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« Luc Bronner, l’information, la presse écrite, Le Monde ou rien »

 

Régulièrement, l’Association des diplômés de Sciences Po Grenoble confie la réalisation de portraits d’anciens de l’établissement aux étudiants de l’IEP qui le souhaitent.
Antoine Beau a rencontré Luc Bronner (promotion 1995 SP), aujourd’hui directeur des rédactions du journal Le Monde.

Luc Bronner, 46 ans, s’assoie à son bureau. Quelques personnages de fiction montés sur ressors s’agitent à son passage, rompant avec l’austérité des dossiers et des livres qui s’accumulent autour de son ordinateur. Il décide depuis 2015 de la stratégie éditoriale du journal Le Monde et Le Monde.fr. Discret et pudique, Luc Bronner n’accorde quasiment aucune interview où il parle de lui et communique très peu sur les réseaux sociaux, beaucoup trop chronophages, selon ses dires. Dès qu’il en a le temps, il s’adonne à sa première passion. Le directeur des rédactions du Monde montre alors les nombreux livres de sa bibliothèque, à proximité de son bureau : « Je n’ai pas tout lu, j’adorerais. Lire me donne des idées d’auteurs à mettre en avant, de débats à animer au sein de la rédaction. »

Encouragé par ses parents médecins généralistes, le jeune Luc développe très tôt un appétit insatiable pour la lecture. Dans la maison de village où il a grandi, à 15 km de Gap, Libération, Le Monde ou encore L’Obs passent de mains en mains chaque jour. Les journaux font partie de la culture familiale. Luc Bronner les dévore avec une préférence pour le quotidien du soir, créé par Hubert Beuve-Méry.

« Je me suis construit autour du journalisme et les médias me passionnent »

Le concours d’entrée de Sciences Po Grenoble l’attire plus que celui des autres Instituts d’Études Politiques, car il est basé sur des ouvrages à lire en amont de l’épreuve. Il y étudie pendant trois ans, ravi d’approfondir ses lectures sans pour autant faire de concessions sur les sujets explorés : « À Sciences Po, on acquière une culture générale, qui m’est très précieuse dans mon métier. Je mobilise au quotidien les notions de droit, d’économie, d’histoire, de sociologie que j’ai découvert à l’IEP. » Luc Bronner choisit la spécialisation Service Public, avec l’idée de passer des concours administratifs, puis se rabat in extremis dans le journalisme : « Je me suis construit autour du journalisme et les médias me passionnent. Mais je pensais que je n’avais pas d’avenir dans ce métier. Une amie préparait le concours de l’ESJ Lille. J’ai compris en l’écoutant que c’était la voie que je devais suivre. »

Son entrée au Monde se fait sur une intuition : « Pour augmenter mes chances d’être pris, je demande un stage au service région, très peu populaire chez les jeunes journalistes ». Bingo.Il enchaine sur un CDD, puis un CDI d’abord au Monde de l’éducation, de 1999 à 2001, puis dans le service Éducation de 2001 à 2005, avant de couvrir les banlieues pendant 6 ans. Son travail lui vaut de recevoir en 2007 le prix Albert-Londres, la plus haute récompense pour un journaliste français. En 2015, Jérôme Fenoglio, le directeur de la publication du Monde, choisit le diplômé de Sciences Po Grenoble pour diriger la partie éditoriale du journal.

Avant tout journaliste

Depuis, les deux hommes se réunissent tous les jours, pour échanger à propos des projets à venir. « Il enchaine les réunions tout en restant enthousiaste », s’étonne son supérieur et ami. Au sein de la rédaction, Luc Bronner privilégie les contacts humains autant qu’il peut. Il jongle entre les différentes conférences de rédaction et les discussions plus informels. Son bureau est toujours ouvert. Le journaliste Abel Mestre a côtoyé Luc Bronner dans plusieurs services avant d’être sous sa direction. Il confirme : « Il n’est pas du genre à vous taper dans le dos ni à boire des coups après le boulot, mais il est proche de ses collègues ». Souvent, il suffit de lui faire signe de l’autre côté de la cloison transparente de son bureau pour entamer la discussion. « C’est très étonnant de voir qu’il est aussi simple. On ne dirait pas qu’il est à ce poste », confie un confrère, ancien camarade de Sciences Po Grenoble et l’ESJ Lille. Luc Bronner est avant tout journaliste. « J’adore être dans la cuisine du journal », s’égaye-t-il, préférant mettre les mains dans le cambouis plutôt que de jouer de son statut et de son influence. Le directeur des rédactions du Monde refuse « les déjeuners avec l’élite parisienne », plutôt courants à ce poste, pour éviter les tentatives de manipulations.

« Luc Bronner travaille comme il fait du ski de fond : il ne lâche jamais », s’amuse Abel Mestre.
À la rédaction tout le monde connait sa passion pour le sport, qu’il pratique avec autant de rigueur que lorsqu’il est au travail : « Nous étions stupéfiés d’apprendre qu’il avait profité de ses trois de jours de repos pour faire une compétition de ski de fond dans le Jura », ajoute Jérôme Fenoglio, moqueur.

En réalité, le sport permet à Luc Bronner de se couper, ne serait-ce qu’un instant, des sollicitations multiples de son poste. « J'ai 150 messages vocaux en attente, 10 000 mails et 100 sms non lus », lâche-t-il après avoir consulté son téléphone. Le journal (papier et site) produit des informations 24H/24, tous les jours », insiste l’ancien de Sciences Po Grenoble. Face au flux d’informations permanant que permettent les nouvelles technologies, le directeur décide de ralentir.

« Luc Bronner, un des meilleurs directeurs de la rédaction »

Là où la presse française recherche souvent l’exhaustivité, Le Monde a fait le pari inverse. Sous la direction de Luc Bronner, le journal a réduit de 25 % le nombre d’articles publiés. Le titre compte plus de 500 journalistes et continue d’embaucher, pour se donner les moyens de réaliser des articles plus approfondis. « Un luxe », selon l’intéressé, conscient d’être à contre-courant. La recette fonctionne. Le Monde prospère, dans un secteur secoué par le numérique, et la défiance de l’opinion. En 2018, son audience web et sa diffusion progressent de 11 %. En 75 ans d’existence, le journal n’a jamais eu autant d’abonnés. « Luc Bronner est un des meilleurs directeurs de la rédaction que le journal ait connus depuis 30 ans » s’enflamme Jérôme Fenoglio, à la lecture de ces résultats.

Pourtant, Luc Bronner n’est pas entièrement satisfait. Une sonnerie retentit. Le directeur de la rédaction ferme la porte de son bureau et décroche son téléphone : « J’ai vu les chiffres, acquiesce-t-il, un discret sourire aux lèvres. Naturellement, je suis très content pour Le Monde. C’est une réussite ». Il porte la main à son visage et se gratte la barbe, soudainement soucieux : « Si Le Monde prend 40 % des nouveaux abonnés de la presse écrite… les 19 autres titres se partagent des miettes », soulève-t-il, l’air grave. Le journaliste passionné par l’information de qualité, s’inquiète. Voir la presse française en mauvaise posture n’est « une bonne nouvelle pour personne ».

Antoine Beau, Sciences Po Grenoble
Bachelor 2016-2019 (AEF)
Master externalisé de journalisme au CFJ Paris
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29/06/2020



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