Michel ROUSSET, promotion 1955 - retraité, Professeur émérite à la faculté de droit, Ancien Président de l'université des Sciences Sociales
En novembre 1952, boursier de la République, je me suis inscrit à la fois à la Faculté de droit et à l’institut d’études politiques ; j’ai choisi ce double cursus parce que des étudiants un peu plus âgés que moi, m’avaient fait valoir que les enseignements dispensés à l’IEP étaient en quelque sorte complémentaires de ceux que l’on pouvait suivre à la Faculté. En effet la scolarité de l’IEP, était constituée de cours fondamentaux de 25 heures et de cours à option de 12 heures qui portaient sur des matières qui venaient donner aux enseignements juridiques l’environnement social, économique, politique , historique et culturel grâce auquel ils pouvaient prendre toute leur signification.
Naturellement cela impliquait de la part de ceux qui suivaient ce double cursus un effort supplémentaire pour suivre les enseignements de l’IEP: deux heures tous les après-midi (17- 19h) une conférence de méthodes, une heure et demie par semaine, une heure de langue et enfin une séance d’éducation physique. Ces enseignements étaient assurés par des personnes venant de divers horizons ; certains venaient de la Faculté de droit ou d’autres universités, de l’administration, du secteur privé. Lorsqu’il s’agissait de personnalités extérieures, le directeur de l’IEP, le professeur André Mathiot, les présentait lors de leur premier cours, et il s’acquittait de cette mission avec beaucoup de talent.
Evidemment on peut se demander si les étudiants qui avaient comme moi choisi cette double filière savaient quels en seraient les débouchés. On ne peut pas donner de réponse générale à cette question. Certains avaient déjà une idée précise de ce qu’ils feraient parce que leur avenir était conditionné par leur situation familiale : fils de notaire, ou d’avocat par exemple. En revanche pour la plupart ce n’est qu’à la fin du cursus qu’ils étaient en mesure de savoir ce que serait leur avenir professionnel Il est clair que beaucoup se destinaient à une carrière de la fonction publique y compris par la voie royale de l’Ecole Nationale d’Administration à laquelle avait été admis un diplômé de la promotion 1951, Maurice Joubert ; j’ai d’ailleurs eu l’occasion de le rencontrer en 1993 , alors qu’il était préfet des Alpes maritimes, lors d’un diner qu’il offrait à l’occasion de la soutenance de la thèse du prince héritier du Maroc à l’université de Nice. Cependant ce n’est pas cette voie que pour ma part j’ai finalement choisie; après avoir obtenu la licence en droit et le diplôme de l’IEP, j’ai poursuivi des études de troisième cycle ; au vu des résultats obtenus dans mon double cursus ainsi que ceux des diplômes d’études supérieures de droit public et d’économie politique au cours de l’année 1955-1956, je fus nommé assistant de droit public en octobre 1956 ; désormais mon objectif c’était l’agrégation des Facultés de droit comme ce fut le cas d’autres diplômés: Jacques de Lanversin + (1953), Laurent Lucchini + (1954), Jean Marie Cotteret (1956), Yves Chalaron (1957), Philippe Chapal (1958), Claude Palazzoli + (1959). Mais j’aurai garde d’oublier le cas de deux diplômés, amis de très longue date, qui ont choisi, l’un la voie de l’ENA, Alain Dejammet (1957) élevé à la dignité d’ambassadeur de France, et l’autre, Benoit Aubenas (1956) dont la carrière européenne s’est achevée comme ambassadeur de l’Union Européenne en Afrique.
Mon attachement à l’IEP, c’est également un attachement à ceux qui l’ont dirigé ou qui y ont enseigné; j’ai déjà mentionné le directeur André Mathiot, décédé en 1991, qui avec Georges Lavau et Claude Albert Colliard, doyen de la Faculté, eux aussi disparus à peu près à la même époque, constituait, chacun dans sa spécialité, une équipe d’enseignants émérites au sens plein du terme et dont je fus l’assistant. Lorsque en 1957 le professeur Mathiot fut appelé à la Faculté de droit et des sciences économiques de Paris se posa la question de sa succession à la direction de l’Institut; pour ceux qui connaissaient le corps enseignant facultaire un nom s’imposait, celui du professeur Georges Lavau, constitutionnaliste et politiste reconnu. Mais ce ne fut pas le choix du Conseil de perfectionnement et de direction de l’Institut qui lui préféra, pour des raisons qui n’avaient rien à voir avec sa compétence incontestable, un jeune agrégé de droit public nommé à la Faculté en 1956 après avoir effectué en Algérie un séjour de quatre années dans le cadre de la coopération culturelle: le professeur Jean louis Quermonne. A la direction de l’IEP il incarna celui-ci pendant de nombreuses années, assurant son développement et son renom. En 1966 il eut la responsabilité de son installation sur le campus de Saint Martin d’Hères et de la construction de ses nouveaux locaux. Sa disparition en janvier dernier m’a rempli d’une grande tristesse car je lui devais beaucoup; sans doute mon directeur de thèse était le professeur Mathiot, mais son éloignement à Paris ne rendait pas les rapports très aisés et lorsque je rencontrais des difficultés dans la rédaction de ma thèse je me tournais naturellement vers Jean louis Quermonne dont la disponibilité ne m’a jamais fait défaut et qui m’était évidemment d’un grand secours. Aux côtés du professeur Mathiot et du Doyen Colliard il fit naturellement partie du jury de la thèse que je soutins en Juin1959 dans la salle des actes au rez-de-chaussée de l’Institut 1 rue Général Marchand. Après vingt-trois mois de service militaire (7° BCA,Bourg Saint Maurice, Ecole militaire de Cherchell en Algérie puis six mois en poste près de Sidi Bel Abbes, j’ai pu revenir en Métropole d’abord au centre d’instruction du 16° Bataillon d’infanterie à Arras, puis en août au Service d’Information et de Cinématographie des Armées à Paris ce qui m’a permis de me représenter au concours d’agrégation devant un jury présidé par le doyen Vedel et qui comportait un conseiller d’Etat et trois professeurs de droit dont le doyen Colliard. Reçu à ce concours c’est Jean Louis Quermonne qui me conseilla de choisir le poste de la Faculté de droit de Rabat où je devais être détaché au titre de la coopération culturelle franco marocaine. Et finalement c’est à ce moment-là, dix ans après être entré comme étudiant à l’IEP, que s’est ouvert pour moi ce qui devait être - et qui est toujours - ma carrière universitaire marocaine parallèle à ma carrière universitaire grenobloise dont témoigne l’ouvrage publié en 2000 par les Presses Universitaires de Grenoble et les Editions La Porte de Rabat sous forme de Mélanges en mon honneur : Indépendance nationale et système juridique au Maroc, qui reprenait les actes du colloque qui s’était tenu à la Faculté de droit de Grenoble au printemps 1998.
Mohamed Amine Benabdallah et Michel Rousset
Je dois enfin indiquer qu’outre les activités d’enseignement
que j’avais assurées en poste au Maroc, puis en mission, dans diverses
universités (Rabat, Fez, Casablanca) et à l’Ecole Nationale d’Administration
de Rabat, la participation à de très nombreux colloques et la rédaction
de nombreux ouvrages concernant le droit public du Maroc, j’ai eu l’honneur
d’être consulté pendant plus de vingt ans par le ministre d’Etat à l’intérieur
Driss Basri, ancien étudiant devenu un ami, sur les problèmes d’administration
territoriale, ainsi que par le Roi Hassan II aux côtés du doyen Georges
Vedel. Révisions constitutionnelles, création des tribunaux administratifs,
privatisation des entreprises publiques .La dernière entrevue avec le
Roi eut lieu au printemps 1999 ; elle concernait la question de l’autodétermination
au Sahara qu’il avait décidé d’abandonner devant l’impossibilité d’obtenir
la reconnaissance de la qualité de saharoui aux membres des tribus qui
s’étaient réfugiés au Maroc pour fuir la domination espagnole et qui de
ce fait n’auraient pas pu participer au scrutin d’autodétermination. Il
devait décéder quelques semaines plus tard.
Michel ROUSSET
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08/11/2021