Mathieu BERNARD-REYMOND (PO 98)
Photographe, artiste, Mathieu Bernard-Reymond (PO 98) jongle avec la perception du spectateur. A travers ses séries intervalles ou disparitions, les plus célèbres, celles que l’on a pu voir dans Libération ou Le Monde, il interpelle, interroge, laisse rêveur ou perplexe. Il cumule également les prix, comme celui de la Montre Hermès, en 2001, mais surtout celui de la Fondation CCF pour la photographie, l’année dernière, grâce auquel il voit son travail exposé ailleurs que dans les galeries chic. On le réclame à Paris comme au Japon, mais l’homme tranquille, basé en Suisse, reste discret. Retour sur un jeune parcours prometteur.
Avez-vous appris à faire de la photographie à l’IEP de Grenoble ?
Non. C’est un peu antérieur. J’ai découvert la photographie lorsque j’étais encore au lycée. Mais Sciences-Po a joué un rôle dans cette histoire : je me suis rapproché des métiers du journalisme et du photojournalisme pendant que j’étais là-bas. J’y ai aussi découvert toutes les ambiguïtés de ce métier : le rapport à la vérité, la «texture» que peut prendre une information lorsqu’elle passe au travers d’un médium etc. Et puis, la grande ouverture sur le monde de l’enseignement dispensé à l’IEP m’a permis de rester en contact avec mes propres envies, de continuer à identifier ce que je voulais faire de ma vie. J’utilise beaucoup de choses apprises à l’IEP dans mon travail aujourd’hui, aussi étrange que cela puisse paraître. Surtout tout ce qui concerne le traitement de l’information, et sa manipulation aussi.
Après cette formation pluridisciplinaire, vous vous êtes tout de même spécialisé...
Oui. A la sortie de Sciences-Po, je suis passé juste en face, en Histoire de l’Art. J’y ai suivi pendant un an les cours de Licence, ainsi que quelques options, afin de me préparer à entrer dans une école de photographie. Et l’année d’après, je suis entré à l’école supérieure de photographie de Vevey, en Suisse romande. Là, j’ai suivi trois ans d’une formation extrêmement riche, et très originale. Sans pratiquement aucun professeur permanent, l’enseignement est fondé sur l’intervention de professionnels extérieurs. Il s’agit en majorité d’artistes confirmés, car cette formation a pour vocation de permettre aux élèves de dégager leurs propres voies d’expression au travers de l’image. A la sortie, les profils et les parcours sont très variés, du photographe de mode au photojournaliste, en passant par des démarches plus personnelles comme la mienne.
Une démarche comme la vôtre s’inscrit-elle dans une tradition d’expression artistique ancienne ? Sur quelles bases repose votre travail aujourd’hui ?
La photographie est à la fois jeune et ancienne. Comparée à la peinture par exemple, c’est encore un moyen d’expression jeune, avec des progrès techniques constants depuis ses débuts, qui ont toujours accompagné des changements importants dans les pratiques. Dans le même temps, la photographie s’est introduite dans toutes les vies, contrairement à beaucoup d’autres arts.
C’est-à-dire ?
Tout le monde photographie ses enfants, sa famille, ses amis. Nous avons presque tous une expérience, au moins en tant qu’amateur, dans cette discipline. Dans ce sens, c’est une pratique bien installée, presque une tradition. Si je devais établir des liens entre d’autres arts et ma pratique personnelle, je crois qu’il faudrait regarder du côté de la tradition picturale du paysage. Ensuite, bien entendu, beaucoup de photographes contemporains, jeunes ou moins jeunes, m’intéressent. Jeff Wall, Stephen Shore, Jörg Sasse, Joel Sternfeld, ou encore de gens comme William Eggleston, Robert Adams, Luigi Ghirri. Il y a énormément de travaux passionnants à découvrir au travers des livres et des expositions. Bien entendu, les artistes dont je me sens le plus proche sont ceux dont j’ai eu la chance d’être l’élève. Je pense par exemple à Arnaud Claass, Arno Raphaël Minkkinen et Joan Fontcuberta. J’ai une reconnaissance particulière envers ce dernier, car c’est son travail qui m’a aiguillé sur la voie que je parcours aujourd’hui. C’est une voie étroite, suspendue entre la réalité du document photographique et la fiction, l’imaginaire. Une image réussie à mes yeux doit être le détonateur d’une mini-fiction, d’une rêverie, d’une interrogation chez le spectateur.
Pouvez-vous nous présenter « Vous êtes ici » ?
La monographie que j’ai éditée chez Actes Sud, grâce à ce prix, est une sorte d’état des lieux, où j’ai mélangé trois travaux différents mais homogènes, qui, je l’espère, donnent une idée assez claire de ce qu’est mon travail.
Où vous mènent vos recherches artistiques aujourd’hui ? Pouvez-vous nous dire ce sur quoi vous travaillez actuellement ?
Actuellement, je suis en session de tirage. J’imprime
des photos pour une prochaine exposition avec des images du japon. C’est
une étape importante, que l’apparition de l’image numérique a rendu encore
plus intéressante. Pour ce qui est des images, je continue aujourd’hui
les séries que l’on trouve dans le livre. Je ne considère aucun de ces
travaux comme clos. Je travaille aussi pour une commande artistique dans
le cadre du festival International des Arts de la Mode de Hyères. Sur
le plan des travaux personnels, j’essaie de plus en plus de mêler une
attitude photographique traditionnelle avec des postures plus proches
des arts numériques ou arts plastiques.
Par Ronan LANCELOT (PO 98)
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le courriel de Mathieu Bernard-Reymond
Portrait paru dans notre magazine n°31—2004