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« Conseillère "missions de police" du directeur général de la police nationale »

 

Estelle DAVET ép. FABRIS (1990 SP)

Comme pour beaucoup d'étudiants, Sciences Po Grenoble a été pour moi une façon de ne pas me spécialiser top tôt. Issue d'une famille de scientifiques, après un bac scientifique et une longue hésitation sur mon orientation, j’ai fait hypokhâgne avec un enthousiasme modéré et ai quitté sans regret l’année de khâgne que j’avais débutée dès que j’ai su que j’étais reçue à Grenoble.

La diversité des matières, l’ambiance générale, l’importance des échanges et la place accordée à l’étudiant par les enseignants m’ont tout de suite emballée.

Par le jeu des options, j’ai pu raccrocher (un peu) avec les sciences (à l’époque histoire des idées scientifiques ainsi que politiques scientifiques) et le thème de mon mémoire de fin d’études avec le groupe de recherche sur les risques majeurs m’a conduit à travailler avec le service des urgences de l’hôpital Michalon.

Au cours de la scolarité, pas d’idée préconçue sur ma destinée, mais des lignes directrices : travailler pour le service public et rester proche du terrain. Par ailleurs, les mécanismes de gestion de crise et le processus décisionnel en situation d’urgence m’intéressaient (et m’intéresse toujours) particulièrement.

Après le diplôme et une année de « prép’ENA » dont je garde un excellent souvenir, j’ai été reçue au concours de commissaire. 1991 : c’était la première année que les quotas féminins, qui existaient toujours pour ce concours, étaient supprimés … moyennant quoi nous étions moins nombreuses que les autres années (12 sur une promotion de 88). Dès le mois d’août, au cours d’un stage d’immersion qui marquait le début de la formation, j’ai découvert Grenoble sous un tout autre aspect !

J’ai aussi découvert que la police nationale, à laquelle je ne connaissais rien, c’est en fait plusieurs métiers différents et si le management reste le socle commun du métier de commissaire de police, le renseignement, l’ordre public, le judiciaire, l’international, ... conduisent à une approche adaptée et à une évolution dans des milieux très variés. A l’issue des 2 ans de formation (alternance de cours et de stage), j’ai eu la chance de pouvoir intégrer la police judiciaire. Travail d’équipes, travail de terrain sur la grande criminalité et le crime organisé : c’est sûr que quand on arrive à 25 ans, on a beau avoir le grade, on a beaucoup à apprendre. Il faut donc trouver le bon dosage : être humble tout en restant dans son rôle de direction. C’est une très bonne école de la psychologie, également vis-à-vis de notre « clientèle ». Dans ce métier, on apprend beaucoup sur les autres et sur soi, sur ses réactions notamment face à la peur, à la colère ou la détresse, la distance et le calme à tenir devant des comportements borderline. On doit apprendre à faire avec ses défauts et puis, dans ces situations extrêmes, on se découvre aussi !

Après 15 ans de terrain, on m’a proposé de prendre un service qui se créait au sein de la sous-direction de la police technique et scientifique (la PTS) qui fait aussi partie de la « PJ ». Ça tombait bien : j’avais envie de me remettre en question et mon intérêt pour les sciences ne s’était pas éteint. Ce nouveau service s’appelait le service central de l’informatique et des traces technologiques. Formé d’une 50 e de personnes, jeunes puisque récemment recrutées et essentiellement du corps des scientifiques de la police nationale, ce service a vocation (en résumé) à exploiter les supports informatiques, téléphoniques, électroniques, vidéos ou sonores et à faire du développement d’application. J’ai eu des maux de tête terribles au début pour appréhender le langage et la démarche de ces informaticiens et électroniciens, mais avec ce personnel enthousiaste, nous avons monté et mené à bien un projet qui nous a conduit à transformer des locaux en laboratoires, faire connaître l’activité et mettre en place des formations, développer de nouveaux domaines, faire de la R&D. Pour cela, il a fallu que je rencontre de nouveaux acteurs et que je trouve des financements. J’ai travaillé également à faire passer ma culture de terrain à ces personnels qui n’avaient pas forcément l’habitude de sortir de leurs locaux : aller sur les perquisitions fait désormais partie de leur activité, ce qu’ils n’auraient jamais imaginé à la création de ce service. Je n’ai pas vu passer le temps ! Mais, un commissaire de police est soumis à la mobilité et il m’a quand même fallu changer de poste.

J’ai eu la chance de rester à la PTS et ai pris la direction du service qui m’avait toujours fait rêver : le service central d’identité judiciaire. Composé d’environ 160 personnes au siège (Ecully, près de Lyon), le SCIJ coordonnait également l’activité (protocoles de travail, achats des équipements, suivi d’activité) des 650 services de PTS de la police française. Nous étions direction d’application des 2 grands fichiers nationaux d’identification (FAED – Fichier Automatisé des Empreintes Digitales- et FNAEG – Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques-) et avions une activité de criminalistique (traces, balistique, documents, écritures, odorologie, photos) et opérationnelles avec plusieurs unités spécialisées (traitement des scènes d’attentats et scène majeures, identification de victimes, intervention en milieu contaminé NRBC). Ce poste m’a conduit à faire du juridique (beaucoup de réunions avec la Chancellerie), du financier, de la RH, de l’international, nous étions par ailleurs dans une démarche d’accréditation, mais à partir de début 2015, l’opérationnel a pris une place plus importante que d’habitude et les événements que nous avons eu à gérer ont nécessité un investissement hors normes. Nous intervenions dans les constatations sur les scènes d’attentat (y compris à l’étranger dès lors qu’il y a des victimes françaises) et pour un certain nombre d’autres actes menés par la sous-direction anti-terroriste. Nous avions également l’identification des victimes à assurer. Nous travaillions beaucoup avec les psychologues de la police nationale et avons pris l’habitude de les intégrer à nos débriefings et à nos formations. Là encore, le travail en équipes et leurs cohésions sont indispensables pour affronter l’accumulation des scènes auxquelles nous avons été soumis.

Après avoir fait le tour de la police technique et scientifique, il m’a fallu à nouveau changer de domaine. Je suis partie à Paris comme sous-directrice adjointe chargée de la gestion RH, du budget, de la logistique et des audits de la DCPJ. J’y ai fait quelques mois jusqu’à ce qu’on me propose d’occuper le poste de conseillère judiciaire du directeur général de la police nationale. Pour la première fois, je quittais la police judiciaire. Le grand saut dans un monde et une fonction inconnue : prise dans une essoreuse et découvrant tous les jours l’étendue de ce que je ne savais pas, je me suis demandée les premiers mois si j’allais tenir les 2 ans du contrat moral. Et puis les choses se sont mises en place. J’ai même pu raviver mes lointaines notions de droit constitutionnel en allant soutenir des textes au conseil d’État et en suivant les différentes étapes d’une loi jusqu’à sa promulgation.

J’ai fini mes 2 ans au cabinet. Avec la réforme de la police nationale, le cabinet a été restructuré. J’ai été nommée il y a quelques semaines conseillère “missions de police “. Le DGPN a souhaité regrouper sous cette appellation le domaine du judiciaire mais également le renseignement, la police aux frontières, l’ordre et la sécurité publique. Des domaines où j’ai presque tout à apprendre. Il faut croire que je n’aime pas rester sur mes acquis.

Dire que les études à Sciences Po Grenoble m’ont préparée à ce que j’ai vécu serait inexact. Par contre, elles m’ont permis de me laisser le temps de trouver ma voie en gardant le plus possible de portes ouvertes, d’aborder et de traiter avec méthode les sujets auxquels j’ai été confrontée, de me donner une démarche de réflexion en matière juridique, de bonnes bases en finances publiques et de me permettre d’avoir une vision élargie ou replacée dans le contexte de ce que je faisais, exercice indispensable dans un métier où notre quotidien nous amène à ne traiter que le dysfonctionnement.

Et puis, dans la famille, Sciences Po Grenoble, on aime : j’y ai rencontré mon mari et un de mes fils a été un membre actif de la BAM et y a fait son premier cycle avant de faire des études d’avocat.


Estelle DAVET ép. FABRIS (SP)
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19/12/2016 - 12/02/2024


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