Gabriel
COULET (étudiant en 1ère année à Sciences
PO Grenoble)
D’où viens-tu ?
Je suis né en 1994 à Clamart (92) en banlieue parisienne, avec une mère consultante en maîtrise des risques et un père opérant dans le management commercial international. Je suis l’aîné de trois sœurs qui sont chacune arrivées à deux ans d’intervalles.
Ton parcours depuis l’enfance : scolaire, sportif, personnel
J’ai d’abord vécu à Versailles, puis à Lyon. Finalement, nous avons atterri à Chamonix Mont-Blanc, parce que ma dernière sœur étant bébé, était sujette à des problèmes respiratoires en ville, et devait grandir dans un « air plus pur »! C’est donc par la force des choses que je me suis retrouvé à la montagne, à 6 ans, tel un vrai touriste.
J’ai commencé le ski de compétition à cet âge-là (ce qui constituait déjà un lourd retard technique par rapport aux autres skieurs!). En rattrapant petit à petit le niveau, j’ai intégré la section « Horaires sportifs aménagés » du collège de Chamonix. Et puis j’ai finalement passé le Grand cap des petites catégories au monde des seniors (courses FIS = courses internationales de haut niveau, sans limites d’âge pour la participation), en intégrant à 15 ans la section Sport/Etudes du Lycée du Mont-Blanc (lycée de 2000 élèves situé à Passy, Haute Savoie).
Sportivement, l’arrivée dans les années lycées est un grand cap à passer, et un couperet très aiguisé je dirais. On sort des petite courses de jeunes, avec des catégories regroupant deux années d’âges dans lesquelles chacun trouve sa part du gâteau lors des multiples étapes des Championnats de France, pour plonger dans le monde de la FIS. Techniquement, on peut faire des courses avec les meilleurs du monde, aucune limite d’âge ni de niveau sur ces courses. Les mieux classés partent devant, et les jeunes partent à la fin. Le principe est de progresser dans le classement à mesure des courses et des années, mais certains n’émergent jamais. Et chaque année, le tri s’opère, ceux qui n’ont pas le niveau n’obtiennent pas de place dans un groupe d’entrainement pour l'année suivante (type équipes de France, regroupements régionaux), et sont écartés du système. Parmi les 40 entrants de mon année d’âge il y a 5 ans, nous ne sommes plus que 7 sur le circuit.
Scolairement, l’aménagement Sport/Etudes
nous a permis (ou contraint ?) de passer notre Bac en 4 ans, afin d’être
libéré l’hiver. Dans ce pôle Espoir, pas de
cours l’été, un programme plus dense sur les horaires
scolaires habituels suffisait. Au pôle France d'Albertville (dans
lequel j’ai refusé d’aller, pour des raisons logistiques
et d’affinités), 6 semaines de cours sont suivies entre Juillet
et Aout.
Comment en tu arrivé là ? Quelles ont été tes motivations ?
A vrai dire, je n’ai envisagé l’IEP que très tard, pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce que je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire, mais surtout parce que les portes académiques ouvertes à des sportifs de mon genre semblent très restreintes. Malgré un Bac S ou ES en poche et un bon niveau scolaire pour la majorité des skieurs, nous sommes généralement contraint d’aller à l’IUT d’Annecy ou en STAPS à Chambéry ou Grenoble (qui proposent des aménagements).
C’est tout simplement un ami de ma classe au Lycée, pratiquant le ski de fond à haut niveau, qui un jour m’a dit « Hé, viens passer le concours de Sciences Po, t’as rien à perdre », et je me retrouvai sur les bancs d’amphis à disserter sur la langue de bois.
J’ai d’abord été sur liste d’attente, puis admis, tout le dilemme à partir de ce moment, était de savoir comment allier le sport et les études…
Quelles difficultés dans ton parcours ? N'est-ce pas difficile
de ne pas pouvoir assister à tous les cours de Fanny Coulomb par
exemple ? Comment se passe la conciliation de ces deux parcours exigeants ?
Lorsqu’on atteint ces niveaux sportifs et scolaires à la fois, on se rend compte qu’il faut concilier deux jobs à plein temps pour que tout rentre en 24h chaque jour de l’année. Sportivement, préparation physique et ski quotidiens de Juin à Novembre, puis courses de skis et entrainements quotidiens de Novembre à Avril. Scolairement, 24 semaines de cours concentrées entre Septembre et Avril. A mon arrivée dans l’école, l’administration me propose cet aménagement : « Autant d'absences que nécessaire pour les contraintes sportives, mais impératif de valider tous les crédits et examens comme les autres, pour valider l'année. Si des matières ne sont pas validées cette année, elles devront être repassées l'an prochain ». Un contrat dur, mais juste.
Autant dire que je n’avais pas très envie de revenir l’année prochaine pour repasser 2 ou 3 matières manquantes. C’est pourquoi depuis le début de l’année, je me dois de pousser le curseur à 100% sportivement et scolairement pour tenir le choc, et valider les objectifs de deux côtés.
La difficulté principale, c’est l’absence omniprésente (si je peux me permettre). Je me suis plusieurs fois retrouvé à préparer des exposés, ou des contrôles pour le lendemain à partir de sujets dont je n’avais jamais entendu parler la veille. Mais en tant que sportifs, je pense que nous avons acquis certaines compétences propres à notre situation. En 5 années, nous avons appris à être très autonomes, et à gérer notre temps de travail de manière à l’optimiser au maximum. En somme, ce sont nos contraintes quotidiennes qui ont développées chez nous des atouts efficaces pour est prêt le jour J, à chaque fois, dans tout domaine.
Enfin, je pense que nous sportifs, possédons
deux atouts majeurs pour nous en sortir en situation d’examen dans
les études. Tout d’abord, la gestion du stress. La sensation
de stress est directement lié à l’inconnu et à
ce que l'on redoute. D’un côté, je m’élance
dans une Descente, atteignant parfois les 120 km/h, avec des sauts, des
virages où l’on prend 2 à 3 G, des jeux d’ombres
et de lumières, tout cela avec la nécessité de skier
sans fautes et le plus rapidement sur 2 minutes ; et de l’autre,
une copie, trois questions et 4 heures de temps pour y répondre…
Alors, où suis-je stressé? Je dois bien avouer que je ne
ressens aucune pression lorsque je passe un examen scolaire, ce qui est
très pratique. Et tant que je ne me fracture pas le fémur
lors d’une « dissert », je garderai toujours ce petit
plus.
Ensuite, et c’est un atout spécifique aux skieurs alpin,
le développement très poussé de la mémoire
visuelle. Avant de s’élancer dans un tracé, nous faisons
une « reconnaissance », c’est-à-dire une descente
en dérapage entre les portes, pour mémoriser toutes les
caractéristiques du parcours. Et ce rituel se répète
à peu près 250 fois dans l’année, entre courses
et entrainements. Etre capable de réciter par cœur et pendant
plusieurs jours un tracé reconnu il y à 15 minutes dans
un temps limité de 15 minutes, ça rend la vie facile pour
les révisions non ?
Des moments de doutes et d'hésitations dans ton parcours ou au
contraire ?
Bien sûr, lorsqu’on reçoit en Septembre les deux programmes sportif et scolaire, on se demande comment on va bien pouvoir faire. Mais à mesure que le temps passe, on s’acclimate, on s’adapte et on évolue pour gérer les échéances le mieux possibles. Inconsciemment on développe encore plus nos capacités d’autonomie et d’optimisation. Mais surtout, dans cette situation, il faut vivre au jour le jour, ou au maximum semaine par semaine. Se concentrer à fond sur les objectifs proches, c’est essentiel. C’est quand on essaie de tout maitriser et de tout entreprendre en même temps qu’on est dépassé, et qu’on commence à tergiverser.
Comment juges-tu ta situation aujourd’hui ? As-tu atteint
tes objectifs. Des regrets, des déceptions ?
Il est difficile pour moi de tirer conclusions maintenant. Au beau milieu de la saison sportive, au beau milieu de l’année scolaire, je suis en plein dans le « rush ». Ma situation aujourd’hui est, active. J’essaie de cocher tous les objectifs et toutes les échéances jusqu’à Avril. Et dans cette période, les sentiments de satisfaction ou de regret sont superflus. J’aurais tout le temps d’être déçu ou satisfait en Mai, pour le moment je m’engage à fond. Usain Bolt (toute comparaison avec moi exclue) ne pourrait pas te dire s’il est satisfait de son 100m après 5 secondes de courses, et il ne s’arrête pas pour y penser. C’est un peu dans cette situation que je me trouve.
Quelles sont tes perspective d’évolution dans tes études
et dans le sport ? (Passage à la catégorie / compétition
supérieure, nouvelles courses, etc)
Jusqu'ici, j’ai pu repousser toutes les barrières préjugées ou existantes concernant la conciliation du sport et des études de haut niveau. Jusqu’au lycée, le pari se tenait encore. Mais pour les skieurs alpins, le passage vers les études supérieures constitue un couperet fatal, et ils s’orientent généralement vers la facilité (STAPS ou IUT) par défaut. Aujourd’hui, je me prouve, et je prouve aux autres qu’on peut viser plus haut dans cette double situation. Avec Lucie Piccard, nous sommes les premiers skieurs alpins à entrer en première année de Sciences Po. Mais pour moi, il ne s’agit pas de faire une démonstration de vanité, de montrer aux autres sportifs toute forme de « supériorité académique ». Il s’agit d’ouvrir la voie, pour ma génération et celles à venir, pour que l’alliance du sport et des études devienne une force plus qu’une contrainte dans le futur.
Si je parviens à valider mon année, je partirai l’année prochaine dans une bonne université américaine. Cette expérience me permettra de découvrir un système scolaire dans lequel la culture sportive est profondément ancrée (grosse culture du sport universitaire, horaires aménagés sur mesures, bourses athlétiques, supporters étudiants…), et ou l’association du sport et des études ouvrent de multiples perspectives, à la fois pour les étudiants et pour l’école. Un système dont les écoles et universités françaises devraient un peu plus s’inspirer à mon goût.
Un projet professionnel et / ou un plan de carrière professionnelle
? Comment te vois-tu dans quelques années ?
Tu sais, le monde du sport de haut niveau est imprévisible, en fonction de beaucoup de choses. Les décisionnaires, les contraintes de budget ; et à mon échelle, mes performances, une blessure qui peut arriver tous les jours (chaque semaine, un de mes potes se fait le genou et dit au revoir à sa saison…). Donc pour le moment, mon objectif est de continuer le plus possible à me faire plaisir en sport tout en poursuivant des études qui me passionnent. Je commence à avoir des idées pour plus tard, du Conseil, peut-être dans le domaine du Management, ou peut-être même du Management Sportif.
Mais, à chaque année ses objectifs, à chaque objectif validé en Avril de nouvelles perspectives. Dans ma situation, il n’y a pas un chemin tracé, il n’y a même pas un choix de chemin tracés, je trace mon chemin, et c’est ça qui est très excitant.
Objectifs, projets, ambitions rêves ? Avec le contexte des JO notamment
: est-ce que tu t’es passionné pour les JO devant la télé
? Est-ce que tu t’identifies aux athlètes ? Est-ce que tu
t’imagines y participer un jour ?
Ah, la limite entre l’objectif et le rêve sportif, qu’on cherche toujours à repousser plus haut, pour que nos rêves d’hier soient nos objectifs d’aujourd’hui et nos réussites de demain… Cette année, j’ai eu un tout nouveau regard sur les Jeux. Jusqu’à Vancouver, je les vivais comme tout téléspectateur, avec le petit plus du skieur alpin, de la passion et des étoiles dans les yeux, mais jusqu’alors cela semblait irréel.
Cette année, j’ai 5 amis très proches qui y ont participé, dont Coline Mattel médaillée de bronze en Saut à Ski. Pour trois d’entre eux, nous avons passé 4 ans dans la même classe au lycée, et pour les deux autres, ils avaient un an d’avance sur nous dans le lycée. Et c’est lorsque j’ai vu mes amis sur ces écrans de télé, avec lesquels j’ai partagé tant de choses dans « le monde réel », que j’ai eu une toute autre vision des Jeux. Un peu comme s'ils avaient recouvert ce moment magique de réalité.
Alors un objectif ?
Non, par pour l’instant, j’en suis encore
trop loin. En ski alpin, il faut être dans les 4 meilleurs français
d’une discipline pour y aller, je ne suis encore que 30ème
en Géant, et 50ème en Slalom. Mais qui sait ? D’un
objectif à l’autre, si on parvient à les valider step
by step, le rêve est toujours là pour nous tirer vers le
haut, un rêve réel.
Interview réalisée par Cyril PERNET, étudiant
en 1ère année.
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Cyril PERNET : cyril.pernet@sciencespo-grenoble.fr
26/03/2014