Denis DECLERCK (DESS Cadres Cult. Ter. 1997), Sous-Directeur Pilotage et Stratégie RH, Ministère de la Culture à Paris
Je réponds ici à l’invitation de Stéphane Pusateri lequel a pensé que mon parcours pouvait inspirer des étudiants en cours de cursus ou d’autres récemment diplômés. Il s’est peut-être reconnu dans une carrière qui a débuté par un CAP… d’instituteur public, lui qui m’a révélé être titulaire de deux CAP ! Nous sommes convenus ensemble, pour le regretter, que ce type de trajectoire devenait de plus en plus rare. J’espère que ce portrait contribuera à retarder leur extinction programmée.
Je suis né le 21 avril 1964 à Givors, alors petite ville ouvrière du Rhône, désormais banlieue dortoir d’une métropole lyonnaise en pleine expansion. J’ai grandi dans une famille modeste, père ouvrier, mère agent de bureau. Je dois tout à l’école de la République, mais plus largement à mes éducateurs : les instituteurs puis professeurs qui m’enseignaient la semaine, les éducateurs sportifs qui m’entrainaient les mercredis et les week-end. Je me suis construit sur ces deux piliers : sciences et lettres d’un côté, effort et camaraderie de l’autre. Des savoirs et des valeurs, le travail et l’effort comme moyens, la victoire ou la défaite en récompense, mais toujours avec l’équipe. De cette expérience fondatrice j’ai tiré quelques règles simples de management : maintenir le collectif à tout prix, donner l’exemple, et pousser chacun à donner le meilleur de lui-même.
Bachelier sans le sous, admis en Hypokhâgne avec des rêves d’agrégation de philosophie, j’ai passé le concours de l’Ecole Normale d’Instituteurs par nécessité : il fallait manger. Dans l’ultime promotion d’élèves-instituteurs payés pour étudier, parmi les derniers « hussards noirs » de la République, j’ai passé trois merveilleuses années à étudier (un peu) mais surtout à découvrir les arts vivants dans une ville, Lyon, qui offrait à l’époque ce qui se faisait de mieux en France et en Europe en matière de théâtre, de danse ou de musique. J’ai participé à l’ouverture d’un club de jazz, enseignant le jour, tenant la caisse et le bar le soir, parfois tard dans la nuit… Je décidais de m’engager dans la culture, comme dans un prolongement naturel de l’école et du sport pour ce qu’ils représentent de capacité d’émancipation, de socialisation et de construction de soi.
Directeur des théâtres de Vienne à 25 ans, (c’était possible alors, l’est-ce encore aujourd’hui ? J’en doute) puis « des théâtres et autres lieux scéniques » de Béziers entre 1992 et 1999, je perfectionne mon apprentissage. Mais je perçois aussi très vite le danger d’une routine saisonnière et des programmations qui se succèdent dans des théâtres sans artistes. J’ai envie de voir plus large, plus grand, et plus politique.
L’Observatoire des Politiques Culturelles fondé et dirigé alors par René Rizzardo avait lancé un DESS « direction de projets culturels » en partenariat avec l’IEP de Grenoble. Tous les deux mois, je passe une semaine de lecture, de conférences et d’échanges avec les penseurs de la culture de l’époque. Quelle secousse, et quelle remise en cause ! J’avais le projet de devenir directeur de la culture d’une ville, je rejoindrai finalement le ministère de la culture en avril 1999, ce dernier ayant lancé un appel national à candidatures pour le recrutement des conseillers en DRAC.
A la Direction Régionale des Affaires Culturelles du Nord Pas de Calais, je découvre le fonctionnement de l’Etat, la lente construction des décisions, et leur encore plus lente mise en œuvre. J’observe le poids grandissant des préfets dans l’appareil d’Etat, juste corolaire à la montée en puissance des collectivités. La DRAC est régulièrement prise à partie par les élus et les professionnels, elle manœuvre comme elle peut sous l’autorité d’un directeur exemplaire doté d’une haute idée du service de l’Etat, conciliant attentes locales et professionnelles d’une part, directives ministérielles de l’autre.
La réforme de l’assurance-chômage et la crise qui s’en suit (annulation des festivals de l’été 2003) m’offrent l’opportunité de rejoindre le service de l’inspection de la DMDTS (devenue DGCA en 2009). J’étais l’un des rares à connaître le fonctionnement réel de ce régime très spécifique pour l’avoir pratiqué en tant qu’employeur. Je travaille alors sur les questions économiques et sociales liées au spectacle vivant : structuration de la profession, fonds de professionnalisation, plan emploi, lutte contre le travail illégal ou dissimulé… Fin 2007, le Président de la République décide d’organiser un Grenelle du spectacle vivant pour tenter de clore la séquence. Il fallait quelqu’un pour porter le dossier : me voici coordonnateur et rapporteur général des « Entretiens de Valois », « homme d’entretien » comme je signe mes message. Au bout de trois mois intenses de travail entre organisations professionnelles, syndicats de salariés, sociétés civiles d’auteurs, représentants des collectivités territoriales et services de l’Etat, vingt propositions concrètes de réforme sont soumises à la décision …
Je ressens alors l’envie de retourner au terrain. Manuel Valls, vient d’être élu à la présidence de l’Agglomération d’Evry Centre Essonne avec le renouvellement urbain, le développement économique et l’action culturelle comme priorités du mandat. Je me plonge dans cette réalité si particulière d’une ancienne Ville Nouvelle, devenue grande banlieue au sud de Paris et dotée d’un ratio emplois/habitants à faire pâlir la capitale. Sauf que ceux-ci ne sont pas occupés par ceux-là, et que l’emploi culturel n’échappe pas à la règle. L’intercommunalité culturelle est un phénomène nouveau. Il faut inventer une approche qui ne prive pas les villes de leur rôle de proximité tout en offrant une vision supra-locale et un fonctionnement mutualisé. Nous inventons pour cela un « schéma de cohérence culturelle » mêlant acteurs publics, privés et associatifs, mais sans parvenir tout à fait à y impliquer les habitants. Expérience passionnante.
Fin 2012 je rejoins la DRAC PACA au poste de directeur-adjoint. Je vis alors ma seconde expérience de Capitale européenne de la culture, un évènement beaucoup plus réussi que les marseillais ne l’envisageaient au départ ! Au-delà de cet évènement, je m’emploie à tisser des relations de coopération entre l’Etat et les Collectivité bien sûr, mais également à aider les Collectivités à travailler ensemble. Il fallait pour cela que les différentes entités de la DRAC montrent l’exemple ! A partir de diagnostics départementaux élaborés au sein de la DRAC puis partagés avec les Préfets de département et les collectivités, nous identifions des priorités d’actions pour chaque territoire infra - régional. Les Préfets se montrent particulièrement intéressés par cette démarche qui leur permet d’inscrire la culture parmi les autres politiques de l’Etat, de sortir du coup par coup voire d’échapper au clientélisme.
Séduit par la capacité de décision et d’action des Préfets, j’aspire à rejoindre ce corps qui m’est désormais ouvert en tant que fonctionnaire détaché sur un emploi de Directeur d’Administration Territoriale de l’Etat. Retour en banlieue parisienne cette fois, à la Préfecture du Val de Marne pour y exercer la double fonction de secrétaire général adjoint et de sous-préfet délégué à la politique de la ville. Très vite l’attentat contre Charlie-Hebdo et la prise d’otages de l’Hyper-Casher focalisent l’action de l’Etat. La question sécuritaire devient centrale, amplifiée par les assassinats terroristes des terrasses de Paris et du Bataclan puis ceux de Nice quelques mois plus tard.
Les questions de sécurité sont au cœur des préoccupations du Préfet qui disposent pour cela d’un proche collaborateur en la personne de son directeur de cabinet. Désireux de prendre ces sujets en charge, je prends la direction du cabinet du préfet de Seine et Marne en octobre 2016. Ma première soirée sera marquée par une manifestation de policiers en colère devant la Préfecture, la dernière par un carambolage sans trop de gravité sur l’A5 et une simple alerte sur l’un des nombreux sites SEVESO que compte le département. A un tel poste, chaque journée compte triple, si bien que j’avais l’impression d’avoir passé 6 ans en Seine et Marne au moment de revenir au ministère de la culture en tant que conseiller chargé de la création, de l’aide aux artistes et des relations sociales au sein du cabinet de Françoise Nyssen.
Actuellement sous-directeur du pilotage et de la stratégie
RH au sein du Service des Ressources Humaines du ministère de la culture,
je m’emploie à faire en sorte que ce ministère dispose des moyens humains
et des compétences nécessaires à l’exercice de ses nombreuses missions.
J’essaie également de faire en sorte que ses agents soient aussi bien
rémunérés que dans d’autres ministères. Je manque de recul sur cette période
marquée depuis près d’un an par la pandémie et la crise sanitaire qu’elle
a entrainé. Mais je garde comme boussole les valeurs héritées de mon éducation
et de mon expérience. Et la conviction profonde qu’il faut à tout prix
maintenir l’humain au cœur du projet républicain, lutter toujours et partout
contre la déshumanisation et la dépersonnalisation de nos relations. Préserver
« quoiqu’il en coûte&nb» notre humanité mise à mal par la lutte contre la
propagation du virus, c’est pour moi la priorité du moment.
Denis DECLERCK
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05/01/2021