Julien VELUD (Master MMO 2014), chef de section économique – Service économique régional pour la Péninsule arabique (Dubaï)
Est-ce que vous pouvez m’en dire plus sur votre parcours
?
J’ai eu la chance de vivre une grande partie de mon enfance au Caire où je suis arrivé à l’âge de 4 ans. Cette expérience égyptienne m’a donné une appétence naturelle pour la région MENA et surtout un sentiment d’aisance dans des contextes étrangers. L’expatriation, je ne l’ai jamais vécue comme une difficulté, mais comme une évidence car elle s’inscrivait dans la continuité de mon histoire personnelle.
Quand j’ai intégré Sciences Po Grenoble en deuxième année, après une classe préparatoire BL à Lyon, je savais dès le départ ce que je voulais faire. Mon objectif était clair : me spécialiser sur le monde arabe et faire un VIA à la suite de mes études. Je savais aussi que ces postes étaient très compétitifs, alors j’ai fait le choix d’accumuler un maximum d’expériences professionnelles pendant mes études et de donner une véritable cohérence à mon profil.
Dès l’été entre ma 2e et ma 3e année, je suis parti au Caire pour un stage de langue arabe au DEAC. Ce séjour m’a permis de consolider mes bases linguistiques, mais aussi de m’ancrer davantage dans la région. L’été suivant, j’ai effectué un stage de recherche au Maroc, au sein de l’Institut de recherche pour le développement (IRD). En pleine période des Printemps arabes, je travaillais sur les coopérations euro-méditerranéennes et sur la manière dont ces bouleversements pouvaient en modifier les dynamiques.
Après avoir intégré le master MMO, j’ai effectué un échange académique à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth en 4e année. Ce semestre m’a permis d’approfondir ma connaissance de la région MENA à travers des cours spécialisés et une immersion locale. En parallèle, j’ai souhaité donner une nouvelle dimension à mon parcours en me rapprochant concrètement des métiers de la diplomatie. Durant l’été entre le master 1 et le master 2, j’ai effectué un stage en chancellerie à l’ambassade de France à Manama, dans un contexte régional tendu. La taille réduite de cette ambassade m’a permis de travailler au plus près de l’ambassadeur et du chargé d’affaires. En master 2, j’ai réalisé mon stage de fin d’études au Ministère de la Défense, à l’État-major des armées (EMA), dans une cellule d’analyse politique et sécuritaire sur le Proche-Orient. À l’issue de cette expérience, j’ai obtenu un VIA au Koweït, comme adjoint du chef du service économique de l’ambassade de France, rattaché à la Direction générale du Trésor. J’y ai découvert le métier d’attaché économique, au service du Ministère de l’Economie et des Finances, et sur place de ce qu’on appelle couramment « la diplomatie économique » : une diplomatie de terrain, au plus près des entreprises et des enjeux industriels, ainsi que des principaux décideurs publics et privés locaux.
J’ai poursuivi avec un poste au service économique de Bagdad, en Irak, toujours pour la Direction générale du Trésor. Le changement de contexte était radical : je suis passé d’un pays stable à un pays en pleine crise sécuritaire. Notre mission consistait à accompagner les premiers efforts de reconstruction, à identifier les secteurs prioritaires et à appuyer la présence économique française sur place.
En 2018, j’ai été nommé à l’ambassade de France à Beyrouth, au sein du service économique régional. Mon poste a rapidement été bouleversé par une succession de crises majeures : soulèvement populaire, effondrement financier, pandémie de Covid-19, puis explosion du port en août 2020. Ce drame a profondément marqué mon travail, recentré sur la gestion de crise, avec un fort engagement dans la reconstruction du port et la réforme de sa gouvernance. Il s’agissait de reconstruire une infrastructure stratégique, tout en repensant son articulation avec la ville et ses habitants.
En septembre 2022, j’ai rejoint la Direction générale du Trésor à Paris, au sein du bureau chargé du financement multilatéral du développement et du climat. En charge du financement multilatéral du climat et de la biodiversité pour le Trésor, j’ai eu l’opportunité de participer aux négociations de la COP 15 biodiversité à Montréal en décembre 2022 mais aussi aux conseils d’administrations de fonds multilatéraux tels que le Fonds pour l’environnement Mondial (FEM) où j’ai pu porter les intérêts et la vision française sur les enjeux du financement de l’environnement au niveau international tout en constatant le « fossé » qu’il pouvait parfois exister entre pays développés et pays en développement sur ces questions. Une expérience unique et enrichissante qui m’a permis d’être au cœur des négociations et discussions au niveau multilatéral.
Depuis septembre 2024, j’occupe le poste de chef du service économique à Dubaï, rattaché au service économique régional basé à Abou Dhabi. Au-delà des traditionnels exercices d’analyse économique et sectoriel que l’on fait au quotidien, ma mission consiste notamment à accompagner les entreprises françaises dans leurs échanges avec les institutions émiriennes et à les positionner sur les grands projets stratégiques du pays : transport ferroviaire, enjeux de mobilité urbaine, secteur aéronautique, énergie, adaptation des villes au changement climatique. Ce travail s’effectue en étroite coordination avec la Team France Export, dans un environnement très concurrentiel, où les visites de haut niveau jouent un rôle-clé pour faire avancer les dossiers.
Est-ce qu’il y a une facette de votre métier que vous aimeriez mettre en lumière ?
Il y a une dimension que j’aimerais vraiment mettre en avant : on pense souvent que les ambassades relèvent uniquement du ministère des Affaires étrangères, mais en réalité, plusieurs ministères y sont représentés. C’est notamment le cas de la Direction générale du Trésor, qui dispose d’un réseau économique à l’étranger très étendu.
Et puis, surtout, j’insiste sur le caractère très concret de notre rôle au sein des services économiques. On est loin des discours abstraits : derrière notre action, il y a des emplois, des contrats, des financements, des entreprises, des projets industriels. C’est un travail de terrain, qui mobilise une multitude d’acteurs et qui produit des effets très tangibles. Je pense que c’est important de le souligner, notamment pour les étudiants qui cherchent à donner du sens à leur engagement professionnel et qui veulent avoir un impact réel.
Qu'est-ce que Sciences Po Grenoble vous a apporté ?
Sciences Po Grenoble m’a d’abord apporté une véritable ouverture d’esprit, grâce à des cours variés, couvrant des régions du monde très différentes et une diversité de disciplines. Même si je me suis rapidement orienté vers la Méditerranée et le Moyen-Orient, j’ai pu explorer de nombreux autres sujets avec des cours de marketing, de philosophie politique ou encore sur d’autres géographies du monde. Cette multidisciplinarité est, à mon sens, l’une des grandes forces de la formation.
Le semestre à l’étranger fait partie intégrante de cette ouverture. Pour moi, qui avais déjà vécu au Moyen-Orient, ce n’était pas une découverte en soi, mais plutôt une continuité naturelle dans mon parcours, qui m’a permis d’approfondir ma spécialisation.
Enfin, d’un point de vue plus opérationnel, Sciences Po Grenoble ouvre de nombreuses portes que ce soit avec le poids du diplôme (la "carte IEP" est bien reconnue par les recruteurs) ou son réseau international.
Quel serait vos conseils pour les étudiants et étudiantes qui s’intéresse à la zone MENA et qui aimerait travailler dans la diplomatie ?
Les relations internationales sont un champ très large : se dire "spécialisé en RI" ne suffit pas. Il faut affiner son profil, soit en se concentrant sur une région précise, soit sur une thématique. Une spécialisation économique sur la zone MENA, par exemple, peut être un angle d’attaque très apprécié autant dans le monde diplomatique que dans le secteur privé.
Il est aussi essentiel d’ancrer son parcours dans le concret : au-delà de la théorie, il faut acquérir des compétences pratiques, techniques, linguistiques, et une expérience à l’international. Mieux vaut avoir un parcours cohérent et construit que multiplier les stages sans fil conducteur.
Enfin, je conseille de sortir des sentiers battus : viser des postes dans des structures plus petites et dans des pays moins visibles peut être très formateur. On y est souvent plus responsabilisé, plus exposé, et cela montre une vraie capacité à s’adapter. Ce sont des choix qui permettent de se démarquer.
Votre trajectoire professionnelle s’est largement développée dans le champ de la diplomatie économique, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Pourtant, vous n’avez pas suivi de formation en économie ou en finance en parallèle de Sciences Po Grenoble. Est-ce que cela vous a manqué à un moment donné, ou avez-vous tout appris sur le terrain ?
J’ai beaucoup appris sur le tas, et c’est l’une des forces des formations Sciences Po : on y forme des étudiants débrouillards, avec des connaissances généralistes et capables de s’adapter à des sujets variés. Cela dit, avec le recul, j’aurais trouvé utile de suivre en parallèle une formation en économie ou en finance. Pour celles et ceux qui souhaitent s’orienter vers ces carrières, je pense qu’un master en économie peut être pertinent et valorisé.
Interview réalisé par Martin Augoyard,
étudiant en 3e année
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02/05/2025