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« Senior Project Manager »

 

Anne-Sophie CLAEYS ép. NIVET (EPS 1996)

Pendant 10 ans, j’ai été Project Manager chez IDEAS Centre, organisation non gouvernementale suisse reconnue d’utilité publique. Après avoir complété mon cursus à l’IEP de Grenoble (EPS) par une année ERASMUS à l’Université d’Edimbourg, j’ai rejoint Sciences Po Bordeaux pour un DEA d’études africaines au Centre d’Etudes d’Afrique Noire (aujourd’hui LAM - Les Afriques en Mouvement). J’ai enchaîné avec une thèse de Science Politique sur "La France et `la politique africaine` de l’Europe - 1957-2002". J’ai décroché un poste d’ATER pendant deux ans et suis passée du jour au lendemain d’élève à enseignante : expérience particulièrement enrichissante ! Thèse en poche, je me suis retrouvée en Suisse, pour raisons personnelles (et non fiscales!). Et mon premier « vrai » travail, après plusieurs contrats de consultante et d'enseignante, je l’ai trouvé via la télé. La TSR (Télévision Suisse Romande) diffusait un documentaire sur la guerre du coton, ou comment, pour la première fois, des pays en développement parmi les plus pauvres du monde ne réclamaient pas de l’aide au développement mais une application stricte des règles du commerce mondial par ceux-là mêmes qui les avaient dessinées et qui ne les appliquaient pas (Etats-Unis et Union européenne à ce moment là, pour ne pas les citer). Mon « futur » patron apparaissait dans ce documentaire, convaincu et convaincant. Le convaincre de m’embaucher fut une autre histoire: ni économiste, ni juriste, avec une grosse valise très « académique » vue comme un peu encombrante, je ne correspondais pas particulièrement aux profils pouvant intéresser une petite boite offrant des conseils en politique commerciale et en négociation à des pays en développement, membres ou en processus d’accession à l’OMC. Ma bonne connaissance des politiques européennes de coopération et des problématiques d’intégration régionale en Afrique ainsi qu’un anglais courant et un français écrit créatif et jugé percutant ont permis de rééquilibrer un peu la balance et de me faire recruter.

Pendant 6 ans, j’ai accompagné les pays du "Cotton-4 » (Bénin, Burkina, Mali et Tchad, tous des PMA- Pays Moins Avancés), dans la revendication de leurs intérêts à l’OMC vis-à-vis de l’utilisation de subventions ayant un effet de distorsion sur les échanges de coton. Essentiellement depuis Genève, mais aussi de Washington à Bruxelles, en passant par Ouagadougou et Bamako, j'ai organisé des conférences, des plaidoyers, fait du lobbying, écrit des publications, des notes d’informations, etc…, ce qui représente la partie visible de l’iceberg. Le reste de mon travail a consisté à développer, avec mes collègues experts, des positions de négociation, les travailler avec les représentants du C-4 à Genève (missions diplomatiques), les confronter à la réalité de la négociation commerciale ou des intérêts nationaux… La magie de notre organisation est que nous sommes majoritairement payés par des pays riches pour aider des pays pauvres à négocier…contre eux (même si le clivage Nord-Sud s’atténue aujourd’hui avec l’émergence de grandes puissances du Sud, redistribuant les cartes, les intérêts en jeu et les alliances). Le Cycle de Doha était déjà commencé et aurait déjà du être fini quand je suis arrivée chez IDEAS Centre, mais 10 ans après, nous y sommes encore. Les pays du Cotton-4 n’ont pas (encore) obtenu le « level playing field » qu’ils demandent, sans compter que le marché du coton a profondément évolué en 10 ans et que de nouveaux acteurs majeurs, des pays émergents, ont fait leur apparition dans le tableau et ont modifié la donne. Néanmoins, l'action de ces pays a prouvé que les petits pays en développement pouvaient se faire entendre à l’OMC et que surtout eux n’ont pas d’alternative au système multilatéral, contrairement aux autres membres.

J’ai été pendant les quatre années suivantes responsable des projets de soutien aux pays les moins avancés et aux pays à faible revenu dans leur ensemble. L’approche d’IDEAS Centre est de contribuer à l’insertion de ces pays dans l’économie mondiale par une appropriation et une utilisation pertinente du système commercial multilatéral et de ses règles. Au delà des projets concrets, nous menons en parallèle une réflexion beaucoup plus systémique sur les grands enjeux du système commercial multilatéral. Les projets que j’ai gérés demandent beaucoup de coordination, un grand sens de l’entregent et une capacité d’adaptation aux imprévus quotidiens! Travailler avec ces pays est tout autant gratifiant que frustrant, tant les représentations diplomatiques de ces pays à Genève font elles-mêmes face à des contraintes de ressources financières et humaines et se doivent d’être présentes au sein de toutes les organisations internationales basées à Genève. De fait, leurs priorités sont donc pas toujours les notres. Au quotidien, j’ai eu la chance de côtoyer des gens de tous milieux : organisations internationales, missions diplomatiques, fonctionnaires des ministères du commerce des pays en développement, donateurs, universitaires, représentants de think tanks. J’ai tendance à définir IDEAS Centre comme un "Do tank" plus que comme un "Think tank", selon une expression empruntée à Alexandre Jardin. Nous sommes pleinement tournés vers le « policy », la recherche de solutions pratiques, de propositions orientées vers la recherche de consensus.

La polyvalence, l'ouverture d’esprit, la culture générale, les méthodes de recherche et de rédaction, d’analyse et de synthèse, Science po me les a données (en plus d’une super bande de copains). Pour le reste, j’ai appris - sur le tas et grâce à de formidables collègues - la gestion de projets (concepts, budgets, monitoring, rapports, indicateurs, évaluations, etc…). La coordination, l’organisation de réunions ou d’événements plus substantiels, et la gestion ont pris, à mon goût, un peu trop souvent le dessus sur le travail de substance ou l’écriture d’articles ou de notes d’information, activités qui se rapprochaient plus de mon "ancienne vie" à l’université. On ne fait pas ce boulot pour la reconnaissance ou le plan de carrière. Beaucoup de choses se passent dans les couloirs, où l’on est au mieux conseiller des conseillers du prince ou, au minimum, un contrepoids face à des positions que l’on considère trop radicales ou stériles. Quand on voit que nos idées circulent sans nous, là se trouve la satisfaction !

Après 10 années riches et bien remplies, j’ai décidé d’aller explorer de nouveaux horizons...

Anne-Sophie CLAEYS ép. NIVET
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13/10/2016


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