Eugénie BOURGEAULT ép. BOUSQUET, 1997 PO, Directrice des Ressources Humaines (PREMIERE URGENCE INTERNATIONALE).
Diplômée de l’IEP de Grenoble en 1997, j’ai fait le choix de m’expatrier une année en Colombie avant de déterminer la suite de mon cursus universitaire. Intéressée par la solidarité internationale, je souhaitais tester mes capacités d’adaptation à un environnement nouveau et moins confortable que celui que j’avais toujours connu. J’ai commencé par prendre des cours intensifs d’espagnol et après un mois, j’ai pu offrir mes services bénévoles à différentes structures : de la petite association caritative d’aide aux enfants des rues, au poste d’expansion économique de l’ambassade de France, ou encore à de grandes organisations comme Médecins du Monde, la Croix Rouge Colombienne et la Délégation de la Croix Rouge Française à Bogota. A l’issue de cette expérience, j’ai intégré le DESS de Pratiques Sociales du Développement de l’IEDES (Paris 1), avant de réaliser mon stage de fin de 3ème cycle au siège d’Action Contre la Faim. J’y suis restée 9 ans. D’abord assistante de la responsable opérationnelle pour les Balkans et l’Afrique de l’Ouest, j’ai rejoint le terrain, accompagnée de mon conjoint et futur mari, (rencontré à l’IEPG !), alors – et encore aujourd’hui – journaliste. Nous avons vécu plus d’un an au Timor Oriental, où j’exerçais en tant que responsable administrative et financière de la mission. Nous avons ensuite rejoint le Kenya où j’ai occupé le poste de chef de mission jusqu’à la fermeture des programmes. De retour en France pour raisons personnelles, j’ai poursuivi mon parcours au sein d’ACF en tant que chargé de projet dans le cadre du déploiement d’un logiciel de gestion comptable et budgétaire. J’ai ensuite poursuivi sur un poste de contrôleuse de gestion, pendant près de 3 ans, notamment en charge de la mission Soudan d’ACF alors que les besoins humanitaires explosaient dans le Darfour. Désireuse de m’éloigner de la gestion financière, j’ai réorienté mon parcours vers les Ressources Humaines, devenant Chargée de RH expatriées, pendant près de 2 ans. J’ai ensuite évolué au poste de responsable des ressources humaines d’une autre organisation humanitaire, Première Urgence. J’ai alors eu la chance d’accompagner la fusion de Première Urgence et d’Aide Médicale Internationale en 2011, et mes responsabilités ont évolué avec la croissance de l’activité de l’association et la création du département RH que j’ai dirigé jusqu’en octobre 2015. Après 7 ans au sein de Première Urgence Internationale, je suis actuellement en transition professionnelle, en quête de nouvelles aventures, toujours dans un environnement exigeant, porteur de sens et de valeurs !
A l’issue de 17 années dans l’humanitaire, dont 9 en ressources humaines, je propose ici quelques éclairages à l’intention de jeunes oufuturs diplômés de l’IEP qui s’intéressent aux métiers de la solidarité internationale et en particulier en ONG. Il s’agit, je le précise, de points de vue personnels, issus de mon expérience particulière.
Le terrain : Construire son parcours professionnel en solidarité internationale, c’est commencer par exercer à l’international. Il existe quelques postes en siège d’ONG accessibles sans expérience terrain, mais ils sont rares, la concurrence est ardue et le périmètre de responsabilités autant que le potentiel d’évolution sont rapidement limités. Toute expérience à l’étranger,dans un cadre personnel ou à l’occasion de stages par exemple, est à valoriser, mais ne suffira pas nécessairement pour développer une carrière stimulante depuis la France.
Professionnalisme et exigences des critères de recrutement : Les ONG reçoivent des milliers de candidatures chaque mois, et elles exploitent pour la plupart volontiers les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour repérer leurs futures recrues à travers le monde. Pourtant, elles ne trouvent pas ou difficilement à pourvoir l’ensemble de leurs postes car les critères de recrutement sont élevés et les besoins permanents. Le professionnalisme exigé depuis de nombreuses années déjà est bien connu, grâce essentiellement aux actions de communication des acteurs de l’aide, fatigués de ce cliché (entre autres) de l’humanitaire rêveuret volontaire mais sans qualification particulière. Cela ne signifie pas pour autant que l’expert technique ait remplacé l’idéaliste engagé… Dans la pratique, si les critères de recrutement sont effectivement élevés, c’est parce que les ONG ont fait le choix de ne renoncer à rien : ni à l’engagement, ni à l’expertise. Et leurs exigences vont plus loin encore : elles cherchent des personnes capables d’encadrer des équipes, de décrypter des contextes complexes et d’en suivre l’évolution, de réaliser des évaluations de besoins, de conduire des projets, de veiller à la sécurité des biens et des personnes, d’interagir avec des autorités locales et des partenaires institutionnels, de rédiger des rapports…, le tout en milieux multiculturels et dans des environnements sécuritaires restrictifs et générateurs de stress. Les savoirs, les savoir faire, mais aussi les savoir être comptent parmi les filtres de recrutement en solidarité internationale : éthique personnelle, ouverture d’esprit, écoute, curiosité, maturité, gestion du stress, équilibre émotionnel, autonomie, sens des responsabilités… Alors oui, les ONG sont exigeantes et c’est un gage de qualité des projets autant que de sérieux dans la gestion des parcours individuels. J’ajoute que, en dépit des préjugés, les niveaux de rémunération et packages de prise en charge dans ces organisations sont très attractifs sur le terrain.
Exposition aux risques : Les travailleurs humanitaires sont naturellement exposés à un niveau substantiel de risques, de types sécuritaires, sanitaires et psychosociaux. En être bien conscient avant de s’engager est essentiel, dans une démarche mature et responsable. En ce sens, il est important de bien choisir l’organisation avec laquelle partir en mission. L’ensemble des dispositifs de prévention et de gestion des risques sont sans cesse renforcés par les associations sérieuses. Les échanges sont constants entre équipes opérationnelles et RH, en charge de la sécurité, sur le terrain comme en siège, afin de mettre à jour les contenus de formation, les outils d’appréciation des risques, les dispositifs de prévention et mécanismes de gestion de crise, par l’analyse et le retour d’expérience en continu, ainsi que par l’appui régulier de ressources externes en audit, méthodologie et formation. De la même manière, la prévention et la gestion des risques psychosociaux tient aujourd’hui une place majeure dans l’activité des équipes RH, en soutien aux managers, mais aussi tout au long du parcours de l’expatrié au sein de l’organisation, de la phase de recrutement aux semaines suivant son retour de mission. Là encore, les ONG disposent de leurs propres ressources mais recourent également aux services d’experts externes. Du point de vue sanitaire enfin, la crise Ebola a encore renforcé la vigilance des acteurs, déjà particulièrement soucieux de la performance des dispositifs de prise en charge, en amont et en aval, mais aussi de la qualité de la sensibilisation autour des mesures préventives du quotidien, relevant de la responsabilité de l’employeur autant que de celle de chacun. Ainsi, s’engager sur le terrain nécessite une prise de conscience préalable de la difficulté des contextes d’intervention, un grand sens des responsabilités pour le respect rigoureux de règles contraignantes et un équilibre personnel propice à éviter tout comportement à risque pour soi-même et pour son entourage.
Parcours professionnels : La plupart des ONG internationales proposent des statuts salariés à leur personnel et développent des parcours internes attractifs pour leurs collaborateurs. La fidélisation est un enjeu majeur des acteurs de l’aide, car comme développé plus haut, les profils recherchés sont relativement rares et il est essentiel pour les ONG d’attirer puis de retenir des ressources performantes et attachées à l’organisation, gage d’efficacité opérationnelle. La gestion des parcours constitue donc un levier essentiel de longévité accrue dans le secteur et tient une place essentielle dans les politiques RH de la majorité des acteurs. L’acquisition continue de compétences transposables à d’autres secteurs d’activités doit permettre à celles et ceux qui s’engagent d’aborder avec plus de sérénité la suite de leur projet professionnel, au sein comme en dehors de la solidarité internationale. On constate par ailleurs une mobilité croissante entre organisations, qui cherchent de ce fait à renforcer le sentiment d’appartenance. Il existe une large variété d’associations, capables de répondre à la diversité des besoins et attentes particulières de chacun. Les ONG s’attachent donc à promouvoir leur identité spécifique, leur marque employeur, afin que chacun trouve à s’impliquer dans la structure dans laquelle il se reconnait le mieux, et dont il sera fier et partie prenante de l’évolution. La solidarité internationale offre également des perspectives de parcours dans un grand nombre d’organisations internationales, auprès des Nations Unies ou encore de grands bailleurs internationaux. Dans tous les cas, la plupart des postes se trouvent à l’international, et certains s’inquièteront peut-être des perspectives professionnelles s’offrant à eux le jour où ils souhaiteront se réinstaller durablement en France. Pour commencer, il existe un certain nombre de postes à pourvoir en sièges d’ONG, qui recrutent d’ailleurs essentiellement des profilsdisposant d’une expérience significative sur le terrain. Ensuite, d’autres carrières sont possibles en France, dans différents secteurs. Si je ne dispose pas de données exhaustives sur l’évolution de professionnels de la solidarité internationale au-delà de la phase d’expatriation, j’observe certaines grandes tendances. En tant qu’administratrice de Résonances Humanitaires, association aidant notamment au repositionnement professionnel d’humanitaires en France, je constate que deux-tiers des personnes accompagnées l’an dernier ont poursuivi leur parcours dans l’économie sociale et solidaire et un tiers dans le secteur privé. Tandis que la poursuite du projet professionnel dans l’ESS semble assez naturelle, la proportion non négligeable et croissante de personnes dans l’entreprise pourrait surprendre. Cela me semble pourtant bien légitime. Le cliché de l’expat’, du doux rêveur à la tête brulée, se dissipeavec la professionnalisation du secteur et les entreprises innovantes, attachées à l’efficacité économique et sensibles à l’impact sociétal, s’intéressent de plus en plus aux profils issus de la solidarité internationale. Au-delà d’expertises techniques, ces hommes et ces femmes ont accumulé des compétences transversales essentielles, telles que l’adaptabilité, la polyvalence, la combativité, l’audace, la résistance au stress, le sens des responsabilités et la créativité. Des aptitudes auxquelles s’ajoutent l’engagement, le goût pour le travail en équipe et l’attachement à une structure autour du développement d’un projet collectif. Autant de prédispositions à mettre en valeur pour participer à la conduite du changement nécessaire dans nos sociétés aujourd’hui.
Comment débuter en ONG de solidarité internationale ? Contrairement aux idées reçues, les métiers de la solidarité internationale ne sont pas des repaires de profils débutants. La moyenne d’âge du personnel humanitaire expatrié des ONG françaises dépasse généralement 35 ans. Ceci pour dire qu’il est possible de débuter une carrière à l’international après plusieurs années d’expérience en France. Par ailleurs, les ONG recrutent une grande diversité de profils, originaires des mondes de l’entreprise, de l’associatif ou de la fonction publique, car la diversité des parcours participe à la force des équipes. S’agissant de profils juniors, si les perspectives d’embauche sont plus limitées que pour des professionnels confirmés, elles ne sont pas négligeables. Il me semble que le premier tremplin vers l’emploi est aujourd’hui le stage en siège. Après 4 à 6 mois en immersion au sein d’équipes pluridisciplinaires expérimentées, par la mise en pratique du cycle de projet et formé aux procédures et outils spécifiques à l’organisation, le stagiaire en fin de période s’est aussi fait connaître, il a démontré son potentiel et gagné la confiance de son entourage pour un premier poste expatrié. Bien sûr, les critères de recrutement ne sont pas moins exigeants : les profils juniors sont logiquement moins expérimentés en management, mais ils peuvent révéler des aptitudes à l’encadrement et une maturité professionnelle que l’employeur s’attachera à accompagner pour en accélérer l’opérationnalité. Les profils dits généralistes, tels que ceux issus de formation en sciences politiques, disposent généralement de capacités d’analyse et de synthèse, de solides connaissances théoriques (géopolitique, sociologie, droit, économie…), des compétences rédactionnelles, et d’une aisance à l’oral et à l’écrit en français et en anglais. Naturellement, l’expérience à l’étranger est très appréciée, voire indispensable, à titre personnel mais aussi professionnel dans le cadre de précédents stages. L’expérience associative, bénévole ou non, n’est pas primordiale, mais donnera un crédit supplémentaire au projet professionnel dans l’humanitaire. Comme indiqué précédemment, il existe une grande diversité de structures : il est important de bien choisir celles avec lesquelles on souhaite s’engager, ce qui suppose un travail documentaire et une démarche proactive pour entrer en contact avec des collaborateurs en poste ou anciennement salariés de ces organisations. Cela permettra d’abord d’orienter ses candidatures vers les structures les plus en adéquation avec son projet, ses attentes et ses compétences, mais aussi de développer sa connaissance de chaque organisation et donc sa crédibilité en situation d’entretien de recrutement.
Me tournant aujourd’hui vers de nouveaux défis
professionnels, je conclurai sur le plaisir que j’ai eu à
exercer ces 17 dernières années dans la solidarité
internationale. J’y ai rencontré des personnes exceptionnelles,
aux origines et aux profils des plus variés, douées de compétences
remarquables, constructives et porteuses d’un engagement très
inspirant.
Eugénie BOUSQUET
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