Anne-Cécile
VIALLE - SP 2005
Chef de bureau-terrain UNICEF, Birmanie
Quelle a été votre trajectoire académique et professionnelle depuis votre sortie de Sciences Po Grenoble il y a 10 ans tout juste ?
A la sortie de la filière « Service Public » de Sciences Po Grenoble -à l’époque en 4 ans- après deux semestres à l’étranger (au Mexique et en Angleterre), je me suis inscrite dans un Master en Droit Public International à La Haye aux Pays Bas, avec une spécialisation en Droit Pénal International; pour profiter de la proximité de la Cour Internationale de Justice et de la CPI. Dans le cadre de cette formation j’ai été exposée à un grand nombre de cultures juridiques différentes, dans une classe comprenant plus de 15 nationalités, et des camarades qui pour la plupart avaient déjà des expériences déjà très solides en tant que juges, procureurs ou avocats.
A l’issue de mon Master je n’étais néanmoins pas intéressée par le travail de juriste, souvent cantonné dans des bureaux, ou bien au siège des organisations. Après avoir rédigé mon mémoire de Master sur la Coopération des Operations de Maintien de la Paix de l’ONU avec la Cour Pénale Internationale, mon Mémoire de Sciences Po sur la Coopération civilo-militaire, et avoir effectué mes premiers stages en ambassade et à UNVolunteers, je m’étais naturellement positionnée pour rejoindre l’ONU.
C’est en provoquant ma chance, sur base d’un profil déjà affiné dans cette direction, que j’ai rejoint l’organisation à l’issue de mon Master. C’est une annonce publiée dans The Economist pour un poste senior au sein du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (Section Post-Conflits) qui a retenu mon attention. J’ai eu l’idée de faire une candidature spontanée pour assister la personne qui occuperait ce poste, en mettant en avant mes compétences, y compris linguistiques (Anglais, Français, Espagnol, Russe). Etonnamment, quelques semaines après cette initiative, j’ai reçu une invitation à un entretien auprès de la personne recrutée. Et c’est ainsi que j’ai mis un premier pied dans l’organisation ! J’ai été employée pendant près de 2.5 ans avec un statut de Consultante. Puis au moment ou un poste de titulaire s’est ouvert dans cette structure j’ai postulé au même titre que de nombreux autres candidats internes et externes.
J’ai passé en tout 5 ans dans cette section du PNUE ou j’ai acquis une expérience internationale d’une rare richesse à cet échelon junior de l’organisation : en étant déployée à plus de 10 reprises dans des pays post-crise (Liberia et Cote d’Ivoire en 2007, Nigeria à plusieurs reprises en 2008, Ukraine et République Dominicaine en 2009, RDC et Sud Soudan en 2010…). Pour le PNUE je suivais aussi d’autres zones de crises depuis Genève, en participant à la mobilisation et à la coordination des missions d’experts scientifiques déployés sur le terrain. Avec la confiance établie auprès de ma hiérarchie, mes responsabilités ont augmenté et j’ai obtenu la charge d’un programme de coopération à établir avec le DOMP –Département des Opérations de Maintien de la Paix- et un portefeuille sur les questions légales de protection de l’Environnement durant les conflits. Deux publications du PNUE que j’avais coordonnées ont poussé à l’inscription du thème de « la protection de l’environnement durant les conflits armés » sur l’agenda officiel de la Commission du Droit International (qui rédige les premiers jets de futures Conventions internationales), et à l’établissement d’une politique environnementale pour les Operations de maintien de la paix de l’ONU (à ce jour dans le monde 90’000 troupes, plus de 12'000 policiers et 17’000 personnels civils déployés avec une impressionnante logistique très gourmande en énergie). Avec le fort engagement pour l’Environnement du nouveau Secrétaire General des Nations Unies, Ban Ki-moon, c’était une période ou « on surfait sur la vague ». Mon équipe avait même reçu le prix « UN 21 Awards » décerné par le Secrétaire General au personnel menant des projets innovants.
Après 5 années riches en expériences exaltantes aux quatre coins de la planète et au contact de la diplomatie de siège à Genève, j’ai voulu compléter mon profil avec un vrai vécu terrain au combien nécessaire et légitimement attendu d’un fonctionnaire onusien. J’ai candidaté auprès de plusieurs organisations sur tous les continents, et j’ai finalement rejoint l’UNICEF en 2011 en République Démocratique du Congo, avec ses larges besoins et opérations en cours (dernier pays sur l’Index de Développement Humain en 2011). J’ai eu la chance d’intégrer au sein de l’UNICEF, et par la porte de l’Environnement, le plus gros et sans doute un des plus sophistiqués programmes WASH de l’organisation au monde (WASH : « Water, Sanitation and Hygiene »). Au cours de mes 3.5 années passées au sein de l’UNICEF RDC j’ai été exposée à de nouveaux défis professionnels et humains, partie d’une « dream team » extrêmement dynamique et poussée vers l’excellence en termes de programmation, suivi et réajustement des programmes, afin de maximiser la qualité et la durabilité de leur impact. Mon poste de chargée d’assurance qualité exigeait des allers-retours permanents entre le terrain, nos 13 sous-bureaux provinciaux et le bureau national basé à Kinshasa. A la capitale je devais également répondre aux inquiétudes et exigences légitimes des bailleurs de fonds vis-à-vis des multiples risques à opérer dans ce pays, et proposer des ajustements qualitatifs au programme. Dans cette fonction, j’ai eu l’opportunité de voir de mes propres yeux l’impact de notre contribution collective à l’amélioration des conditions de vie de millions de congolais, gagnant l’accès à l’eau potable et à l’assainissement. Cette expérience au Congo m’a aussi permis d’être quotidiennement exposée aux autres composantes humanitaires et de maintien de la paix de l’ONU largement présentes au Congo. Cet engagement professionnel extrêmement dense et intense, l’a été également sur le plan de la solidarité humaine multiculturelle que l’on vit au sein des bases reculées de l’organisation. A tel point qu’il a été difficile de me résoudre à passer à une autre étape de ma carrière, et à quitter le Congo en Octobre dernier.
Forte d’une bonne connaissance de la machine UNICEF, j’ai souhaité capitaliser sur ces compétences et m’engager pour une autre affectation avec cette agence très opérationnelle de l’ONU (orientée terrain), complémentaire de la nature dite plus « normative » du PNUE (orientée politiques publiques et standards internationaux). Toujours guidée par la curiosité, j’ai candidaté à des postes d’une nouvelle nature pour acquérir une compétence supplémentaire : la gestion d’un bureau-terrain et d’une équipe multidisciplinaire (dans les domaines de compétences de l’UNICEF : santé, WASH, éducation, protection de l’enfance). La première opportunité qui s’est présentée fut la Birmanie et je l’ai saisie. Me voici donc depuis Octobre 2014 en poste comme Chef de bureau-terrain de l’UNICEF couvrant 3 Etats dans le Sud-Est de la Birmanie, et découvrant une région qui m’était jusqu’à-là inconnue.
Comment se déroule une journée type dans votre poste actuel de Chef de bureau-terrain de l’UNICEF en Birmanie ?
Cette année est une année cruciale dans la transition « démocratique » engagée par le pays à partir de 2011 avec l’instauration d’un Gouvernement partiellement civil : des élections générales auront lieu en Novembre et les parties au conflit armé depuis 50 ans sont sur le point de signer un Accord de Cessez-le-feu permanent. Dans ce contexte, notre mission au sein de l’UNICEF est d’accompagner le Gouvernement dans cette transition, y compris dans la décentralisation de la gestion des secteurs sociaux et de nouvelles formes de gouvernance « ascendante » (peu familières de l’administration héritée de la junte), en portant une attention particulière aux enfants les plus vulnérables souvent localisés dans les espaces les plus difficiles d’accès et contrôlés par les groupes armés non-étatiques.
Il n’y a pas de journée « type » sur le terrain, car tout surgit systématiquement à la dernière minute, étant donné que nous sommes « au bout de la chaine », sur la ligne de front de l’organisation ; nous devons donc faire preuve de rapidité de jugement, de réactivité et d’adaptation. Pour vous donner un exemple: la journée commence généralement tôt, notamment si il y a une cérémonie officielle avec parade à laquelle assister, généralement à 6 ou 7h du matin, puis arrivée au bureau vers 8h pour signer quelques documents administratifs, à partir de 9h premières réunions avec nos partenaires de mise en œuvre des projets (ONG ou Gouvernement), et éventuellement après ça visites sur site de manière aléatoire pour vérifier l’état d’avancement des projets. Le tout peut être interrompu à tout moment, par exemple comme récemment, par l’annonce de l’explosion d’une mine anti-personnelle tuant 2 enfants et en blessant gravement 3 autres; dans ces cas-là il faut tout de suite alerter le bureau-pays, proposer une procédure de réponse d’assistance aux victimes, éventuellement négocier avec les groupes armés non-étatiques l’accès, rédiger un brouillon de communiqué de presse qui sera diffusé par le bureau-pays, prévoir une visite auprès des victimes et familles.
Enfin une autre composante importante de notre travail est le plaidoyer fait à divers niveaux de la société sur des sujets parfois délicats comme le trafic humain ou la démobilisation des enfants-soldats. Pour se faire je rencontre régulièrement les Ministres de mes 3 Etats, des parlementaires, des groupes d’opposition, des militaires, et des leaders religieux ou communautaires.
Qu’est-ce que vous trouvez le plus difficile à vivre sur le plan personnel dans ce type de carrières, et quels conseils donneriez-vous à ceux qui veulent s’engager comme vous ?
L’isolement. En tant que personnel des Nations Unies sur le terrain -comme d’ailleurs pour beaucoup d’autres organisations d’aide- on vit dans des régions forcément « à problèmes », dans des conditions de vie parfois précaires, notamment lors de nombreuses missions loin de nos bases (sans eau courante, électricité intermittente, réseau de communication inexistant ou peu fiable). Du fait du petit nombre d’expatriés, du peu de divertissement localement, et souvent de la barrière de la langue, la vie sociale en dehors du travail est réduite au strict minimum.
De plus, de par la nature de notre engagement professionnel nous sommes « sur le pont » 7 jours/7, 24h/24, il n’a pas vraiment de temps-mort sur le terrain. Mais il faut bien comprendre pour ceux qui veulent s’engager dans ce type de professions, que c’est plus qu’un métier, c’est une passion, une vocation peu partageuse.
A mon avis l’élément moteur à conserver dans cette carrière est la sensibilité, malgré tout ce qui nous est donné à voir et à vivre, et le sentiment parfois de découragement. Il faut pouvoir continuer à être « indigné », à ne pas s’habituer à des états de fait, à déployer une énergie constante et inspirante pour nos équipes en « première ligne », à persister dans la quête de l’excellence des résultats en faveur des enfants.
Comment envisagez-vous la suite de votre carrière ?
Je n’ai jamais fait de plan de carrière, peut-être est-ce un tort, mais jusqu’à là j’ai plutôt trouvé que cela m’a réservé de bonnes surprises. En fait, le moment venu, au terme de la maturité d’une expérience, je suis mon intuition et mon aspiration du moment et je candidate à de nouveaux postes. Ce fut ainsi entre Genève et le Congo, puis entre le Congo et la Birmanie. Je m’assure également de me construire un profil riche en expériences diverses, autant géographiques que fonctionnelles (thématiques de travail, management), pour conserver un large éventail de choix dans l’avenir.
Je sais d’ores et déjà que ma curiosité
me portera bientôt vers des aspirations nouvelles, peut-être
vers d’autres régions du monde, un passage par le siège
de l’organisation, ou bien un retour en France pour un tournant
de carrière. Je ressens déjà l’envie de servir
mes compatriotes, mon pays, comme lui m’a servi dans mon accès
à l’instruction et à la santé. Alors pourquoi
ne pas lui faire bénéficier de mon expérience internationale,
lui qui m’en a ouvert les portes en m’offrant une éducation
publique de qualité, notamment au travers de l’IEP. Ma fibre
« service public » de Sciences Po est toujours là !
Anne-Cécile VIALLE
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