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« Hors des institutions de recherche, point de recherches ? »

 

Stéphane La Branche, Sociologue du climat, Chercheur indépendant

La réponse à la question titre est : absolument pas ! Enfin…, si., on peut, mais…

C’est plus compliqué que dans le parcours classique, pour des raisons logistiques, salariales et d’équipe d’accompagnement (on sous-estime toujours le rôle et l’utilité des gestionnaires dans un projet de recherche !). En effet, hors institutions de recherche, ces ‘appuis’ n’existent pas. Il faut apprendre à faire un peu de gestion, de comptabilité et de contractualisation (ne jamais oublié les frais de gestion s’il y en a, ni les frais de déplacements ni de fonctionnement et apprendre à naviguer les eaux tumultueuses des règles administratives pas toujours en conformité avec ce qui est permis par la loi...). J’ai donc choisi de vous parler de mon itinéraire à partir de ce point de vue, celui d’une espèce, bizarre, peu connue et en voie d’émergence qui a du batailler pour émerger : le chercheur indépendant !

Je suis arrivé en France en 2000, dernière année de mon doctorat en science politique, à l’université du Québec à Montréal. Devenir, en France, un chercheur en poste est déjà compliqué lorsqu’on est du terroir, mais avec une culture académique différente de celle du Canada, et que l’on est étranger, sans aucun réseau académique ici… Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai réellement compris à quel point c’est important. Mais à l’époque je cumulais un autre obstacle : j’étais convaincu que les sciences sociales avaient quelque chose de fondamental à dire sur les questions de climat et de transition écologique. Après tout, cela semblait logique : les scientifiques nous disaient que l’origine de la crise réside dans nos modes de vies et dans nos pratiques et que les effets allaient nous impactés profondément (érosion de nos droits et de notre qualité de vie, de notre sécurité…). Donc, logiquement, pour moi, il fallait analyser le facteur clé et pourtant, en 2003 et ce, pendant quelques années, il n’y avait que très très peu de recherche sur ce sujet. Etonnant, même si je peux l’expliquer maintenant, à l’époque je faisais face à un mur sans en comprendre les briques.

En 2008/09, j’ai déposé un dossier de candidature pour le CNRS (pour la dernière fois), dans lequel je proposais un programme de recherche SHS et climat, qui renvoie aux moteurs et aux freins individuels et structurels aux changements de comportements dans les efforts de transition. Ce qui semblait être une évidence aujourd’hui. Mais à l’époque, un des membres du jury m’a posé une question qui m’a catapulté sur une autre trajectoire : « mais, votre programme de recherche est fondé sur une mode écolo qui risque de passer dans quelques années ?! ». Interloqué mais à ce moment, j’ai compris que j’allais devoir faire autrement que la voie classique de la recherche et rester hors des institutions classiques.

J’aurais pu devenir consultant pour une boite privée, ce que font beaucoup de docteurs en sciences sociales, mais : i) j’aimais (et j’aime toujours) la recherche et ; ii) j’étais convaincu (et le suis toujours) que les méthodes de recherches en SHS, la confrontation aux autres chercheurs, aux méthodes, aux disciplines et aux résultats étaient les meilleurs outils pour répondre à ma question des freins et des moteurs. A l’époque, je faisais des projets de recherche parfois payants et… parfois non. Il fallait construire des réseaux, une carrière, des publications… Mais – et même si ca choque certains - on ne peut pas travailler pour la gloire et la beauté de la science. Il faut payer son loyer et la période 2005-2012 a été une période très difficile, avec en 2007, la fin d’un chômage s’annonçant quelques mois plus tard et avec un bébé, j’envisageais même de repartir au Canada. Puis, en un seul mois, des équipes de recherche (une en France et deux européennes) m’ont contacté : ils avaient besoin d’un sociologue. Depuis 2005, je suis donc obligé de cumuler plusieurs projets de recherche en même temps, afin d’avoir un peu d’horizon salarial, qui ne dépasse jamais 9 mois ! Comprenez bien ce que je dis : c'est que je ne sais pas si j’aurai un salaire dans un an et ne l’ai jamais su. Jusqu’en 2012, les trous entre les projets étaient remplis par du chômage, temps que j’utilisais pour écrire des articles dans des revues scientifiques en SHS et donc rester dans le monde de la recherche. Car qui ne publie pas n’est pas chercheur ! Ajoutez à ceci une charge de cours d’environ 50% d’un temps plein d’un maitre de conférences et des conférences et une vie personnelle…. Il ne faut pas trop compter ses heures, ou alors être vraiment très efficace dans son travail – ou les deux !

Jusqu’en 2012, dans des réunions de travail sur des projets (Ademe, ANR, Europe, collectivités…) avant même d’expliquer ma problématique et ma méthode, je devais passer la moitié de mon temps de parole à justifier ma présence en tant que sociologue sur un projet portant sur le climat (défini comme étant un problème de molécules dans l‘atmosphère et donc du ressort des ‘vrais’ scientifiques !). Les collectivités territoriales ont été les premières à voir l’intérêt de ce type de recherche, car elles sont en contact direct avec des citoyens. Il y a eu un réel tournant en 2012 avec de nombreux acteurs (privés, publics, gouvernements) voyant la nécessité des SHS pour comprendre et analyser les enjeux comportementaux et politiques des efforts de la transition. Je n’ai plus besoin de justifier mon existence sur un projet, c’est acquis, même si ces autres acteurs ne comprennent pas toujours comment on travaille. Ils savent qu'ils ont besoin de notre éclairage.

En 2008, l’Observatoire National du Réchauffement Climatique (l’ONERC, la branche nationale du GIEC) prend contact avec moi : ils sont intéressés par les enjeux d’in/acceptabilité sociale et de montage de politiques publiques et on échange assez régulièrement. Ce sont des hauts fonctionnaires, avec de très bonnes formations scientifiques mais qui participent aussi aux négociations internationales sur le climat. Ils observent toute l’importance des enjeux autres que ceux des sciences naturelles et notamment le facteur humain par sa dimension très politique et ont besoin de comprendre. En 2010, ils me nominent pour que je contribue au 5e rapport du GIEC. Un honneur et une reconnaissance réels, surtout pour un sociologue !

Quid de mes interactions avec les institutions de recherche ? Plutôt bonnes je pense ! Les contrats passaient soient par Pacte (avec les règles et conditions du CNRS), ou l’IEP. J’ai beaucoup apprécié collaborer avec ces deux équipes qui comprenaient humainement et légalement ce drôle de statut que je dois toujours d’ailleurs expliquer aux collègues chercheurs en poste partout où je vais (et qui se demandent comment on peut faire de la recherche dans ces conditions – cette année j’ai même été invité à une table ronde de l’Association Française de Sociologie pour en parler. La grande majorité de mes recherches impliquent des chercheurs du CNRS de Pacte et de l’IPEP (notamment, Progis sur des enquêtes) mais d’ailleurs aussi. Si au début, faire partie d’un laboratoire était quasi une obligation pour les financeurs telle que l’Ademe ou des collectivités territoriales, dorénavant, mon parcours me permet de passer des contrats directement. Le statut d’autoentrepreneur que j’ai adopté en 2012 me simplifie beaucoup les démarches administratives et les difficultés contractuelles.

Depuis 2015, je n’ai plus eu de période de chômage même si je cumule encore les projets en même temps. Je suis dans une situation confortable où je peux choisir avec qui je veux (ou pas !) travailler, sur quel sujet… Mes collaborations avec des chercheurs en poste sont dorénavant fondées sur le plaisir de travailler avec eux et pour la richesse des échanges, mais pas par obligation institutionnelle. Au final, j’apprécie beaucoup la liberté de choisir des sujets hors normes ou classiques, de travailler avec des disciplines différentes, des acteurs étatiques nationaux et européens, mais aussi avec des petites communes, des consultants, des grandes entreprises, des associations. Tout ceci me permet d’approfondir mes réflexions de recherche (avec près de 40 projets de recherches, il y a de quoi !), je continue de publier dans des revues académiques mais aussi dans les grands et petits médias, et je fais beaucoup de conférences publiques ou pour des institutions nationales voire, internationales. Et je prends un réel plaisir, une satisfaction, de voir certains de mes ancien.e.s étudiant.e.s de l’IEP (séminaire et Master) obtenir des postes dans le domaine de la transition et de travailler avec certains d’entre eux/elles.

Pour terminer, depuis trois ans, je suis en CDI à temps partiel (à ma demande, pour que je puisse continuer à faire de la recherche) pour un projet qui me tient à cœur et qui s’inscrit naturellement dans ce parcours : la création d’un groupe international de scientifiques des comportements (le GiecO/IPBC) dont je suis le coordonnateur scientifique et dont la publication de son premier rapport est prévu en 2024 !

La liberté et la variété de mes recherches, des sujets et des partenaires est un vrai plaisir et une réelle richesse de ce parcours, qui contribue beaucoup à rester dynamique. Il n’est pas pour tout le monde, il faut pouvoir vivre sans sécurité salariale ni cadre institutionnel ni équipe de gestion ! Et aujourd’hui, au moins, il n’est plus nécessaire pour quelqu’un dans nos disciplines de justifier notre présence sur un projet de recherche explorant les enjeux de transition. La bonne nouvelle pour les étudiants de l’IEP est que nos compétences en SHS en matière de transition sont devenues incontournables aux yeux des acteurs de notre société et… des sciences.

Stéphane La Branche
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13/09/2023

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