surtout, une forme de complémentarité.
Je travaille, au niveau global, sur les mêmes situations d'apprentissage que celles que j'ai étudiées pour mon doctorat, à savoir des cafés scientifiques juniors réalisés dans dans plusieurs pays. Il s'agit d'une intervention ponctuelle de 2h, à l'école, mais hors cursus, visant à faire débattre les élèves sur une question de société avec des dimensions scientifiques, ici la gestion de l'eau potable. J'ai participé à la conception de l'outil pédagogique, qui alterne informations de base sur la thématique, et questions complexes à discuter en groupe, puis en classe entière, et sondage des opinions individuelles par vote électronique. Sur ce format, des débats ont été organisés au Mexique, aux USA, en France, et au Brésil. Ce projet a pour moi été l'occasion d'arborer plusieurs casquettes, puisque j'ai aussi formé les animateurs et animatrices des cafés, qui se trouvent être des élèves de 15-17 ans, à peine plus âgés que les élèves participants, qui ont plutôt entre 12 et 14 ans. Aidée par d'autres membres de l'équipe, j'ai également filmé les débats, à la fois en classe entière et dans quelques petits groupes. Ces vidéos constituent le matériau de base de mon travail.
En doctorat, je me suis exclusivement intéressée à décrire finement comment les élèves se construisent une opinion et la défendent à propos des questions socio-scientifiques. En particulier, j'ai cherché à comprendre les dynamiques sociales qui influencent la façon de raisonner en petits groupes, et j'ai décrit comment les élèves exploitent différentes ressources argumentatives (savoirs, normes et valeurs, émotions) dans leurs discussions. Enfin, j'ai procédé à une comparaison des débats des différents terrains nationaux, et caractérisé le scenario argumentatif typique de chaque pays.
Actuellement, je continue à étudier ce qui se joue à plusieurs échelles (individu, groupe, classe), mais plutôt sur le plan de la construction et de l'utilisation de la ressource « savoir ». Bien entendu, des éléments de statuts divers sont considérés (savoirs scolaires, médiatiques, de l'expérience...), et d'autres phases du café sont appréhendées, notamment celles visant l'acquisition de connaissances communes permettant une base de discussion. Je cherche à suivre leur émergence puis leur trajectoire temporelle, et les transformations qui y correspondent, depuis la formation des lycéens-animateurs jusqu'à la fin du café. Contrairement à mon travail de thèse, focalisé sur le discours des élèves-participants, j'intègre ici pleinement le rôle des animateurs, important dans le processus de mobilisation et de (re)construction des éléments de savoir. Mon approche est également renouvelée par la prise en compte plus approfondie des autres modes de communication qui accompagnent le langage verbal et font partie intégrante des interactions entre élèves (gestes, manipulation d'objets, etc). L'enjeu est de comprendre quels supports et scenarios de communication favorisent l'appropriation, l'application et le transfert d'éléments de savoir, pour éventuellement formuler des recommandations pour l'enseignement et la conception de nouveaux dispositifs pédagogiques.
De plus, mon contrat prévoit qu'une partie de mon temps de travail soit consacré à la mise en place d'outils de médiation scientifique, notamment dans un partenariat entre l'ENS de Lyon et le Musée des Confluences, à Lyon.
Par ailleurs, pendant ma thèse, j'ai enseigné en licence de sciences du langage, à Lyon 2, la méthodologie, un cours très intéressant du point de vue des questions pédagogiques qu'il permet d'aborder. Je n'ai pas actuellement de charge d'enseignement obligatoire, mais il m'arrive d'être sollicitée pour intervenir dans des cours assurés par des collègues. Je vais par exemple bientôt intervenir en master de sociologie sur l'analyse des émotions.
Sur mon temps libre, je continue un travail associatif d'intervention auprès d'adolescents contre le sexisme et l'homophobie, je participe ponctuellement à des formations à l'animation ou à l'animation d'activités type forums jeunesse, et, plus rarement, à des séjours type colonies.
Et demain ?
Très concrètement, comme beaucoup de métiers de cadre actuels, je passe le plus clair de mon temps devant un ordinateur. Mais les tâches sont très variées, et je n'ai pas le temps de m'ennuyer. En plus de mes recherches de post-doc, qui nécessitent de lire toute une littérature que je ne connaissais que très peu, et beaucoup d'analyse vidéo, je suis en train d'écrire des articles pour des revues internationales afin de faire connaître mes résultats de thèse. En recherche, le parcours est long et difficile : j'ai fait les démarches pour obtenir le droit de postuler à des emplois à l'université en sciences de l'éducation et sciences du langage (qualification), et je tenterai sans doute ma chance au CNRS l'année prochaine, bien qu'il n'y ait pas de section dédiée à l'éducation... Dans tous les cas, je souhaite maintenir un contact fort avec les apprenants jeunes et moins jeunes, et il n'est pas exclu que cela passe par le fait d'enseigner les sciences économiques et sociales en lycée, même si je tiens à garder une activité de recherche.
En plus de l'ancrage de terrain, j'essaie d'alimenter ma réflexion par des éclairages de disciplines variées. Je m'intéresse tout particulièrement à l'articulation de micro-analyses qualitatives très fines avec des logiques macro-sociales. Je suis en train d'initier des collaborations avec des spécialistes des questions de genre, par exemple, pour étudier comment le genre intervient dans le rapport que l'on construit à la culture scientifique.
Mais j'ignore l'avenir, et, comme dirait ma chère
maman (même si ça n'est pas d'elle), « la vie a plus
d'imagination que nous ».
Claire POLO
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