Nadia CHONVILLE (2012 SP), Enseignante Chercheure - Université
des Antilles
Pourquoi as-tu décidé de suivre tes études dans un Institut d’études politiques ?
Je n’ai pas toujours voulu faire Sciences Po, mais j’ai toujours eu de l’ambition. Quand j’étais gamine, je rêvais de devenir chirurgienne cardiaque. Arrivée au lycée, ma passion pour les astres m’a orientée vers l’astrophysique. Mais ces premiers rêves ont été bouleversés par des rencontres que j’ai eu la chance de faire en marge de la publication de mon premier roman, Rose de Wégastrie, en 2005. J’étais au lycée, j’ai rencontré Aimé Césaire, j’ai participé à des salons du livre, et étant amenée à prendre la parole, régulièrement, j’ai pris conscience qu’on m’écoutait, qu’on s’intéressait à mon petit point de vue. La situation sociale en Martinique était difficile, et j’ai pris conscience à ce moment-là que je ne serai pas une chirurgienne ou une astrophysicienne meilleure qu’une autre, mais que mon territoire avait besoin d’intellectuelles prêtes à participer à son développement.
Si la Martinique était si importante pour toi, pourquoi partir après ton baccalauréat ?
C’est une question qui me taraude depuis le jour où je suis montée dans l’avion… Chez nous, quand on est bonne élève, on est programmée à partir. Un discours latent, depuis l’enfance, nous dit que l’excellence ne peut pas émerger aux Antilles. Le résultat, c’est que la Martinique est confrontée aujourd’hui à une terrible fuite des cerveaux, et à une baisse mécanique de sa population. On nous a appris à ne pas être fiers et fières de nous. Et pourtant… notre terre a bien porté de grands noms du vingtième siècle, lus dans le monde entier, comme Frantz Fanon ou Édouard Glissant ! Je n’ai pas vraiment eu le choix de partir ou de rester en fait. Mes proches ne m’avaient pas proposé d’alternative. J’ai fait ce qui devait être fait. J’ai fait ma prépa au lycée Jeanne d’Albret, et j’ai préparé le concours de Sciences Po Grenoble. Le réussir a été une grande joie de ma vie. Et aujourd’hui, je suis très fière d’être diplômée de cette école qui m’a donné toutes les clés me permettant de participer au développement de mon territoire.
Que fais-tu aujourd’hui ?
Je suis enseignante chercheure à l’Université des Antilles, et professeure certifiée d’histoire géographie. En parallèle de ma vie professionnelle, je participe à la vie culturelle et intellectuelle de l’île en tant que sociologue, romancière, conférencière et militante féministe.
Quels éléments de ta formation te sont aujourd’hui utiles au quotidien ?
L’exercice de la synthèse. La méthode de présentation à l’oral. La connaissance des institutions et de leur fonctionnement. Les relations internationales. Le montage de dossier (que j’ai beaucoup appris en tant que cofondatrice et présidente du Bureau des Arts, j’encourage tout le monde à s’investir dans les associations de l’école !) Et le Master Amérique Latine, dont je suis issue, m’a vraiment bien préparée à travailler dans cette région du monde.
Que regrettes-tu de ton passage à Sciences Po Grenoble ?
C’était une expérience formidable ! Les mauvais souvenirs sont rares ! Mais en tant que femme noire, je me sentais très seule dans l’amphi… et ce n’est pas qu’une question chromatique. Très peu de temps a été consacré aux territoires ultramarins dans le cursus. Ça a peut-être changé, mais le manque de diversité était difficile à vivre. Et il y a peu de temps que j’ai pris conscience, a posteriori, que j’ai vécu des choses en tant qu’étudiante noire (pas spécialement à l’école, mais dans le campus) qui n’étaient pas acceptables. On ne dit rien, parce qu’on n’a pas envie d’être « chiante », et parce que le peu de fois qu’on se plaint on nous répond « mais non, ne fais pas attention… » ou « qu’est-ce que tu es susceptible ! Tu vois le mal partout ». Ce que je reproche à ma communauté de Sciences Po, c’est de croire tant à l’universalisme qu’elle a pu, dans certains cas, se mettre des œillères face au racisme et au sexisme. Je me suis tue souvent, en tant que femme et en tant que noire, face à des blagues, des comportements inappropriés de mes camarades. Aujourd’hui, je parle. Et c’est grâce à Sciences Po Grenoble que ma voix porte.
Nadia CHONVILLE
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16/01/2020