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Yann PASTRE (ECO FI 1981), Retraité (ancien Inspecteur juridique)

L’émotion qui m’étreignit alors est toujours vivace malgré les années.

Octobre 1978, pour la 1ère fois de ma vie, je pénètre dans un amphithéâtre.
Il est immense, surchauffé, enfumé, plein à craquer de jeunes et de moins jeunes, des dizaines de gobelets plastiques blancs remplis de café sont posés sur les longues tables de bois, encombrées de paquets de cigarettes, de classeurs, de feuillets volants A4, de cahiers bientôt noircis de notes, de vêtements éparpillés.
Un brouhaha tenace mais contenu gronde et monte vers les sommets, certains de nous sont intimidés, d’autres bravaches et goguenards sourient du spectacle.
Nous sommes jeunes et beaux et si fiers d’entrer à sciences po Grenoble.
Immédiatement, le sérieux est de rigueur, on parle de « cours magistraux » de « conférences de méthode ».
Pour Les autres, c’est à dire le commun des mortels, on en restera plus simplement aux « cours en amphi et aux TD ».
Nous sommes différents et cultivons crânement notre différence, nous sommes heureux de l’être, probablement aussi un peu prétentieux.
Cependant rapidement, je vais être touché par la grâce ou du moins cela y ressemble.
Je suis conquis instantanément par la qualité de l’enseignement et des intervenants, mon ressenti est-il alors biaisé ? exagéré ? un bac G3 techniques commerciales obtenu difficilement en juillet dans un lycée technique de Valence, pourrait le laisser penser, tant le contraste est soudainement brutal.
Néanmoins, il n’en est rien car ici, il s’agit réellement d’un autre monde, où carrément du nouveau monde !
Car enfin, enfin ! je suis considéré et écouté par les enseignants, j’existe ! je sens leur passion, leur sincérité, leur patience, leur volonté de nous apprendre, de nous ouvrir l’esprit, de nous apporter une lumière qui éclaire et guide notre compréhension de la société.
Leur tâche je crois était aussi celle de nous rendre autonomes, cultivés, curieux et critiques, voire impertinents, n’est-ce-pas là l’essentiel pour un homme libre ?

Récemment, je rappelais à YVES SCHEMEIL qui officiait alors en tandem avec Patrick LECOMTE, le réel bien être qui saisissait bon nombre d’étudiants assistant aux cours passionnants de sociologie parfois tard le soir dans le plus grand des amphis.
Les deux gaillards le méritaient d’ailleurs bien !

Tout aussi remarquable, le binôme JOURDAN-LELEU, défenseurs feutrés de la 5ème République, tolérants, pondérés et impartiaux envers ces jeunes écervelés et contradicteurs que nous étions.
Estime particulière pour Mr BENSIMON le passionné d’économie, le chercheur émérite, qui nous expliqua avec force et arguments la théorie et la pratique Keynésienne, ou les tenants et aboutissants de la sur-nucléarisation française.
Je vous parle d’un temps, ou ordinateur, téléphone portable, internet, n’existent pas, pas plus que les stages en entreprise et encore moins les séjours à l’étranger.
Il est alors vivement conseillé de lire les ouvrages des listes de lecture, d’élargir ses connaissances, de parcourir la presse, fussent-elles d’opinion ou généraliste.

Il était obligatoire de travailler beaucoup, avec précision et rigueur, d’être assidu.
A défaut, la sentence tombait :
Dura lex sed lex.
Tel était le prix à payer en quelque sorte.
Pensez donc ! une moyenne inférieure à 10 en conférence de méthode et c’était l’élimination pure et simple, les plus chanceux étaient autorisés à redoubler, les autres nous quittaient définitivement.
Parfois, j’ai vraiment craint que ma note d’allemand me torpille et me coule, mais il existe une bonne étoile pour les germanophiles.

Je garde de ces années passées à l’IEP un souvenir fort, l’empreinte d’une réelle immersion dans une authentique jouvence intellectuelle qui a marqué ma vie.
Mon respect pour l’institution est tout aussi sincère.

Lors du tour de table de présentation, j’avais surpris à mon encontre quelques sourires fâcheux et condescendants d’étudiants récemment bacheliers littéraires et scientifiques surreprésentés.
Il est vrai qu’à l’époque, un bac technique avait mauvaise réputation.
Mais Il faut constamment faire ses preuves y compris parfois auprès des étudiants de Sciences Po.

Inspecteur juridique, chargé entre autres d’instruire, de gérer et de régler des dossiers corporels dans le cadre de la loi BADINTER, j’ai constamment mis en œuvre au cours de ma carrière professionnelle, les acquis et la culture spécifique à l’IEP.
J’ai également régulièrement utilisé et mis à profit l’enseignement reçu en gestion pure et en analyse financière, des centaines de fois je me suis inspiré du plan type « science po » lors d’interventions orales ou épistolaires.
Toujours et encore aujourd’hui, je ressens le respect de mes interlocuteurs, parfois même un léger agacement chez certains, envieux de notre rayonnement ? De notre image ? De notre originalité ? Convaincus du moins de l’étendu de nos connaissances pluridisciplinaires, de notre ouverture d’esprit et de notre belle histoire.

Yann PASTRE
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24/05/2024

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